L'éducation gratuite demeure un enjeu de société

2007/05/03 | Par Hubert Gendron Blais*

Le 29 mars dernier, les membres de l’Association pour une solidarité étudiante (ASSÉ) manifestaient pour une éducation gratuite et de qualité, afin de poser l’enjeu au-delà du cirque électoral. La marche de Montréal marque un point tournant dans la campagne de l’ASSÉ, qui s’inscrit à contre-courant de la logique néolibérale en matière d’éducation.

En revendiquant la gratuité scolaire, c’est la lutte de milliers d’étudiants et étudiantes que l’ASSÉ réactualise, une revendication loin d’être aussi irréaliste que certains le prétendent. Alors que le champ éducationnel est constamment menacé par la marchandisation, il est temps que tous les acteurs sociaux soutiennent ceux et celles qui oseront se lever pour l’en préserver.

Car la gratuité scolaire a beau être une revendication historique du mouvement étudiant québécois, elle n’en demeure pas moins essentielle pour établir une véritable égalité des chances pour tous et toutes. L’accessibilité au droit universel à l’éducation ne doit être brimée par aucun obstacle institutionnel. Les lucides de ce monde, qui se gargarisent de ces statistiques venant prouver que les frais de scolarité n’entravent pas l’accessibilité aux études post-secondaires, n’ont pas côtoyé d’étudiantes et d’étudiants depuis longtemps. Sinon, ils sauraient alors que les diverses contraintes financières liées au statut d’étudiant demeurent la principale source de difficultés au quotidien.

C’est pourquoi l’ASSÉ a tenu à inclure dans son plan d’action annuel la nécessité d’établir un système de garderies publiques adapté aux besoins des parents étudiants. Nous en sommes rendus à nous demander où va une société lorsque ceux et celles qui souhaitent fonder une famille tout en poursuivant leurs études doivent multiplier les courbettes pour subvenir à leurs besoins.

Affirmer le droit à l’éducation signifie offrir la chance pour tous et toutes de mettre toutes les énergies requises dans leurs études et leur milieu sociopolitique afin de se former en tant que citoyens conscients des enjeux de notre temps. La revendication de gratuité scolaire ne fait que rétablir le fondement démocratique de ce droit brimé depuis trop longtemps à des fins mercantiles.

Ce n’est que lorsque que nous serons prêts et prêtes à s’affirmer en tant que société pour un véritable droit à l’éducation que nous pourrons enfin faire de celle-ci un champ de réflexion et d’action sociale. Car la revendication de gratuité scolaire ne va pas sans une amélioration de la qualité des ressources et services et, à terme, d’une transformation en profondeur des institutions d’enseignement. Les travailleuses et les travailleurs dans le domaine savent que l’éducation post-secondaire a souffert de compressions massives au cours des dernières décennies, compressions qui se ressentent au quotidien dans les bibliothèques sous-financées, le manque flagrant de professeurs, les nouveaux frais bourgeonnant au gré des services, etc. Quand on dit que ça va mal dans les cégeps et universités, le voilà notre réalisme tant décrié !

Ce délabrement du champ éducationnel est dû au désengagement massif de l’État, laissant place au financement privé pour combler ce flagrant manque de responsabilité sociale. C’est ainsi que, morceau par morceau, ces entreprises font entrer dans leur logique réductrice toute la production intellectuelle d’une société, de la sous-traitance aux contrats d’exclusivité, en passant par les attestations d’études collégiales développées par et pour elles-mêmes, et ce sans parler de la réorientation de la recherche universitaire à des fins productivistes bien éloignées de l’idéal de progrès ayant marqué la fondation des universités.

Pourtant, c’est lorsque l’on ose se tenir debout pour défendre ce droit inaliénable que se mettent à fuser les questions et attaques de toutes sortes, de la sempiternelle impossibilité de l’État de financer le moindre programme social d’envergure en passant par la négation pure et simple de la complexité de la réalité étudiante au quotidien. La classe politique québécoise dédaigne aujourd’hui ce qu’elle prônait hier : on semble vouloir oublier que la gratuité scolaire était au programme des libéraux de 1960 et du PQ de 1976.

Que les autruches de la finance se sortent la tête du trou : une société qui en prend les moyens peut parvenir à fonder une éducation gratuite et de qualité libre de toute intervention du marché. Ceux-là préfèrent réduire la taxe sur un capital plus que prolifique plutôt que de faire financer par les entreprises la mise en place de programmes sociaux. Le véritable enjeu ne réside pas dans le débat comptable, mais dans une remise en question complète du rôle accordé à l’éducation en société.

Lorsque l’on considère vraiment le droit à l’éducation comme un fondement de toute démocratie digne de ce nom, on en vient à réaliser que cette lutte n’est pas exclusive au mouvement étudiant, mais concerne l’ensemble de la société. La lutte pour une éducation accessible et de qualité vise à construire le monde de demain, pour forger avec les valeurs que nous souhaitons donner aux générations futures un monde libéré de l’asphyxie néo-libérale. Ce combat est celui de tous ceux et celles qui croient encore en la possibilité des acteurs sociaux de changer le cours de l’histoire et de transformer les institutions pour en faire de véritables piliers démocratiques.

Pourtant, les membres de l’ASSÉ ne se font pas d’illusions sur l’attitude des gouvernants, et c’est pour préparer la prochaine bataille pour l’éducation qu’un congrès de réflexion sur les perspectives de grève générale illimitée pour l’année 2007-2008 a été convoqué le 7 avril. Et lorsque l’ASSÉ déclenchera une grève générale illimitée pour la gratuité scolaire, nous ne pouvons qu’espérer ne pas voir se reproduire le scénario de 2005. Les syndicats et les groupes progressistes oseront-ils cette fois-ci soutenir concrètement les étudiantes et les étudiants au-delà d’un timide appui ?

Il est plus que temps que les mouvements sociaux au Québec refusent les affronts du néo-libéralisme et s’affirment en tant qu’acteurs collectifs venant transformer en profondeur notre société : à quand la grève sociale ?

*L'auteur est Coordonnateur du Conseil régional de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) à Montréal.

*Pour de plus amples informations : www.asse-solidarite.qc.ca