Une forêt Potemkine en Abitibi-Témiscamingue

2007/05/16 | Par Camille Beaulieu

Photo: Mireille Hubert

Rouyn-Noranda- Le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs n’en démord pas : 8 % de la superficie du Québec, 53 500 km carrés, sera interdite aux industries forestière, minière comme hydroélectrique, dès l’an prochain. Des secteurs évidents comme la baie James ou le nord du Québec ayant amplement donné, les aménagistes s’attaquent dorénavant aux régions périphériques comme l’Abitibi-Témiscamingue, où les aires protégées représenteront bientôt 4,2 % de la superficie totale. Mais il arrive que le renard soit passé depuis belle lurette avant la construction de la clôture.

Un des territoires actuellement sous la loupe du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), la future réserve de biodiversité du lac Opasatica, forme une bande de 246 km2 de lacs et de bois, collée à la frontière ontarienne, à 25 kilomètres au sud de Rouyn-Noranda.

Les documents du gouvernement et du BAPE taisent que ce témoin bientôt tabou de l’état naturel de nos forêts a été intensivement exploité par les compagnies forestières depuis au moins 75 ans. 15 % à peine de sa superficie reste de forêts matures dans une région où ce processus nécessite 90 ans. C’est aussi un des secteurs de villégiature les plus fréquentés d’Abitibi-Témiscamingue.

Une forêt Potemkine

Le lac Opasatica lui-même s’inscrit dans la nouvelle aire protégée, alors qu’au moins 500 chalets ou résidences s’égrènent le long des rives des baies à l’Orignal, Verte, de L’île, et, Bergeron.

Les eaux du lac s’écoulent sur trente kilomètres du nord au sud, d’où son sobriquet de lac Long. Dans la littérature du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, ce lac se fond dans des boisés mixtes d’épinettes, de pins, de sapins, de pruches, de mélèzes, de bouleaux, de peupliers faux-trembles, de cèdres, etc.

On y trouve des forêts anciennes, une héronnière et un potentiel archéologique majeur avec pas moins de huit sites autochtones reconnus. Bref, la forêt boréale en forme d’image d’Épinal.

Qui cache d’la grosse industrie

Mais tout ce territoire idyllique prend un autre nom, celui d’unité de gestion 82 dans le canton Dufay sur les cartes du ministère des Ressources naturelles. Il apparaît alors sillonné de chemins forestiers toutes saisons, et absolument truffé de chemins forestiers d’hiver.

Les rangs se démarquent, tachetés d’îlots topographiques codés cp, cb, ct, cpr, etc. selon qu’ils ont, dans un passé plus ou moins proche, fait l’objet de coupes forestières partielles, par bandes, de coupes totales ou de coupes avec protection de la régénération.

La carte révèle que tout ce territoire a fait l’objet de coupes forestières massives, très majoritairement de type ct et cpr, c’est-à-dire des coupes totales ou avec protection de la régénération, les euphémismes habituels pour des coupes à blanc. Les forestières ont récolté les essences de transformation, pour céder ensuite la place à des industriels du bois de chauffage.

Les plus gros chantiers, d’après Forêts Québec, s’y sont tenus aux débuts des années 1990. Des prospecteurs miniers rappellent que le territoire faisait déjà l’objet d’importants travaux forestiers dès la fin des années 1970. Les riverains, enfin, ont depuis cinquante ans l’habitude de s’y approvisionner en bois de chauffage.

C’en est au point, rapporte Sylvie Mantha de l’organisme Sentinelle Opasatica, où depuis quelques années les conversations au dépanneur du village démarrent régulièrement par des :   A-tu vu ce que les cochons ont fait de l’aut’bord (du lac) ? . Des résidents du  Landing  à la tête du lac se plaignaient, pas plus tard qu’en août dernier, de ne pouvoir dormir la fenêtre ouverte à cause du bruit des scies mécaniques 24 heures par jour.

Seule une bonne dose de mauvaise foi permet d’ignorer ce tohu-bohu. Une débusqueuse au travail a même causé un incendie forestier, il y a cinq ans à la hauteur de la baie de l’Orignal. Il ne reste en réalité plus qu’à savoir s’il aura neuf ou dix-huit trous, ce  témoin de l’état naturel de la forêt des basses terres de l’Abitibi et de la baie James , comme on dit joliment à Québec ?

Sauver quelques meubles

Un regroupement de résidents, la Sentinelle Opasatica, n’en plaide pas moins devant le BAPE la survie des quelques boisés intacts en les incluant dans l’aire projetée, dont ils sont curieusement exclus. Certaines baies oubliées des forestières ou encore les  sentiers à José  fameux dans cette région ( voir GéoPleinAir de juin 2007). Rien de gagné donc ! Pour une bien mince consolation.