Thomas Sankara, l'homme intègre

2007/10/16 | Par Benoit Rose

Il y a 40 ans cette année mourrait le révolutionnaire argentin Ernesto Guevara, assassiné en Bolivie où il luttait dans le maquis pour transformer le sort de l’Amérique latine. Vingt ans plus tard, le 15 octobre 1987, tombait à son tour sous les balles le président révolutionnaire Thomas Sankara, assassiné au Burkina Faso où il luttait pour sortir son pays, mais aussi l’Afrique, du sous-développement chronique.

Deux hommes dont la mort a fait pleurer un continent entier. Thomas Sankara, surnommé « le Che africain » par beaucoup de ceux qui conservent sa mémoire, est pourtant beaucoup moins connu au Québec que Guevara. Pour commémorer le vingtième anniversaire de sa mort, le Groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique (GRILA) organisait le 15 octobre dernier à l’UQÀM une soirée en son hommage.

La lumière sur sa mort

Comme nous le rappelle Aziz Fall, coordonnateur du Comité international Justice pour Sankara (CIJS), le crime contre l’ancien président burkinabé reste à ce jour impuni. Mais dans une décision qui s’avère un précédent dans la lutte contre l’impunité en Afrique, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a récemment donné raison à la veuve du révolutionnaire, Mme Mariam Sankara, et sommé le régime actuel de Blaise Compaoré de faire la lumière sur l’assassinat de Thomas Sankara.

Comme timide premier pas, le gouvernement burkinabé a remplacé « mort naturelle » dans l’avis de décès par « mort »… Il faut dire que l’on comprend l’actuel dirigeant du Burkina Faso, Blaise Compaoré, un ancien camarade de Sankara, de ne pas se presser pour ouvrir une enquête qui mènerait à un procès. Le rôle précis de Compaoré dans cet assassinat reste obscur, mais selon Aziz Fall, les présomptions pointent lui et l’ancien chef rebelle du Libéria Charles Taylor, ainsi qu’un réseau de soutien extérieur.

Le combat contre l’impunité, qui mobilise 22 avocats bénévoles, n’est donc pas terminé.

L’homme intègre

Thomas Sankara incarne la dernière rupture radicale de type révolutionnaire en Afrique. En quelques années, l’homme au béret rouge a opéré des changements étonnants dans un pays qui, de l’avis de tous, était arriéré et loin de l’autonomie rêvée.

Celui qui a changé le nom de Haute-Volta pour Burkina Faso, qui signifie « Pays des hommes intègres », avait un discours clair et teinté d’humour, comme en témoignent les nombreuses archives télévisuelles du documentaire «Thomas Sankara, l’homme intègre» de Robin Shuffield, projeté le 15 en soirée. Mais surtout, « il faisait ce qu’il disait, et disait ce qu’il faisait », selon Aziz Fall.

D’abord, fait remarquable, le Burkina Faso est parvenu sous sa présidence à l’autosuffisance alimentaire totale. Un véritable exploit. « Si un pays comme le Burkina Faso a pu accomplir ça en quatre ans, de souligner Fall, imaginez ce que pourrait faire un pays comme le Cameroun, par exemple. »

Avancées révolutionnaires

Sankara a mis en œuvre des projets variés pour tenter de relever le pays : reboisement pour repousser la désertification, campagne efficace de vaccination des enfants, désenclavement de toutes les régions du pays par la construction de routes, construction de logements sociaux.

Il a également favorisé l’émancipation des femmes en se prononçant contre le mariage forcé, l’excision et le rôle de l’homme « dirigeant », nommant plusieurs femmes à des postes de ministres au gouvernement et incitant les hommes à faire le marché, une tâche traditionnellement réservée aux femmes.

Le film nous montre un président voulant nettoyer le pouvoir de ses abus. Très tôt, il a diminué son propre salaire présidentiel et celui des ministres, et remplacé les Mercedes utilisées par les ministres par des voitures plus modestes.

Pour donner l’exemple et favoriser la consommation de produits locaux, il a obligé les politiciens à porter un habit de coton proprement burkinabé. Habit qu’on ne portait pas tout le temps, mais qu’on se dépêchait d’enfiler quand le président se pointait…

Envers et contre tous

Sa présidence ne s’est pas déroulée sans critiques de l’intérieur. Les Comités de défense de la Révolution (CDR) par exemple, formés de jeunes gens devant assurer la sécurité, semblaient portés au zèle. « Il y a eu des errements de la révolution, affirme Aziz Fall, et je pense que toutes les révolutions ont fait des erreurs, et lui-même – Sankara - reconnaissait avoir fait des erreurs.»

« À la fin de sa vie, non seulement Sankara allait défroquer, d’expliquer Aziz Fall, mais il était question d’avoir un parti politique et de rentrer dans un système beaucoup plus ouvert. Et les autres n’étaient pas du tout intéressés à ce qu’il y ait ce virage, qui supposait une autocritique et une réflexion plus profonde. Ils détenaient les moyens de l’assassiner, ils avaient le monopole sur les forces de sécurité, et ils vont faire le coup que vous savez…»

Le documentaire de Robin Shuffield nous montre aussi le président burkinabé proposer aux autres dirigeants africains, lors du Sommet de l’Organisation pour l’unité africaine (OUA) à Addis Abeba en juillet 1987, de refuser en bloc de rembourser la dette extérieure. « Si le Burkina Faso, tout seul, refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence ! »

La gauche doit apprendre

Selon Aziz Fall, la gauche africaine, malade, doit absolument apprendre des expériences en cours, celles de l’Amérique latine notamment. « C’est une chose que les Africains font très mal. Nous avons malheureusement une répétition incroyable d’événements historiques dont nous ne savons pas tirer les leçons. »

« Mais l’optimisme africain, ajoute-t-il, différent de l’angoisse existentielle occidentale, fait que l’Afrique refuse le rythme effréné de la mondialisation, et montre qu’il existe encore des valeurs humaines fondamentales, essentielles, à ce que cette mondialisation se fasse »


À lire :
Le livre «Thomas Sankara parle», tout juste publié aux éditions Pathfinder
Lien internet :
Le site du GRILA, qui fait circuler une pétition concernant la campagne Justice pour Sankara