La crise de la forêt, ou les limites d'un modèle

2007/04/20 | Par Pierre Dubuc

Dans son dernier bulletin, la Fédération des travailleurs et travailleuses du papier et de la forêt (FTPF-CSN) publie sous le titre Que vont devenir nos régions ? un dossier étoffé sur la crise forestière.

Il n’est pas inutile de rappeler les chiffres de cette crise : 105 usines de sciage et 13 usines de pâtes et papiers fermées, de façon permanente et temporaire, 10 000 emplois perdus; 31 municipalités privées de leur principale activité économique.

La FTPF rappelle les causes immédiates de cette crise. D’abord, la flambée du dollar canadien dont la valeur est passée de 0,63 $ en 2003 à 0,85 $ en 2007, soit une appréciation de 36 %.

Un effet cependant amoindri par le fait que les emprunts des entreprises sont la plupart du temps contractés sur le marché américain.

Le conflit du bois d’œuvre a aussi été dommageable. Les droits imposés par les Américains ont provoqué une chute de plus de 20 % des exportations québécoises vers les États-Unis. Bien que les entreprises aient aujourd’hui récupéré 80 % des sommes placées en fiducie pendant le conflit, le mal est fait puisqu’elles ont perdu d’importantes parts de marché à cause de la concurrence venue d’Europe.

L’industrie québécoise peut aujourd’hui corroborer la principale conclusion d’une conférence mondiale sur l’industrie des pâtes et papiers qui se tenait en Belgique en 2005, soit que la mondialisation de l’industrie des pâtes et papiers n’est plus une perspective d’avenir ni une menace planant à l’horizon. C’est devenu un fait, une réalité .

La crise du bois d’œuvre a frappé différemment la Colombie-britannique, responsable de 50 % des exportations canadiennes, et le Québec dont la part des exportations s’établit à 25 %. En Colombie-britannique, la présence depuis 1990 d’un insecte grugeant le pin a provoqué une véritable course contre la montre pour récolter les arbres avant qu’ils ne meurent.

Les droits de coupe ont été réduits, le transfert des volumes de bois d’une usine à l’autre ont été permis, l’industrie a procédé à une importante rationalisation et les conditions de travail ont été modifiées. Cela a permis à la Colombie-britannique d’envahir le marché avec des prix très concurrentiels.

Au Québec, la surcoupe, mise en lumière par le Rapport Coulombe, fait en sorte que les compagnies doivent aller toujours plus loin pour la récolte du bois, ce qui entraîne des coûts de transport plus élevés accentués par la hausse des prix du carburant.

Quelles sont les solutions ? Celles de l’entreprise sont connues. Elle a obtenu du gouvernement Charest des modifications à la loi sur les forêts pour permettre le transfert du volume de bois entre les usines et le droit de récolter le bois par anticipation.

Jusqu’ici le contrat d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF) octroyé par le gouvernement à une entreprise pour l’autoriser à couper du bois sur les terres publiques précisait que le bois récolté devait obligatoirement être destiné à l’usine indiquée sur le permis. Dorénavant, par un simple avis du ministre des Ressources naturelles, la compagnie pourra acheminer une partie du volume du bois d’une usine vers une autre.

Le volume transférable sera déterminé par règlement. Actuellement, on parle de 10 %. Évidemment, cela va avantager les usines les plus performantes et provoquer une rationalisation sur le modèle de la Colombie-britannique.

Le gouvernement va également permettre, dans le cadre d’un plan quinquennal, aux entreprises de couper durant une année d’opération, en plus du volume inscrit au permis, 10 % du volume de bois inscrit au permis d’une année à venir. C’est la fuite en avant. Au bout de cinq ans, on devine que les pressions seront fortes pour empiéter sur les droits des années futures.

Quelles solutions proposent la FTPF ? D’abord, de s’occuper des travailleurs qui viennent de perdre leur emploi… et qui risquent de ne jamais le retrouver. Dans le Progrès-Dimanche du Saguenay, un porte-parole de l’Abitibi-Consolidated déclarait que la compagnie favorise l’embauche de personnes détentrices d’un diplôme d’études professionnelles (DEP) en pâtes et papiers AVANT les anciens travailleurs de ses usines fermées .

La FTPF réclame donc du gouvernement fédéral la mise sur pied d’un programme d’adaptation des travailleurs âgés (PATA). Elle revendique également avec la CSN des législations sur les licenciements collectifs sur le modèle de ce qui existe en France et qui les rendent plus contraignants.

La crise de l’industrie forestière démontre également notre dépendance à l’intérieur du Canada. La valeur actuelle du dollar canadien ne reflète pas l’état de l’économie québécoise. Elle est gonflée par les exportations de pétrole de l’Alberta dont le prix s’est envolé et les hausses successives du taux d’escompte de la Banque du Canada.

Enfin, la crise démontre les limites d’une exploitation de la forêt de type colonial, c’est-à-dire une exploitation sauvage et primaire axée sur l’exportation avec le minimum de transformations. La crise est symbolique de l’état de larges pans de l’économie québécoise.