L’état de la nation

2007/06/21 | Par Louis Bernard

La célébration de la Fête nationale est une bonne occasion de faire le point sur l’état de la nation. Où en est le Québec ? Est-il en bonne forme ? Est-il en progrès, en stagnation, en recul ? Qu’en est-il de ses projets d’avenir, de ses espoirs, de ses rêves ?

Le Québec actuel est né de l’élan que lui a donné, il y a plus de quarante ans, la Révolution tranquille par laquelle les Québécois ont décidé de se prendre en main. L’objectif était de créer ici une société moderne sur le modèle du welfare state de l’après-guerre, où un État interventionniste, aidé d’une fonction publique de carrière, assurerait à la fois un développement stable de l’économie et une redistribution de la richesse. Pour certains, cette modernisation devait se faire sans remettre en cause le cadre constitutionnel fédéral ; pour d’autres, il fallait que cette prise en main devienne globale dans un Québec souverain.

Le Québec est perplexe et cherche sa voie

Depuis, le monde a changé. Le modèle du welfare state a été remis en cause par le progrès technologique et la mondialisation qui en a découlé. Même si les deux défis fondamentaux, celui de la création de la richesse et celui de sa redistribution, sont restés les mêmes, les conditions dans lesquelles ils se posent désormais ont été complètement transformées. D’où la nécessité de revoir le rôle de l’État, du marché et des différents acteurs sociaux.

À cet égard, le Québec actuel est perplexe et cherche sa voie. Il n’est pas d’ailleurs le seul. Sur le plan international, la mondialisation et le développement ont produit des résultats ambivalents : création d’une richesse certaine, mais mal répartie entre les riches (pays et individus) qui deviennent plus riches, et les pauvres qui deviennent plus pauvres ; amélioration des conditions de vie, certes, mais détérioration accélérée de l’environnement planétaire. Par ailleurs, sur le plan interne, et notamment au Québec, l’augmentation du coût des programmes et la lourdeur de l’appareil administratif ont suscité une remise en question du fardeau fiscal et des acquis sociaux, en particulier la gratuité des soins de santé et de l’éducation.

Un blocage similaire à celui des années 1950

À mon sens, le Québec aura beaucoup de difficulté à sortir de cette perplexité et à trouver sa voie s’il ne se donne pas de nouveaux horizons capables de mobiliser toutes les énergies de la nation, comme il avait réussi à le faire au moment de la Révolution tranquille. Ayant personnellement connu le Québec des années ’50, je ressens, à l’heure actuelle, le même blocage que j’ai connu à cette époque. Aussi, crois-je que, pour éviter de redevenir une société bloquée et renouveler la problématique de son agir collectif, le Québec a besoin d’un élargissement radical de ses perspectives et de son terrain d’action. C’est ce que permettrait la souveraineté du Québec.

On est souvent porté à croire qu’un Québec souverain ne serait, en définitive, qu’un Québec-province plus gros. Que se sera le même Québec, mais un peu plus costaud. Que le passage du Québec de l’état de province à l’état de pays ne sera qu’une simple évolution linéaire. Que ce sera comme si on mettait un peu plus d’air dans un ballon, qui deviendrait certes plus volumineux mais qui resterait essentiellement le même. Ce n’est pourtant absolument pas le cas.

La souveraineté pour la transformation radicale du Québec

Au contraire, l’accession du Québec à sa souveraineté sera l’occasion d’une transformation radicale du Québec que nous connaissons aujourd’hui. Ce sera la naissance d’un Québec nouveau, tout comme la Révolution tranquille des années ’60 a donné naissance à un nouveau Québec. Pour s’en rendre compte, il suffit d’examiner les principaux changements qui marqueront la différence entre le Québec-province et le Québec-pays. J’en mentionne quelques-uns uns.

• Le Québec, après quatre cents ans d’efforts, deviendra un pays français, définitivement et irrévocablement – ce qu’il n’est pas à l’heure actuelle. Assuré de son identité française, il pourra, avec plus de confiance, mettre en valeur sa propre diversité : nations autochtones, minorités anglaise et communautés culturelles.

• Le Québec deviendra pleinement responsable de lui-même faisant toutes ses lois et percevant tous ses impôts. Par contre, aucun argent ne viendra plus du gouvernement fédéral ou des autres provinces. Donc, nous serons pleinement responsables de ce qui nous arrive, de nos succès comme de nos échecs. Ce changement aura des répercussions psychologiques considérables : il faut voir l’importance qu’a, dans tous les pays, la fierté nationale. Ceux qui pourraient en douter n’ont qu’à se référer au cas de l’Irlande, pays de quatre millions d’habitants, qui, en quelques années, est passé de la position de queue à la position de tête des pays d’Europe.

• Le Québec aura, au même titre que les autres nations, son rôle à jouer sur la scène internationale, rôle que, à l’heure actuelle, il ne peut jouer que dans le cadre limité de la Francophonie ou d’une manière officieuse. Cela permettra non seulement au Québec d’être présent au monde, mais, surtout, au monde d’être présent au Québec.

• Le Québec récupérera un grand nombre de pouvoirs qui présentement lui échappent même s’ils touchent au fonctionnement de sa propre société, ce qui l’empêche de se donner les règles correspondant à ses valeurs et a ses besoins. On pense, par exemple, au droit criminel et à des sujets comme le contrôle des armes à feu, le suicide assisté, les conditions de la libération conditionnelle, l’âge minimal de la responsabilité criminelle, le traitement de la délinquance juvénile, la lutte au crime organisé, l’usage de la marijuana, et j’en passe.

Et il y a ainsi plusieurs autres domaines importants qui ne relèvent pas de notre Assemblée nationale et qui, par conséquent, n’y sont jamais discutés. Il y a, notamment, celui des télécommunications, de la radiodiffusion et des communications de masse. Celui des ondes hertziennes et la téléphonie sans fil. Celui du transport aérien, maritime ou ferroviaire; des brevets et du droit d’auteur; des banques et du commerce bancaire; de la protection de la concurrence et la prévention des monopoles; de la pêche et des pêcheries; des autochtones et des terres qui leur sont réservées. Sans parler des forces armées et de la défense, ni des alliances qui en découlent, ni des industries qui en dépendent.

• Le Québec ne pourra faire autrement que de procéder à une véritable décentralisation en créant des gouvernements régionaux démocratiquement élus et exerçant des pouvoirs étendus. Il est évident, en effet, que l’Assemblée nationale ne pourra prendre la relève du Parlement fédéral sans se délester d’un certain nombre de pouvoirs qu’elle exerce actuellement : autrement, non seulement serait-elle débordée mais le Québec serait excessivement centralisé. On peut penser que des matières comme le développement économique régional; l’implantation et la gestion des équipements culturels, récréatifs et de support aux activités industrielles ou commerciales; l’éducation préscolaire, primaire et secondaire; la santé de première ligne et les politiques sociales, pourraient être confiées aux gouvernements régionaux – avec, naturellement, les ressources fiscales et financières requises.

• Le Québec pourra, pour la première fois, s’approprier sa constitution et ses institutions politiques. Le Québec n’a jamais eu l’occasion d’élaborer sa propre constitution, ni de décider de la nature de ses institutions politiques, car il en a hérité de l’Angleterre. Ce qui veut dire que les Québécois n’ont jamais pu poser eux-mêmes cet acte fondateur par lequel les citoyens d’une nation se donnent, collectivement, un contrat politique fondamental sur lequel ils acceptent de bâtir leur avenir.

On voit donc que le Québec souverain sera bien différent du Québec-province que nous connaissons maintenant. Chacun des six changements que j’ai mentionnés – et il y a en certainement plusieurs autres – aura, en lui-même, des répercussions importantes sur l’état actuel des choses. Mais c’est lorsqu’on les met tous ensemble que l’on peut apprécier la transformation radicale qu’apportera la souveraineté au Québec d’aujourd’hui. Ce sera, littéralement, un autre pays, aussi différent, sinon plus, du Québec actuel que celui-ci est différent du Québec d’avant la Révolution tranquille.

Ce sera un pays pleinement responsable de lui-même, qui n’aura d’autres lois que les siennes, qui ne devra compter que sur ses propres moyens mais qui aura la pleine maîtrise de toutes ses ressources. Un pays français, maître de son immigration et où les immigrants s’intègreront naturellement à la culture dominante ; donc un pays enfin sûr de sa pérennité culturelle et, par conséquent, moins craintif de sa diversité. Un pays complet où rien ne lui est étranger et qui a le contrôle de tous les domaines de sa vie nationale. Un pays présent au monde, solidaire des autres nations et prêt à faire sa part pour la solution des problèmes planétaires et la lutte à la pauvreté dans les nations plus démunies. Un pays décentralisé, où les régions jouissent des pouvoirs et des ressources leur permettant de se prendre en main. Un pays qui s’est approprié sa constitution et ses institutions politiques. En un mot : un pays, un vrai.

Voilà qui est de nature à renouveler la dynamique québécoise et à permettre au Québec de se fixer de nouveaux horizons, à la mesure de ses capacités et de ses rêves.

Bonne Fête Nationale à tous !