Montebello : plus que des policiers infiltrés

2007/09/10 | Par L’aut’journal 


Monsieur le Premier ministre,

Les organisations signataires de cette lettre ont convenu de demander la mise sur pied d’une enquête publique en vertu de la Loi sur les enquêtes concernant la conduite de la police et des services de sécurité lors du sommet du Partenariat pour la sécurité et la prospérité (PSP) à Montebello soit le 20 août 2007 et dans les jours qui l’ont précédé.

Les gestes posés par la Gendarmerie royale du Canada (GRC), la Police provinciale de l’Ontario (PPO) et la Sûreté du Québec (SQ) ont perturbé les manifestations et ont restreint abusivement la capacité des manifestants d’exprimer leurs opinions politiques. De nombreux individus et organisations ont enjoint leurs leaders politiques, la GRC et la SQ d’expliquer et de justifier les gestes posés par les corps de police à Montebello. Toutefois, aucune réponse satisfaisante n’a été reçue.

Les signataires ont des informations à l’effet que la GRC, la PPO et la SQ se sont comportées d’une façon injustifiable et potentiellement illégale :

· La SQ a placé trois agents d’infiltration vêtus en noir, portant des foulards couvrant leurs visages et au moins un de ceux-ci tenait une grosse roche. La présence de ces agents parmi la foule a causé, chez les manifestants, une crainte raisonnable pour leur propre sécurité et a, de plus, véhiculé une image négative de la manifestation perturbant ainsi l’exercice d’un droit fondamental en démocratie;

· La GRC a fait feu avec des balles de plastique de façon injustifiable malgré que rien n’indiquait que l’intégrité physique des policiers, ou d’autres citoyens présents, n’ait été en danger. De plus, l’utilisation d’une telle arme potentiellement mortelle contre les manifestants représente des risques inadmissibles pour l’intégrité physique des participants légitimes à une manifestation;

· La GRC et/ou la SQ ont utilisé de façon injustifiable des armes chimiques et/ou irritantes contre des manifestants paisibles;

· La GRC et/ou la SQ ont, de façon injustifiable, restreint ou tenté de restreindre l’accès des manifestants aux endroits publics. De même, les forces de l’ordre ont porté atteinte au droit des citoyens de se réunir librement en effectuant un contrôle abusif de l’arrivée et du départ des manifestants se rendant et quittant la manifestation de Montebello;

· Dans les semaines qui précédèrent le Sommet sur le PSP, des représentants des forces de l’ordre ont suivi des personnes ayant l’intention de participer aux manifestations et les ont interrogées sur leur participation. Plusieurs organisations ont été aussi contactées et questionnées. Lors de la manifestation du dimanche 19 août tenue à Ottawa, les forces de l’ordre ont systématiquement pris des images vidéo des manifestants descendant des autobus et même, dans certains cas, vérifié leur identité. Ce comportement des forces policières constitue de l’intimidation et a un effet dissuasif sur l’exercice d’un droit fondamental.

Ces comportements soulèvent de très sérieuses préoccupations quant au respect, par les forces de l’ordre et les représentants gouvernementaux, de leurs obligations de promouvoir et protéger la liberté d’expression et le droit à la dissidence. Il est primordial que les forces policières respectent les principes constitutionnels du pays et s’efforcent de préserver, et non pas de saper, les libertés publiques et la sécurité. La conduite policière à Montebello ne démontre pas un tel engagement.

Ce n’est pas la première fois que les pratiques policières font l’objet d’un examen public. Les techniques policières déjà employées lors de manifestations dans le passé furent à ce point préoccupantes qu’elles ont soulevé l’inquiétude des instances des Nations Unies.

En 2005, tant le Comité des droits de l’Homme (CCPR/C/CAN/CO/5) que le Comité contre la torture (CAT/C/CO/34/CAN), faisaient part de leur préoccupation au sujet de l’usage répété, par les forces de l’ordre fédérales et provinciales, de techniques abusives de contrôle de foule lors de manifestations. Les deux instances internationales recommandaient que les autorités examinent leurs techniques de contrôle de foule afin d’assurer le respect du droit de réunion pacifique.

Le Comité contre la torture a enjoint le Canada de procéder, tant au niveau provincial que fédéral, « à une étude publique et indépendante et à un réexamen de sa politique concernant les méthodes de contrôle de foule ».

Le ministre Stockwell Day a suggéré de recourir aux mécanismes gouvernementaux usuels d’examen propres aux divers corps de police (SQ, PPO, GRC). Nous avons considéré le conseil du ministre, toutefois, puisque la GRC avait la responsabilité de l’ensemble des la sécurité lors du Sommet, nous avons décidé de vous soumettre cette demande conformément à la Loi sur les enquêtes afin que cet examen soit aussi transparent et complet que possible.

La question fondamentale est la suivante : La conduite des policiers et des autres agences de sécurité impliquées dans le Sommet de Montebello, incluant les enquêtes qui précédaient le Sommet, le filmage et l’identification des manifestants ainsi que l’utilisation d’agents d’infiltration, a-t-elle eu un effet dissuasif sur l’exercice des libertés d’expression et de réunion? L’enquête devra avoir une portée étendue et devra, notamment, examiner et répondre aux questions suivantes :


1) Qui était responsable de la planification et de la coordination de l’ensemble des mesures de sécurité à Montebello et jusqu’à quel point les bureaux du Premier ministre du Canada, du Premier ministre du Québec et leurs services de sécurité publique respectifs étaient-ils impliqués dans la planification et la coordination de la sécurité à la réunion de Montebello?

2) En particulier, jusqu’à quel point le Cabinet du Premier ministre et/ou le ministère de la Sécurité publique du Canada étaient-ils impliqués dans les instructions données quant aux opérations d’infiltration policière à Montebello? Est-ce que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) savait que des agents de la Sûreté du Québec (SQ) seraient présents, déguisés et participeraient à la manifestation comme on a pu le constater dans la vidéo prise lors de l’événement et ultérieurement diffusée sur le site de You Tube? Est-ce que ces instructions ont été approuvées avant la manifestation, et dans l’affirmative, par qui?

3) Des agences étrangères étaient-elles impliquées dans les opérations policières et quel était leur rôle?

4) Quelles mesures le gouvernement a-t-il prises pour faire enquête au sujet des allégations et des preuves qui indiquent que la police incitait d’autres personnes dans la foule à la violence, incluant l’allégation qui peut être constatée sur la vidéo?

5) Outre la Sûreté du Québec, y a-t-il eu d’autres services de police ou de sécurité canadiens ou étrangers impliqués dans le travail d’infiltration policière relié au Sommet de Montebello?

6) Combien d’agents de police ou d’autres agences de surveillance, étaient mêlés aux manifestants? Qu’ont-ils fait? Comment étaient-ils vêtus? Ces derniers étaient-ils protégés de toutes poursuites criminelles grâce à l’article 25.1 du Code criminel? Et si oui, un officier responsable en a-t-il fait rapport aux autorités compétentes?

7) L’utilisation de balles de plastique par les agents de la GRC était-elle conforme au protocole établi pour l’utilisation d’armes dangereuses? Quels étaient les motifs invoqués pour justifier l’utilisation de balles de plastique à la manifestation du 20 août 2007?

8) L’utilisation de gaz contre les manifestants par la GRC et/ou la SQ lors de la manifestation du 20 août 2007 était-elle justifiée? Quels doivent être les critères appropriés d’utilisation d'armes chimiques ou irritantes?


L’enjeu porte sur le droit fondamental des citoyens de s’exprimer librement, de diverger d’opinion de même que de critiquer les politiques gouvernementales, sans devoir subir l’effet dissuasif et paralysant des abus des forces policières. De tels comportements sont tout simplement inadmissibles pour l’ensemble des Canadiens et Canadiennes. Le public doit être assuré que les responsables de telles actions à Montebello rendent des comptes et que, dans l’avenir, les représentants de l’État ne transgressent plus ainsi les droits et libertés des citoyens.

Nicole Filion, présidente, Ligue des droits et libertés
Grace Pastine, responsable du contentieux, British Columbia Civil Liberties Association

cc Stockwell Day, Ministre de la Sécurité publique
Stéphane Dion, PLC
Gilles Duceppe, BQ
Jack Layton, NPD
Jean Charest Premier ministre du Québec
Jacques Dupuis, ministre de la Sécurité publique du Québec
Dalton McGuinty, Premier ministre de l’Ontario
Michael Bryant, Procureur général de l’Ontario