La laïcité défend la liberté religieuse

2007/10/01 | Par Henri Laberge

Dans son éditorial du 16 septembre, l’éditorialiste André Pratte de La Presse dénonce ce qu’il appelle une « laïcité absolue » mais qui n’est plus laïque du tout puisqu’elle correspond à l’athéisme d’État.

Une fausse laïcité

Le titre de son éditorial, « La ville sans clocher », va bien dans le sens de ses insinuations selon lesquelles « plusieurs Québécois » (combien sont-ils et qui sont-ils ?) rêvent d’une société où les croyances religieuses seraient confinées au secret le plus total. Nous ne connaissons personne qui préconise la fausse laïcité décrite par André Pratte et noircie à dessein pour mieux la condamner et mal faire paraître le projet laïque lui-même.

Non seulement la laïcité ne s’oppose pas à la liberté religieuse, elle la défend et elle la promeut. La liberté de croire ou de ne pas croire, la liberté de révéler ou de ne pas révéler ses convictions intimes ainsi que le droit à l’égalité devant la loi sans égard à ce que chacun croit ou refuse de croire sont les fondements mêmes du projet de société laïque.

La « laïcité absolue », si une telle chose pouvait exister dans un monde où tout est relatif, irait dans le sens de la liberté absolue et non dans le sens de l’athéisme officiel. Comme la liberté de chacun est limitée par les droits et libertés des autres, la laïcité rigoureuse (et non absolue) va dans le sens de la plus grande liberté possible en conformité avec les exigences de l’ordre public, de la démocratie et de la primauté du droit.

La distinction entre droit et liberté

Dans son éditorial, André Pratte emploie l’expression « droit à la liberté de religion », tirée la Déclaration universelle des droits de l’homme, pour dire que la religion est bel et bien un droit fondamental. Manifestement, il visait la distinction que nous avons déjà soulignée entre droit et liberté et sur laquelle nous devons revenir.

La distinction entre les deux termes est connue dans les milieux juridiques et ces notions font l’objet d’articles distincts dans les chartes canadienne et québécoise. Elle ne signifie pas que les libertés sont moins protégées ou moins fondamentales que les droits.

Dans le Code civil, un droit est un avantage que quelqu’un d’autre a l’obligation de fournir au titulaire de ce droit. Ainsi, lorsqu’un employé a droit à un salaire, c’est que son employeur a l’obligation de le lui verser.

Une liberté, par ailleurs, est une absence d’interdiction ou de contrainte déraisonnable. Une liberté protégée par une charte suppose qu’il est interdit de l’abolir, mais les contraintes inhérentes à l’exercice de cette liberté sont à la charge de son titulaire. L’objet de la liberté n’a pas non plus à être fourni par un autre. La liberté d’opinion signifie que chacun peut avoir l’opinion qui lui convient, s’associer à des personnes de même opinion et tenter de convaincre. Elle n’implique pas qu’une personne sans opinion puisse revendiquer qu’on lui fournisse l’opinion qu’elle n’a pas.

Les normes civiles prévalent sur les prescriptions religieuses

Ainsi en est-il de la liberté religieuse qui n’implique nullement l’obligation pour l’État et les institutions publiques de procurer à tout adepte d’une religion les instruments de sa pratique religieuse. En cas de conflit entre les normes publiques démocratiquement établies et les prescriptions religieuses, il n’y a pas lieu, au nom d’une liberté religieuse mal comprise, de faire prévaloir les obligations religieuses sur les normes civiles.

Que dit la Déclaration universelle ? Elle garantit le « le droit à la liberté de religion », ce qui veut dire que les citoyens ont droit à ce que la loi de leur pays protège la liberté religieuse ; elle n’accorde pas un « droit à la religion », ce qui impliquerait que les États devraient fournir les moyens d’exercice de chaque religion. Dire cela, ce n’est pas dévaloriser la liberté de religion qui reste une liberté fondamentale.

Une distinction entre lieux et espace publics

Une autre distinction qu’André Pratte ne fait pas est celle entre « lieux publics » et « espace public ». L’espace public désigne habituellement les institutions publiques telles les écoles et les tribunaux. Ce que protège la Déclaration universelle, c’est la liberté de manifester sa religion « en public ». Les lieux de culte ouverts au public, notamment, répondent à cette exigence et le Mouvement laïque québécois ne s’est jamais opposé de quelque façon que ce soit à la liberté d’exprimer ses convictions religieuses en public ou même sur la place publique. Par contre, rien dans la Déclaration n’oblige les institutions publiques à accorder des dérogations à des normes démocratiques sur la base de la religion de chacun.

L'auteur est membre du Mouvement laïque québécois