Habiter le Plateau et en être fier

2007/10/03 | Par Guillaume Vaillancourt

D'abord, précisons ce que nous ne sommes pas.

Nous ne sommes pas un village. Nous sommes 101 000, et s'il est vrai que nous naissons tous égaux, alors il est normal que nous comptions un peu, disons un peu moins que Trois-Rivières (126 000) mais un peu plus que Drummondville (67 000).

Nous n'avons pas imposé la structure des « arrondissements » à Montréal, Québec et Longueuil pour imiter Paris et faire chic. Ce modèle nous a été imposé par le gouvernement du Québec, pour calmer les banlieues du West-Island au moment des fusions / défusions / refusions / agglomérations / confusions.

Nous ne sommes pas des riches. Le revenu moyen des ménages de l'arrondissement est de 41 716$, ce qui nous plaçait en 2000 au 22e rang sur 27 arrondissements. Nous sommes donc sous la moyenne montréalaise en terme de richesse. Bon, admettons ensemble que le nouveau recensement nous placera un peu plus haut sur la liste: nous sommes quand même encore loin de Westmount (142 000$) ou Outremont (90 000$).

Malheureusement, nous ne sommes pas les champions de la réduction des déchets au Québec. Oui, nous habitons l'arrondissement qui recycle le plus à Montréal. Mais l'arrondissement qui jette le moins de sacs verts au dépotoir, c'est celui de Notre-Dame-de-Grâce / Côte-des-Neiges, de l'autre côté de la montagne.

C'est vrai que nous sommes en général assez écolos, comme le sont semblent-ils les gens de Victoriaville et d'autres patelins qui gagnent sûrement à être connus. Parce que l'état de la planète nous inquiète, et parfois aussi parce que « par chez-nous », c'est plus in de manger bio que d'aller au McDo. Faudrait-il en être gênés ?

Nous ne dirigeons pas les médias du Québec. Radio-Canada a des patrons nommés par des patrons qui sont nommés par un gouvernement formé par un parti qui n'a aucun député à Montréal. Quant aux médias privés, cherchez donc du côté de l'Île-des-Soeurs, de Westmount ou de Saint-Bruno, vos chances sont meilleures d'y croiser des magnats des médias !

Oui, nous sommes souvent journalistes, recherchistes ou pigistes. Il y a même parmi nous quelques animateurs-vedettes et quelques comédiens qui font une belle carrière. Faudrait-il en être gênés ?

Nous ne contrôlons pas les gouvernements. Au provincial, les trois quarts du Plateau (Mercier et Ste-Marie / St-Jacques) ont élu des péquistes. Un petit bout du Plateau est rattaché à Westmount / St-Louis et ne vote presque pas, connaissant d'avance le résultat. Au fédéral, nous avons élu le Bloc. Ça ne nous donne pas un gros pouvoir sur Jean Charest, encore moins sur Stephen Harper et Mario Dumont, qui n'ont ni l'un ni l'autre de député à Montréal. Mais il est vrai que nous avons une forte concentration d'attachés politiques dans le coin: quelqu'un croit-il vraiment qu'ils contrôlent leurs patrons ?

Qu'est-ce qui énerve tant ?

Voilà pour ce que nous ne sommes pas. Mais alors, que sommes-nous donc qui énerve tant Mario Dumont, Guy Chevrette et une large part de nos compatriotes ?

Nous sommes souvent des militants. Pour l'indépendance, l'altermondialisme, l'écologie, la paix au Darfour et l'étiquetage des OGM. Ça agace toujours un peu, le discours militant, surtout quand il est filtré, caricaturé et diffusé par médias interposés.

Nous portons aussi à gauche. Tenez, à la dernière élection, dans Mercier, le PQ a gagné, suivi de près par Québec solidaire. Le Parti libéral est arrivé 3e, le Parti vert 4e et l'ADQ... 5e ! L'ADQ en 5e place ! Personnellement, je trouve qu'il y a plutôt de quoi être fier !

C'est vrai, on nous voit souvent dans les journaux et à la télé. Que voulez-vous, nous sommes proches d'à peu près tous les médias dits « nationaux »... je vous jure, ce n'est pas notre faute si la photo qui accompagne l'article que vous lisez en déjeunant a été prise sur le Plateau ! C'est parce que le photographe avait une heure pour aller prendre sa photo et revenir... en leur nom, nous vous présentons nos plus plates excuses. Allez voir leur patron et convainquez-le de payer le billet pour aller prendre des photos à Alma, nous ne nous plaindrons pas, promis!

Et surtout, ce qui agace, c'est que nous sommes nombreux à ne pas considérer que « tous les points de vue se valent ».

Pour la majorité d'entre nous, nous croyons qu'il est socialement plus responsable de payer un gros loyer et de prendre le métro que d'acheter une maison et de traverser les ponts en auto matin et soir.

Pour la majorité d'entre nous, nous croyons qu'il est socialement plus responsable d'acheter « équitable » et dans les commerces locaux que d'aller passer son dimanche après-midi au Wal-Mart ou au Cosco.

Il nous arrive aussi de le dire à notre parenté du « 450 », quelle horeur !

Je veux bien que nous soyons parfois agaçants. Est-ce une raison pour faire de nous les boucs-émissaires de tout ce qui va mal ? Derrière les remarques grasses sur le « maudit Plateau ». n'avez-vous pas l'impression que ce sont les gens qui réfléchissent et tentent humblement d'améliorer notre monde que l'on méprise ?

À votre place, je me méfierais. Ça commence comme ça, et ça finit par un gouvernement néo-duplessiste sans trop qu'on s'en rende compte. Et ça, ça ne sera pas de la tarte. Même pour tous les « 450 » et les « régionaux » qui ont le coeur à la bonne place.

L'hypothèse de l'intello du Centre-Sud

Un ami, résident du quartier Sainte-Marie et donc plus ou moins « hang-around » du Plateau, a répondu ce qui suit à la question « Pourquoi le Plateau énerve-t-il donc autant les Québécois ? »

« Tout ce discours contre le « Plateau » m'inspire une sorte d'hypothèse que je n'ai jamais vraiment eu le temps de formuler et encore moins de vérifier: de la même façon qu'on a généralement tendance à dénigrer un Autre qui nous soit relativement proche, familier et avec lequel on a certains traits en commun malgré tout (ex. avant on faisait des jokes sur les Newfies, mais pas sur les Hongrois, ça aurait été absurde), la culture populaire et médiatique québécoise s'en prend au Plateau comme symbole et non aux autres milieux similaires ou aux vraies élites « riches », parce que ces derniers sont de milieux que le citoyen moyen ne fréquente pas et ne connaît pas bien en réalité (ex. les banlieues cossues du West Island, dont plusieurs patterns pourraient se comparer j'en suis sûr au Plateau).

« Bref, on ne taquine pas ou on ne dénigre pas, par exemple, des quartiers où résident des vieilles familles anglos liées à l'establishment, parce que celles-ci ne font pas partie d'une altérité accessible, elles n'occupent pas une place aussi concrète dans notre imaginaire collectif, tandis qu'un Guy A Lepage, outre sa popularité, c'est un gars « comme nous autres ».

« Je me rappelle aussi que Mario Dumont avait expliqué les résultats de l'élection partielle de Ste-Marie-St-Jacques en avril 2005 en disant que ce n'était pas surprenant que Québec solidaire ait dépassé l'ADQ, puisque le comté se trouvait « à côté » du Plateau... Comme si c'était une contamination! (...) »

Cet article est paru dans l’édition du mois d’octobre du journal Le Couac

L’auteur est coordonnateur de Projet Montréal pour l'arrondissement du Plateau Mont-Royal. Il peut être joint au gv60@hotmail.com