Alcan : Rio Tinto liquide déjà des emplois

2007/10/17 | Par Pierre Dubuc

Quand la compagnie anglo-australienne Rio Tinto s’est portée acquéreur de l’Alcan pour un montant de 38,1 milliards $, les syndicats ont immédiatement sonné l’alarme.

Non seulement il apparaissait évident que, malgré les assurances du gouvernement, le maintien du siège social de l’entreprise à Montréal et la création d’emplois de 2e et 3e transformation de l’aluminium au Saguenay Lac-Saint-Jean étaient sérieusement compromis.

Mais le risque était également grand que Rio Tinto, une entreprise dont les activités sont concentrées uniquement dans la première transformation, liquident les opérations de 2e transformation (dont les usines d’emballage) et d’autres activités.

Les faits leur donnent raison. La transaction n’est pas encore complétée – elle le sera le 23 octobre – que, déjà, les rumeurs courent quant à la cession à la sous-traitance des installations portuaires de l’Alcan à La Baie. Une opération qui toucherait 170 travailleurs syndiqués.

(Sur la photo: Alcan, Shawinigan)

Le pari de Rio Tinto

Alain Proulx, le directeur régional des TCA-Québec, nous explique les motifs des inquiétudes syndicales. « Rio Tinto s’est endetté jusqu’au cou pour l’achat d’Alcan. Pour assainir sa situation financière, elle va vendre tout ce qui ne touche pas ses opérations primaires ».

Les analystes financiers ont parlé du pari risqué de Rio Tinto. Tout dépend de ce que fera la Chine. L’an dernier, la Chine a consommé 24% de tout l’aluminium produit dans le monde, mais cela ne l’a pas empêché d’être un exportateur net avec 28% de la production mondiale. Celle-ci augmente toujours. En janvier 2007, la Chine a importé 1,6 million de tonnes de bauxite, soit cinq fois plus qu’en janvier 2006.

Mais l’électricité utilisée provient de centrales au charbon dont le mégawatt coûte deux fois le cours mondial. Produire une tonne d’aluminium en Chine coûte entre 2 000 $ et 2 200$, alors le coût s’établit entre 1350 $ et 1400 $ pour l’Alcan.

Le pari de Rio Tinto est que la Chine va préférer acheter de l’aluminium de Rio Tinto pour libérer de l’énergie afin de combler ses autres besoins industriels. Un pari risqué aux yeux de plusieurs.

Le ministre Prentice ne connaissant pas le dossier

Pour Alain Proulx et les syndiqués de l’Alcan, la transaction ne sert pas les intérêts du Québec et il faudrait la bloquer ou, à tout le moins, imposer des conditions à l’acheteur. Une délégation a rencontré, le 17 octobre, le ministre fédéral de l’Industrie Jim Prentice pour lui demander d’imposer des conditions de maintien d’emplois au Québec à Rio Tinto.

« Le ministre peut fixer des conditions en vertu de la Loi sur les investissements – dont il est responsable – avant d’autoriser la vente d’Alcan à Rio Tinto », d’expliquer Alain Proulx. « Nous lui avons expliqué que l’entente de continuité avec Alcan qu’a signé le gouvernement du Québec ne comporte aucun niveau d’emplois ».

Alain Proulx a mis sur la table du ministre les chiffres suivants : « Depuis 1985, la région a perdu 35% des emplois de l’Alcan. Au Complexe Jonquière, avec la fermeture des cuves Soderberg et l’introduction d’une nouvelle technologie, le nombre d’emplois va diminuer de 64% en dix ans, passant de 1794 en 2005 à 650 en 2015. L’usine Vaudreuil, la seule usine d’alumine au Canada, n’est pas garantie dans l’entente de continuité ».

Le ministre Prentice n’a pas fait preuve d’une grande écoute. « Il ne semblait pas trop connaître le dossier », de nous dire Alain Proulx.

Pas d’intervention dans l’axe anglo-saxon

Depuis plusieurs mois, le gouvernement Harper est interpellé pour intervenir face aux prises de contrôle de joyaux (Inco, Dofasco, Alcan) de l’industrie canadienne par des firmes étrangères.

Jusqu’à tout récemment, la réponse était qu’il n’y avait pas péril en la demeure et que la valeur des acquisitions canadiennes d’entreprises étrangères équivalait à celle des prises de contrôle étrangères.

Mais un récent rapport de la firme Secor établit qu’au cours des trois dernières années, malgré l’appréciation du dollar canadien, les firmes étrangères ont acquis au Canada 40 milliards d’actifs de plus que les firmes canadiennes à l’étranger.

Le gouvernement Harper a réagi par la bouche du ministre Prentice. Il a déclaré qu’il est important « que nous protégions le Canada et les éléments d’actifs canadiens dans certaines circonstances où des entreprises étatiques étrangères pourraient intervenir ».

Dans cette déclaration, le mot-clef est « étatique ». Dans le contexte actuel, cela vise uniquement des prises de contrôle par des société d’État chinoises, indiennes ou brésiliennes jugées dangereuses pour les intérêts stratégiques du Canada.

En 2004, les Conservateurs avaient poussé de hauts cris à la Chambre des communes lorsque la société d’État China Minmetals Corp avaient tenté de prendre le contrôle de Noranda.

Par contre, le gouvernement Harper n’a manifesté aucune intention de bloquer l’achat d’Alcan par Rio Tinto ou d’imposer des conditions à la compagnie, même si l’aluminium est un matériau stratégique de la première importance et que l’Alcan est le plus important producteur indépendant et le plus grand utilisateur industriel d’hydroélectricité au Québec.

Rio Tinto est une compagnie anglo-australienne et l’Angleterre et l’Australie font partie de l’axe ango-saxon si cher au gouvernement Harper.

Cela n’empêchera pas les syndiqués de l’Alcan de faire de cette transaction un enjeu important de la prochaine campagne électorale fédérale en interpellant leur député conservateur, le ministre Jean-Pierre Blackburn.

(Demain : Alcan : Où était la Caisse de dépôt ?)