De Vimy à la crise de la conscription...

2007/04/30 | Par Pierre Dubuc

Photo: David Mendiboure

Le gouvernement canadien a commémoré dans un faste exceptionnel le 90e anniversaire de l’assaut de la crête de Vimy par les troupes canadiennes lors de la Première guerre mondiale. Pour la première fois de l’histoire, quatre divisions canadiennes unissaient leurs efforts pour un assaut commun. La presse anglophone, se faisant l’écho de plusieurs manuels d’histoire canadiens-anglais, a présenté l’événement comme étant rien de moins que l’acte fondateur du Canada.

La commémoration de Vimy fait partie d’une intense campagne de propagande du gouvernement canadien pour justifier la guerre en Afghanistan. Elle coïncide avec le lancement de la télésérie La Grande Guerre qui met en vedette Justin Trudeau dans le rôle de Talbot Mercer Papineau.

Redéfinir l’identité canadienne autour des valeurs militaires

Le premier ministre Michael Valpyre Stephen Harper vient d’une famille militariste – son père a publié deux livres sur les emblèmes militaires du Canada – et il ne se cache pas de vouloir redéfinir l’identité canadienne autour de la Politique étrangère, de la Défense et de l’Armée. Une des premières mesures importantes de son gouvernement a été de prolonger jusqu’en 2009 la mission canadienne en Afghanistan et son ministre de la Défense, Gordon O’Connor, vient de laisser entendre que celle-ci pourrait se poursuivre après la date butoir de 2009.

Malgré la campagne d’intoxication en cours, particulièrement au Canada anglais, il se trouve néanmoins des journalistes pour dégonfler le mythe de Vimy. Dans le Globe and Mail du 7 avril, Michael Valpy rappelle qu’il n’y a qu’au Canada où l’assaut de la crête de Vimy est célébré comme un important fait d’armes.

Il souligne également que, bien qu’il soit vrai que les soldats canadiens aient remporté une victoire tactique, celle-ci avait été préparée par des stratèges militaires britanniques, que les troupes canadiennes étaient composées en majorité d’immigrants britanniques de fraîche date, commandées par des officiers britanniques et qu’elles bénéficiaient du soutien logistique de l’artillerie britannique. La présence de la Reine d’Angleterre à la commémoration du 90e anniversaire n’était donc pas du tout déplacée !

Il faut dire que le premier ministre Stephen Harper est un nostalgique de l’empire britannique. Il y a un an, lors d’un voyage en Angleterre, il a salué les valeurs communes qui unissent toujours la petite île – le Royaume-Uni – et le grand Dominion, le Canada ! Il y avait longtemps qu’un premier ministre canadien avait fait référence à son pays comme étant un dominion britannique !

Michael Valpy précise que la reconnaissance par le Canada de l’importance de cette bataille est venue de la presse… anglaise et américaine ! Il raconte que le premier ministre Borden a écrit dans son journal personnel : « Tous les journaux louent les Canadiens. Le New York Times a déclaré que la bataille « sera dans l’histoire canadienne.. une journée de gloire qui servira d’inspiration aux jeunes Canadiens pour des générations à venir » ».

La Grande guerre pour la civilisation

Pendant que la Reine d’Angleterre et le premier ministre canadien commémoraient le sacrifice des 3 598 soldats morts dans l’assaut de la crête de Vimy – et des 7 104 blessés – les nouvelles en provenance d’Afghanistan nous apprenaient la mort de six soldats canadiens dans l’explosion de leur blindé.

La Reine Élizabeth II et M. Harper n’ont pas manqué de faire le lien entre les deux événements. En fait, les deux conflits se déroulent à la même enseigne. C’est ce que nous rappelait dernièrement le journaliste britannique Robert Fisk dans son livre La Grande guerre pour la civilisation. Fisk a donné ce titre à son livre qui porte sur les conflits actuels au Moyen-Orient après avoir trouvé une médaille militaire de son père, vétéran de la Première guerre mondiale, sur laquelle étaient frappés ces mots : La Grande guerre pour la civilisation.

La Première guerre mondiale était une guerre injuste, une guerre pour le partage des richesses du globe entre les grandes puissances. La guerre en Afghanistan, qui s’inscrit selon George W. Bush dans le cadre de « la guerre pour la civilisation », est également une guerre pour le contrôle des richesses pétrolières de la région. Le risque existe qu’elle dégénère, avec la guerre contre l’Irak et bientôt peut-être contre l’Iran, en un nouveau conflit mondial.

La crise de la conscription, un acte fondateur du mouvement indépendantiste

Le scandale de la traduction bâclée des panneaux d’interprétation au site historique de Vimy a fait dérailler au Québec la campagne de propagande fédérale et est venu pertinemment rappeler que la question linguistique et nationale a également été à l’origine de l’opposition du Québec à cette guerre.

Avec à leur tête le leader nationaliste Henri Bourassa, les Québécois se sont opposés à une participation à la guerre en rappelant le Règlement 17 en Ontario qui privait les Franco-ontariens de leurs écoles françaises. Lorsque les lourdes pertes subies lors de la bataille de la crête de Vimy forcent le gouvernement Borden à mettre en vigueur la conscription, le Québec se révolte et des émeutes font quatre morts dans la ville de Québec.

C’est pour combattre l’opposition à la guerre que les autorités fédérales sortent de leur manche Talbot Mercer Papineau, un arrière petit-fils de Louis-Joseph Papineau. Talbot Mercer Papineau, un anglo-protestant d’origine américaine, fait paraître dans The Gazette un texte qui s’en prend au pacifisme d’Henri-Bourassa qui, rappelons-le, était le petit-fils de Louis-Jospeph Papineau.

Son texte, nous rappelle Normand Lester dans un article publié dans Le Devoir (2 août 2006), sera utilisé à des fins de propagande impérialiste jusqu'en Angleterre. Sous le titre «The soul of Canada», le Times de Londres le publie.

En regardant Justin Trudeau interpréter Talbot Mercer Papineau, souvenons-nous que les événements racontés ont conduit à la crise de la conscription et au dépôt à l’Assemblée législative du Québec d’une motion par le député J.-N. Francoeur qui stipulait que le «Québec serait disposé à accepter la rupture du pacte fédératif de 1867».