Pénurie de pompiers, de casernes et de camions

2007/09/24 | Par Pierre Dubuc

Michel Crevier, le président de l’Association des Pompiers de Montréal, excuse son retard à notre entrevue : « Il y a eu un bris d’une conduite d’eau majeure qui dessert l’est de Montréal. Je devais analyser la situation pour voir comment cela pourrait affecter notre travail ».

Il n’y a pas que la désuétude du réseau d’aqueduc qui inquiète les pompiers de Montréal. « On manque d’effectifs, de casernes et de camions et on est en pleine renégociation de notre convention collective », résume Michel Crevier en précisant bien qu’il ne faut pas mélanger ces deux dossiers.

Les primes d’assurance 50% plus élevés à Montréal qu’à Toronto

« Il manque au moins 500 pompiers,12 casernes et 13 nouveaux véhicules sur l’île de Montréal. Quand je suis entré dans le métier en 1978, se rappelle Michel Crevier, nous étions 2400 pompiers pour le territoire de la Ville de Montréal. Aujourd’hui, il n’en reste que 1500 sur le territoire de la Ville et 2300 en tout pour l’ensemble de l’île. »

Ces chiffres, le président de l’Association des pompiers ne les invente pas. Ils sont tirés d’une étude réalisée conjointement avec le Service de sécurité incendie de Montréal (SIM) pour préparer le Schéma de couverture de risques de Montréal. La métropole est la dernière des grandes villes québécoises à devoir présenter son schéma.

« Bien sûr, des progrès technologiques ont été accomplis depuis 1978, mais il n’en demeure pas moins que nous manquons d’effectifs et d’équipements au point où les primes d’assurances sont de 50% plus élevés à Montréal qu’à Toronto », de nous dire Michel Crevier.

Les lacunes se trouvent principalement dans l’est et l’ouest de l’île. « Avec les fusions municipales, nous avons vidé les casernes de la ville de Montréal pour combler les besoins criants des nouvelles municipalités. À certains endroits, les pompiers étaient sur appel. Il n’y avait souvent qu’un seul pompier dans la caserne. »

Tout se joue dans les premières minutes

Pour combler ces besoins, la facture va être salée, Mais l’association des pompiers pense que la sécurité de la population est en jeu. Un événement tragique survenu cet été leur donne raison.

Appelés sur les lieux d’un incendie rue Gonthier dans l’est de la ville, les pompiers ne sont pas arrivés dans les délais prévus avec le nombre suffisant de pompiers tels que définis selon les normes établies. « Tout se joue dans les premières minutes , soutient Michel Crevier. Il faut y être vite et en gang en dedans de cinq minutes. »

Pourquoi ce retard à l’incendie de la rue Gonthier ? Parce que la caserne 40 située à 1,2 km du lieu de l’incendie avait été fermée, le temps que l’exterminateur la débarrasse des rats qui l’avaient investie, et que les camions avaient été relocalisés dans des casernes situées à 2,5 km et 3,2 km du lieu du sinistre.

« On avait pourtant demandé à l’administration municipale de louer une roulotte et la stationner à côté de la caserne 40. Mais personne, semble-t-il, n’était capable de trouver une roulotte », déplore Michel Crevier. Rappelons que cet incendie a fait une victime, Jonathan Guilbault, âgé de 27 ans.

Un climat politique inquiétant

L’autre important dossier, c’est celui du renouvellement de la convention collective. Michel Crevier est bien conscient du climat politique actuel. « On a vu le Parti libéral et l’ADQ intervenir pour menacer d’une loi spéciale les employés d’entretien du métro, alors que les services essentiels étaient assurés et que rien ne troublait la paix publique. »

Il a aussi pris note du récent jugement de la Cour supérieure condamnant le syndicat des cols bleus à une amende de 885 875 $ pour une manifestation à Montréal suite à un recours collectif. « Cela même si le juge a reconnu qu’il n’y avait pas eu de mot d’ordre du syndicat », ajoute un Michel Crevier qui déplore le climat qui est en train de s’installer.

Même si les négociations sont engagées, le syndicat n’a pas déposé de cahier de demandes. « On est bien conscient que tous les syndicats de la ville sont en négociation. Les cols blancs, les cols bleus, les policiers, etc. On ne veut pas donner la chance au maire Tremblay de se présenter devant les caméras en disant que les revendications de l’ensemble des syndicats représentent un montant faramineux. Mais nos revendications sont connues. Nos membres les ont définies en congrès en avril 2006 », précise le président Michel Crevier.

Déjà, l’Association des pompiers a fait savoir à l’administration Tremblay qu’elle ne veut rien entendre du cadre financier lancé sur la place publique par le maire, soit 0% en 2007 et 2% pour les années suivantes. « On a déjà donné, en acceptant le 0% en 2006 pour que la Ville reparte du bon pied. C’est assez », lance-t-il.

Le syndicat ne craint pas l’arbitrage, mais préfère une entente négociée

Les deux parties pourraient se retrouver en arbitrage, mais cela n’inquiète pas Michel Crevier qui me sort une découpure d’un article de journal affirmant que les augmentations salariales prévues pour 2008 sont de 3,8%. Un argument qu’il ferait valoir devant un arbitre. « Mais c’est sûr qu’on vise une entente plutôt qu’un arbitrage, une entente sur la base des demandes de nos membres », s’empresse-t-il d’ajouter.

L’Association des pompiers veut informer la population de ses demandes. « Il y a des nouvelles façons de faire pour aller chercher l’appui de la population. Au cours des derniers mois, on a acheté de la publicité dans les hebdos locaux de quartier. Nos publicités se sont retrouvées dans 800 000 copies. »

Le syndicat a aussi commandé une étude sur les coûteux chevauchements et autres aberrations de l’administration de la Ville de Montréal avec ses dix-neuf arrondissements, fonctionnant comme autant de petites principautés. Enfin, Michel Crevier me rappelle que 2008 marquera le 400e anniversaire de la fondation de la Nouvelle-France et son regard me disait que, s’il évoquait cet anniversaire, ce n’est pas parce qu’il pense accrocher des fleurs de lys à son balcon.