Les travailleuses domestiques en campagne

2007/06/06 | Par Benoit Rose

Les quelque 25 000 travailleurs et travailleuses domestiques au Québec n’ont pas droit à une couverture obligatoire à la CSST payée par leur employeur. Ils forment une catégorie explicitement exclue par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles: ainsi, l’employeur n’est pas tenu de payer une cotisation. Ces travailleuses domestiques, puisqu’il s’agit en très grande majorité de femmes, sont dans une large proportion des immigrantes venues des Philippines. Vulnérables aux abus, elles sont isolées, invisibles, et souvent mal informées de leurs droits.

Une campagne réunissant le Centre des travailleurs et travailleuses immigrant(e)s (CTI), l’Organisation des femmes des Philippines du Québec (PINAY) et l’Association des aides familiales du Québec (AAFQ) est en marche depuis un an. Elle demande au gouvernement du Québec de modifier la loi pour y inclure «la couverture obligatoire par leurs employeurs au régime d’indemnisation, et ce sans égard au statut d’immigration ni à la validité du permis de travail».

Ces trois groupes sont appuyés notamment par la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), la Fédération des Femmes du Québec (FFQ) et l’organisme Au bas de l’échelle, qui défend les droits des non-syndiqués.

Des conditions difficiles

Les multiples tâches des domestiques les exposent à des risques sérieux. Selon Stéphanie Premji du CTI, les principaux problèmes de santé sont les troubles aux muscles et aux articulations (maux de dos, d’épaule, de bras), les réactions allergiques aux produits chimiques utilisés dans les foyers, les brûlures, les coupures, les blessures découlant de chutes… On parle aussi de maladies et d’infections. Bref, on considère que les risques sont comparables à ceux des autres travailleurs.

Beaucoup sont victimes d’harcèlement psychologique, de stress, et de «contrôle» par l’employeur. Bien que couvertes par les normes du travail depuis 2002, ce qui leur donne droit au salaire minimum et à la semaine de quarante heures, les aides familiales ne sont pas toujours payées pour la totalité de leurs heures. Les employeurs vont souvent parvenir à gruger du temps ici et là à des domestiques qui résident chez eux. Plusieurs d’entre elles se sentent humiliées, et souffrent d’épuisement psychologique.

«Quand elles viennent au Québec par le programme des aides familiales résidentes du gouvernement fédéral, elle ont un permis de travail avec le nom de leur employeur, de spécifier Stéphanie Premji. Donc elles peuvent seulement travailler pour cette personne, et doivent compléter une période de 24 mois à l’intérieur de 36 mois pour avoir leur résidence permanente. Donc, même s’il y a un problème, la plupart des travailleuses domestiques vont continuer avec le même employeur» en espérant compléter leurs 24 mois.

À la FFQ, on considère que c’est «une honte» que des femmes parfois proches d’une situation «d’esclavage moderne» n’aient pas les mêmes droits que les autres travailleuses. La loi du travail a toujours contenu un certain nombre d’exclusions, comme autant de portes ouvertes aux abus, selon Esther Paquet d’Au bas de l’échelle. Il s’agit donc ici de lutter pour l’universalité des lois du travail.

Fait à souligner, les travailleuses domestiques philippines sont souvent éduquées et scolarisées. Bon nombre ne parle ni français ni anglais, et cette barrière linguistique contribue à leur isolement et à la méconnaissance de leurs droits.

Des interlocuteurs peu réceptifs

Depuis un an, la coalition est parvenue à obtenir des rencontres avec le ministre du Travail Laurent Lessard en août 2006 (récemment remplacé par David Whissell) et avec la CSST en octobre dernier. Le ministre Lessard aurait proposé la création d’un comité de travail, tandis que la CSST a depuis produit des rapports internes sur la situation dans les autres provinces, à des fins de recommandations au ministère du Travail. C’est qu’en Colombie-Britannique, au Manitoba et en Ontario, les travailleurs domestiques ne souffrent pas d’une exclusion comparable et ont droit aux indemnisations.

Toutefois, les groupes en lutte n’ont toujours pas eu accès aux rapports de l’organisme. Réunis dans le cadre d’un forum le 22 avril dernier, ils ont déploré n’avoir reçu qu’un «petit résumé» du travail. «La CSN est membre du conseil d’administration de la CSST, alors c’est important de continuer nos échanges» entre groupes impliqués, a souligné Marie-France Benoit, conseillère syndicale à la condition féminine pour la CSN. «Je nous souhaite de gagner cette bataille commune dans les plus brefs délais», d’ajouter Louise Mercier de la FTQ.

La campagne «La CSST pour les travailleuses et travailleurs domestiques» poursuivra évidemment ses activités à l’intérieur d’un cadre politique légèrement modifié, celui d’un gouvernement libéral minoritaire à Québec et d’une opposition officielle adéquiste. La coalition prévoit réclamer à nouveau l’accès aux rapports de la CSST et maintenir ses pressions auprès du ministère du Travail, mais aussi auprès des ministères de la Condition féminine et de la Santé et des services sociaux.