Des taux de profits de prêteurs à gages

2007/05/01 | Par Gabriel Ste-Marie

Les profits totaux après impôts des cinq plus importantes pétrolières actives au Canada sont passé de 25 milliards $ en 1999 à 121 milliards $ en 2006. Et le gouvernement canadien persiste à verser 1,6 milliards $ en subventions à cette industrie à chaque année. C’est ce que révèle une étude du prof Léo-Paul Lauzon et de son collègue Marc Hasbani sur l’industrie pétrolière, intitulée Le taxage continuel de la dictature pétrolière mondiale.

En 2006, ces cinq pétrolières ont enregistré un rendement annuel après impôt de 28% ! Ce taux grimpe à 35% pour Exxon (Esso). Lauzon rappelle que « même les prêteurs sur gage n’osent pas demander de tels taux ! » Ces entreprises remettent 63% de leur profit à leurs actionnaires, plutôt que de les réinvestir. Pour Exxon, c’est 83%. Ces résultats confirment les dires de Rex Tillerson, PDG d’Exxon, qui affirme que sa stratégie depuis douze ans est d’investir le moins possible et dépenser le moins possible.

On ferme des raffineries pour faire monter les prix

Pour Léo-Paul Lauzon, il n’est pas étonnant qu’on ne construise plus de raffinerie depuis 1976 en Amérique du Nord, et qu’on en ait fermé la moitié, malgré une demande grandissante : « Ils contrôlent l’offre pour faire augmenter les prix ».

Les auteurs affirment que le Canada est à peu près le seul pays où l’industrie pétrolière n’est pas nationalisée et qu’elle appartient principalement à des intérêts étrangers, en l’occurrence à des entreprises étatsuniennes et anglaises.

« Les traités de libre-échange et la privatisation de Petro-Canada a enlevé au gouvernement tout contrôle sur cette ressource. » Lauzon explique que le Canada ne pourrait légalement assurer l’approvisionnement de ses marchés en pétrole, s’il y avait par exemple une pénurie mondiale : « C’est navrant, surtout si on considère que le Canada, largement autosuffisant, est le sixième producteur de pétrole et la deuxième réserve mondiale. » Le Canada est le principal fournisseur aux États-Unis.

Le Mexique, qui fait aussi parti de l’Accord de libre-échange nord-américain, a pourtant refusé d’inclure le pétrole et les hydrocarbures dans ce traité, et encore moins de privatiser sa pétrolière Pemex.

Des nationalisations contre l’hégémonie américaine

Les auteurs de l’étude affirment que le Canada, par son immobilisme, va à l’encontre de la tendance actuelle des pays producteurs de pétrole à nationaliser cette industrie. Nous n’avons qu’à penser à la Russie, au Venezuela, au Tchad, à la Bolivie, à l’Équateur, à Dubay (un des Émirats arabes unis) et à l’Argentine.

Pour Léo-Paul Lauzon, c’est à cause de ces nationalisations que le cours international du brut aurait diminué. Il devient embêtant d’enrichir ces pays qui présentent une menace à l’hégémonie américaine. Lauzon poursuit : « C’est aussi pourquoi les États-Unis ont demandé au Canada de quadrupler sa production, via les sables bitumineux. Il faut couper l’herbe sous le pied de ces pays. Il ne faut surtout pas qu’ils servent d’exemple à d’autres pays comme le Nigéria ou le Congo. »

Qu’à cela ne tienne, ces nationalisations sont là pour rester. Par exemple, à cause de leurs besoins croissants, l’Inde et la Chine s’associent avec les entreprises nationalisées.

Les auteurs rappellent qu’en plus des pays susmentionnés, le Brésil, la Chine, la Norvège, la Malaisie, l’Équateur, l’Arabie Saoudite et le Koweit ont nationalisé leur industrie pétrolière : « Tous ces pays, mais pas le Canada. »

Le prof Lauzon explique que la Russie vient de renationaliser ses pétrolières : « Privatisées suite à la chute de l’Union soviétique, elles produisaient moins que du temps de l’ancien régime. » Leur renationalisation a permis au gouvernement de rehausser sa marge de manœuvre et d’effectuer des remboursements record sur sa dette contractée au Club de Paris.

Le Canada doit aussi nationaliser l’industrie pétrolière. Lauzon s’explique : « On a bien privatisé le CN, Air Canada, Petro-Canada, Téléglobe, Télésat, Canadair, Les Arsenaux Canadiens, Les aéroports, IAF Biochem Pharma, Cambior, Domtar, le contrôle aérien, etc., Le chemin inverse devrait pouvoir se faire de temps en temps ! »

Pour une raffinerie québécoise

À défaut de l’immobilisme du gouvernement Harper, les auteurs suggèrent que le Québec construise une raffinerie. Lauzon rappelle qu’au Québec, le marché du pétrole est contrôlé à 75% par Esso, Shell, Petro-Canada et Ultramar. Le projet d’une raffinerie appartenant au gouvernement pourrait se faire en collaboration avec les détaillants indépendants comme Sonic, Harnois ou Crevier, et via la société d’État Soquip.

La raffinerie importerait directement son brut du Mexique, de la Norvège ou du Venezuela. Un tel projet coûte environ 3 milliards $. Payé comptant et en un seul coup, cela revient à un peu plus que les profits d’Hydro-Québec d’une année ou à 5% des revenus d’une année du gouvernement du Québec. Il reste à approfondir l’analyse d’un tel projet et d’évaluer les bénéfices potentiels du gouvernement et de la société en général.