Alcan : où était la Caisse de dépôt ?

2007/10/17 | Par Pierre Dubuc

Le Québec ne pouvait voir s’envoler outre-frontière le contrôle de son plus important producteur indépendant et de son plus grand utilisateur industriel d’hydroélectricité sans que cela ne provoque quelques remous politiques.

Le chef de l’Opposition officielle Mario Dumont a questionné bien timidement l’absence de la Caisse de dépôt dans le dossier, mais cela a immédiatement provoqué une levier de boucliers. Le premier ministre Charest l’a accusé de vouloir « jouer au Monopoly » avec le « bas de laine » des Québécois. Les éditorialistes de La Presse ont emboîté le pas. Mais le débat est loin d’être clos.

(Sur la photo: Alcan, à Beauharnois)

Le projet avorté de contrôle des principaux leviers économiques

Dans un article paru dans Le Devoir du 17 juillet 2007, Rodrigue Tremblay révélait qu’en 1979, alors qu’il était ministre de l’Industrie et du Commerce dans le premier gouvernement de René Lévesque, il avait anticipé ce qui est vient de se produire.

Pour le contrer, il s’était entendu avec les trois grands de la finance québécoise, soit la Banque Nationale, le Mouvement Desjardins et la Caisse de dépôt et de placement pour mettre sur pied une banque d’affaires québécoise, dont la vocation première devait être de garder le contrôle de grandes entreprises rentables et stratégiques pour le développement économique futur du Québec.

Le premier ministre René Lévesque était d’accord. Mais, selon Rodrigue Tremblay, des oppositions venant de l’intérieur même du gouvernement firent échouer le projet, provoquant sa démission.

Le changement de mandat de la Caisse

Aujourd’hui, nul n’imagine Mario Dumont vouloir prendre le relais de Rodrigue Tremblay même s’il affirme qu’« avec le gouvernement Charest, on a l’impression de revenir 50 ans en arrière et de laisser des entreprises étrangères nous dépouiller de nos richesses ».

Par le passé, Dumont a attaqué sans relâche le « dirigisme » du Parti Québécois et il a appuyé le changement de mission de la Caisse qui relaye au second plan sa contribution au développement économique du Québec et lui donne d’abord mandat de « gérer en recherchant le rendement optimal du capital de ses déposants. »

Hier encore, Dumont n’aurait pas hésité à co-signer les propos de l’éditorialiste André Pratte lorsqu’il écrit : « Quand l’État a voulu se substituer aux forces du marché, les résultats ont souvent été catastrophiques. Pensons, dans le cas de la Caisse, aux aventures de Steinberg, Provigo, Vidéotron. »

Mais Dumont est un habile politicien et il sait que la Caisse court de grands risques de se retrouver dans la tourmente au cours des prochains mois précisément pour avoir « gérer en recherchant le rendement optimal du capital de ses déposants ».

La Caisse de dépôt en eaux troubles

Bien que les médias cherchent à minimiser l’affaire, la Caisse de dépôt risque de perdre beaucoup d’argent dans la crise du papier commercial à risque (PCAA), conséquence de la crise des liquidités aux États-Unis.

Sur les 35 milliards investis en papier commercial à risque au Canada, la Caisse en détiendrait de 13 à 20 milliards. Elle pourrait perdre plus d’un milliard dans l’aventure. On comprend pourquoi la Caisse s’est empressée, lorsque la crise a éclaté, de mettre sur pied un comité spécial – connue sous le nom de « Comité de la proposition de Montréal » – pour éviter une liquidation du PCAA non bancaire. Le Comité devait clore ses travaux le 15 octobre. Il vient d’annoncer une prolongation de deux mois.

C’est à cette situation que fait discrètement référence Mario Dumont quand il soulève le fait que le Québec ne compte que pour 15,7% de l’actif des déposants géré par la Caisse, dont la moitié porte exclusivement sur des obligations émises par le gouvernement et les organismes du secteur parapublic. Cela signifie que seulement 8% des actifs de la Caisse sont directement investis dans notre économie.

Quand le Casino remplace le Monopoly

On aurait pu croire que la Caisse avait profité de l’explosion du titre de l’Alcan avec les offres d’Alcoa et de Rio Tinto, mais il n’en fut rien. La Caisse avait largué le titre de l’Alcan nous apprend son rapport annuel. Son portefeuille est passé en un an de 8 millions d’actions à 5,7 millions, ce qui lui a fait perdre 60 millions $. Elle s’est aussi départie de toutes ses actions de Bell – ratant là aussi l’explosion du titre – et de presque la moitié de ses actions de CGI, de 40% de ses actions de Jean Coutu et ainsi de suite.

Les dirigeants de la Caisse ont administré le « bas de laine » des Québécois, non pas en jouant au Monopoly mais au Casino !

Ils ne sont pas les seuls parmi les institutions québécoises. La Banque Nationale a dû racheter au cours des dernières semaines pour 2 milliards de PCAA pour protéger sa réputation. Son pdg, Louis Vachon, a fait sa carrière dans les produits dérivés. Le PCCA étant le plus ingénieux d’entre eux, il y a englouti l’argent de sa banque. Quelques-uns des fonds mutuels de la Banque Nationale ont jusqu’à 40% de leurs actifs en PCAA.

Le plus ironique est que M. Vachon est un descendant de la famille beauceronne des petits gâteaux Vachon. Il aurait été préférable qu’il investisse dans la fabrication de Jos Louis plutôt que dans les PCAA.

Henri-Paul Rousseau se trouve bon

En 2006, le pdg de la Caisse de dépôt, Henri-Paul Rousseau, a doublé sa rémunération, pour atteindre 1,65 million $, avec une prime spéciale de 728 310 $ comme reconnaissance pour « la performance supérieure réalisée par la Caisse ».

Il est intéressant de rappeler que, lorsqu’il avait accédé à la direction de la Caisse de dépôt en mai 2002, l’ancien pdg de la Banque Laurentienne avait accepté une importante diminution de salaire de 1,3 million $ à 500 000 $ en disant : « Dans les motivations d’un travail, il y a le salaire et la rémunération, mais il y a aussi le défi, l’environnement et la capacité de réaliser des choses » (La Presse 30 mai 2007)

Non seulement Henri-Paul Rousseau a-t-il rapidement compris qu’il pouvait arrondir ses fins de mois avec des primes, mais il n’a pas hésité à partager la recette. En 2006, la Caisse a versé une somme record de 40 millions en primes. Elles ont représenté plus du tiers (34,1%) de la masse salariale totale de la Caisse (Le Devoir, 31 mai 2007).

Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras

Pendant que le Québec perd avec la vente de l’Alcan non seulement un de ses joyaux industriels, mais également une partie de son patrimoine hydro-électrique – rappelons, entre autres, que le lit de la rivière Saguenay a été concédé pour l’éternité à l’Alcan (aujourd’hui à Rio Tinto) – l’argent des Québécois disparaît dans les méandres des produits dérivés de la Bourse.

André Pratte nous dit que lorsque « l’État a voulu se substituer aux forces du marché, les résultats ont souvent été catastrophiques. Pensons, dans le cas de la Caisse, aux aventures de Steinberg, Provigo, Vidéotron. »

On pourrait lui rétorquer que, si c’était à refaire, nos agriculteurs exerceraient de fortes pressions pour que la Caisse intervienne afin d’empêcher la vente de Provigo à Loblaw et préserver leurs réseaux de distribution.

De même, si le titre de Videotron a perdu plus de cinq fois de sa valeur l’année de son acquisition par Quebecor (plutôt que par Rogers), il l’a presque repris depuis et il vaut pas mal plus cher que les PCAA non-bancaires.