La poudrière du Moyen-Orient

2007/06/08 | Par L’aut’journal 

Sur la photo: le professeur et écrivain Noam Chomsky

Les éditions Écosociété viennent de publier (2e trimestre 2007) La poudrière du Moyen-Orient, Washington joue avec le feu de Gilbert Achcar et Noam Chomsky. Voici un extrait qui montre l’importance de cet ouvrage.

CHOMSKY : Un Réseau asiatique pour la sécurité énergétique est actuellement en formation. Il s’articule essentiellement autour de la Chine et de la Russie; l’Inde et la Corée du Sud vont vraisemblablement s’y joindre et peut-être le Japon, bien que ce dernier soit ambivalent.

Il s’agit d’une tentative de mettre sur pied un vaste système de contrôle systématique des ressources énergétiques de cette énorme région asiatique. Car celle-ci dispose elle-même de ressources considérables, particulièrement en Sibérie.

Ces pays aimeraient que l’Iran se joigne à eux. Or, il est tout à fait possible que celui-ci – s’il en vient à la conclusion que l’Europe occidentale est trop inféodée aux États-Unis pour pouvoir agir indépendamment – renonce à l’Occident et se tourne vers l’Est pour se joindre à ce Réseau, dont il deviendrait une des clés de voûte. Cela serait un cauchemar pour les États-Unis.

Il est frappant de constater que l’Inde, bien qu’elle déploie de gros efforts pour maintenir sa nouvelle alliance avec les États-Unis, semble néanmoins avoir enfreint les ordres des États-Unis concernant un pipe-line vers l’Iran. En effet, les États-Unis ont tenté avec acharnement de pousser l’Inde à renoncer à ce pipeline, mais elle a tout simplement refusé d’obtempérer. Là encore, il s’agit d’une tentative visant à l’indépendance énergétique.

Un tabou presque religieux

Soit dit au passage, ce tabou qui interdit de faire état, aux États-Unis et en Grande-Bretagne, du pétrole irakien – on a presque affaire à un tabou religieux – engendre une très curieuse situation quant à tout le débat autour du retrait de l’Irak.

De part et d’autre de l’éventail politique, de la gauche à la droite, quand on discute d’un éventuel retrait états-unien, on évite d’aborder la question des incidences en matière pétrolière. Or, pour les planificateurs états-uniens, cette question est forcément d’importance cruciale car, pour eux, se retirer de l’Irak sans y laisser un État inféodé serait une catastrophe absolue.

Ils perdraient leur position dans le monde. Imaginez ce qu’un Irak indépendant serait susceptible de faire. Qu’il soit démocratique ou non, il aura une majorité chiite, laquelle sera influente, voire vraisemblablement dominante. Celle-ci a des liens avec l’Iran. L’ayatollah Ali al-Sistani, le plus éminent religieux chiite, y est né; la brigade Badr, la milice qui contrôle pour l’essentiel le sud de l’Irak, y a été formée. Et ces relations s’intensifient. L’Irak chiite et l’Iran chiite ont déjà des rapports amicaux. Il y a en outre une importante population chiite en Arabie saoudite, tout juste de l’autre côté de la frontière, qui a été brutalement opprimée par la monarchie. Or, il se trouve que c’est là qu’est situé l’essentiel du pétrole saoudien.

Un Irak indépendant dominé par les chiites encouragera certainement les initiatives autonomistes dans les régions chiites d’Arabie saoudite, en alliance avec l’Iran. Pensez seulement à ce que cela signifie : les principales réserves pétrolières du monde seraient en fin de compte hors du contrôle des Etats-Unis – voire, pire encore, elles seraient peut-être assujetties à un Réseau asiatique pour la sécurité énergétique dont le cœur serait la Chine. Vous ne pouvez imaginer pire cauchemar pour Washington. Le fait qu’on n’aborde même pas le sujet dans toutes ces discussions sur le retrait de l’Irak est un cas époustouflant de cécité commandée par l’idéologie.

La poudrière du Moyen-Orient
Washington joue avec le feu

Par Gilbert Achcar et Noam Chomsky
Écosociété, 2007, 371 pages