Les PPP et les municipalités

2007/10/17 | Par Pierre J. Hamel

Ce texte est un extrait d’une recherche de l’INRS intitulée Les partenariats public-privé (PPP) et les municipalités. Les intertitres sont de l’aut’journal.

Tout comme l’affirmait la présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget, les PPP ne sont pas une panacée, un médicament miracle qui permettrait de solutionner tous les problèmes, partout et toujours. Plus particulièrement dans le cas des municipalités, les PPP n’offrent pas de solution magique au réel problème de financement de leurs infrastructures.

Le problème du financement des infrastructures municipales ne tient pas à la disponibilité des fonds nécessaires, ni non plus au coût des emprunts.

À vrai dire, pratiquement personne ne conteste cette évidence qui crève les yeux : les municipalités d’ici n’ont aucune difficulté à emprunter toutes les sommes nécessaires à leurs investissements; qui plus est, elles bénéficient des taux d’intérêts les plus avantageux qui soient, bien meilleur marché en tout cas que les taux auxquels empruntent les entreprises privées qui ont les meilleures cotes de crédit.

Même que de nombreux propagandistes de la formule des PPP ne remettent pas en question cette réalité flagrante et ils l’admettent sans contestation; mais, du même souffle, ils insistent sur le fait que, globalement, les PPP demeureraient financièrement avantageux puisque les économies réalisées par ailleurs (par un design innovateur apportant des solutions inédites, par une meilleure efficacité au moment de la construction — concernant notamment les délais et le respect des devis et des échéanciers — et par une gestion plus astucieuse des opérations) permettraient de compenser le surcoût objectif dû au taux d’emprunt consenti aux entreprises privées.

(Sur la photo : le chantier de l'îlot Voyageur de l'UQÀM, le 17 octobre 2007)

Quand Bernard Drainville propageait des légendes urbaines

Les municipalités peuvent emprunter facilement toutes les sommes qu’elles veulent investir dans leurs infrastructures et plus personne ne le conteste.

Je me souviens d’une entrevue en 1996 avec Bernard Drainville, à une époque où couraient des rumeurs (qui s’avérèrent fondées) à l’effet que, autant à Montréal qu’au gouvernement du Québec, certains parmi les fonctionnaires et les élus jonglaient plus ou moins ouvertement avec des scénarios de privatisation.

Drainville revenait sans cesse avec les mêmes questions tenaces qui tournaient toutes autour de cette légende urbaine persistante selon laquelle les municipalités seraient désargentées et pratiquement insolvables.

Le reportage avait conservé au montage plusieurs de ces questions qui avaient le don de faire monter mon exaspération, jusqu’à ce que j’enjoigne le reporter de se renseigner avant de continuer à colporter des faussetés; coupure et réouverture sur Drainville sortant de chez Dominion Bond Rating et reconnaissant, l’air étonné, qu’il semblerait en effet que les municipalités n’ont aucune difficulté à se procurer tout l’argent dont elles ont besoin pour investir dans leurs infrastructures.

Les municipalités empruntent à des taux plus avantageux

Personne ne remet en question le fait que les sommes nécessaires sont disponibles et accessibles et absolument personne ne doute de cet autre fait : les municipalités d’ici empruntent à un taux qui est toujours meilleur que celui qu’obtiendrait la plus solide entreprise privée.

Est-ce bien la peine d’insister? Il est commun de lire sous la plume de ceux qui font la promotion des PPP que, oui, les taux d’intérêts consentis aux municipalités sont bien entendu plus avantageux que ceux qu’obtiennent les entreprises.

Mais ils ajoutent toujours que, même en dépit de cet évident désavantage de départ, les PPP finissent par être moins coûteux et plus intéressants. C’est à voir pour la suite. Pour l’instant, engrangeons ce consensus universel : les municipalités empruntent à de meilleures conditions.

Les PPP : un cadeau aux investisseurs privés

On peut souligner qu’en faisant la promotion des PPP, un des objectifs mis de l’avant par nos gouvernements est d’ouvrir de nouvelles occasions d’affaires aux investisseurs.

Un virage vers les PPP permettrait aux gestionnaires des fonds de pension d’ici d’investir ici (comme ils le font déjà ailleurs) dans des opérations stables et solides comme les services d’eaux municipaux; on insiste notamment sur le fait que nos fonds de pension (qui sont responsables de faire fructifier nos épargnes) en sont réduits à chercher ailleurs des occasions d’investir dans l’eau ou dans les transports en commun.

Le ministre fédéral des Finances Jim Flaherty en 2006 ne disait pas autrement :

« L’un des grands défis consiste à maximiser l’impact des dépenses fédérales. On peut y parvenir en tirant parti de sources de financement novatrices par l’entremise de partenariats public-privé (PPP). Un recours accru aux PPP offrira aussi aux caisses de retraite et aux autres investisseurs canadiens la possibilité de participer à des projets d’infrastructure au Canada plutôt que d’avoir à le faire à l’étranger, comme c’est souvent le cas maintenant. » (Avantage Canada- Bâtir une économie forte pour les Canadiens)

Incidemment, cela revient à admettre (l’évidence) que les PPP offrent aux investisseurs un meilleur rendement que les obligations municipales qui normalement financent les mêmes services municipaux.

Il est certain que les Caisse de dépôt et placement du Québec, Teachers’ et autres OMERS de ce monde, mais aussi quantité de banques et de fonds d’investissement privés (l’australienne Macquarie, la franco-belge Dexia et autres) ont tout intérêt à voir se développer les PPP

Ils l’expriment on ne peut plus clairement sur toutes les tribunes qui s’offrent à eux. Comment concilier l’intérêt de la personne qui est à la fois citoyen, contribuable et futur retraité bénéficiaire d’une rente qui pourrait être mieux garantie par de meilleurs rendements de l’organisme qui gère son fonds de pension?

Une mauvaise solution à un problème inexistant

Il ne faudrait pas tout confondre et les PPP ne devraient être considérés comme intéressants que s’ils améliorent quelque chose pour la municipalité et ses citoyens, pas pour un fonds de pension et ses retraités.

Laisser au partenaire privé la responsabilité d’assumer le financement, alors que le financement municipal classique est simple, facile et bien meilleur marché que l’équivalent privé, c’est une mauvaise solution à un problème inexistant; mais il n’en demeure pas moins que certains ont intérêt à ce qu’on pense qu’il y a des problèmes… parce qu’ils ont des solutions à nous vendre!

On ne peut avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière

On lit donc de moins en moins souvent que les PPP compenseraient la difficulté qu’auraient les municipalités à dénicher un prêteur ou que les PPP donneraient accès à du financement à meilleur marché; ce sont des affirmations beaucoup trop visiblement fausses et parfaitement intenables et, de nos jours, tout le monde en convient.

En revanche, on retrouve encore une autre contrevérité de la même eau, mais qui réussit à se maintenir ici et là, comme par mystification.

Ainsi, certains persistent à mettre de l’avant qu’un PPP permettrait de bénéficier d’un actif, l’immeuble de son hôtel de ville ou les murs d’un garage municipal par exemple, sans que cela ne se traduise par un emprunt inscrit au passif — ce qui est tout à fait juste : on ne s’engage pas à rembourser un emprunt mais à payer un loyer — et donc, passe-passe, sans que cela n’affecte le crédit de la municipalité.

C’est trop beau pour être vrai! À vrai dire, c’est très précisément le cas : c’est en effet trop beau pour être vrai! C’est un triomphe de la pensée magique et c’est croire qu’on peut avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière, tout à la fois.

Un loyer affecte le crédit comme un emprunt

Quiconque a déjà contacté une institution prêteuse pour contracter un emprunt personnel aura fini par constater que toutes les questions qui lui sont posées visent à calculer la capacité d’emprunt (ou de remboursement); tous auront noté que le montant du loyer payé pour un logement loué vient diminuer d’autant la capacité d’emprunter.

Pour un individu comme pour une institution, le prêteur cherche à identifier les engagements à long terme; si un bail annuel éventuellement reconduit à son échéance est significatif en ce qui a trait à la capacité de remboursement d’un ménage, qu’en est-il d’un engagement ferme sur vingt-cinq ou trente ans pour une municipalité?

À voir la réaction de la firme Moody’s, on pourrait croire que ses responsables estiment qu’un PPP est un véritable partenariat, au sens fort du terme, en ce qu’il implique un engagement à long terme, pour le meilleur et pour le pire.

L’exemple de l’îlot Voyageur de l’UQAM

Et comme le pire, qui n’est pas souhaitable, n’en demeure pas moins possible, Moody’s a rabaissé la cote de crédit de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) parce qu’elle s’est engagée dans un PPP important : ce n’est qu’une promesse de payer un loyer pendant une longue période, mais c’est régi par un contrat.

Et de fait, il semblerait que Moody’s avait raison en février : voici qu’en décembre, on reconnaît que le projet, qui soit dit en passant est passablement avancé, s’engage vers des dépassements de coûts et depuis, le projet baptisé « Îlot Voyageur » défraie la manchette chaque semaine.
 
Le mythe des engagements PPP hors bilan est encore, pour un certain temps, une vérité d’État au Royaume-Uni : grâce à un traitement comptable particulier, discutable et discuté, le gouvernement a fait construire en PPP quantité d’écoles et d’hôpitaux sans devoir porter au passif les engagements correspondants, ce qui lui permet d’afficher une baisse apparente de la dette publique.

Mais voici que les comptables rechignent (enfin) à accepter l’inacceptable et cette question a déclenché un passionnant débat politico-comptable qui fait rage présentement.

Le problème des municipalités : des revenus insuffisants

Les véritables problèmes des municipalités concernent le rythme insuffisant d’investissement dans l’entretien, la réhabilitation et la reconstruction des infrastructures existantes. Ces problèmes ne viennent pas d’une difficulté à emprunter ou d’une incompétence des services techniques municipaux — on sait assez bien comment faire.

Le problème tient au volume des revenus municipaux qui est souvent insuffisant pour rembourser les emprunts qui seraient nécessaires. Et la difficulté est de convaincre qu’il faut payer plus dès maintenant (et à jamais) pour s’assurer que jamais rien ne change : pas très excitant ni très vendeur!

Les PPP pour introduire la tarification

Or les PPP n’offrent aucune solution, dès lors que les besoins de financement annuel ne sont pas diminués : en effet, les déboursés à couvrir demeurent, car les sommes à verser chaque année au promoteur sont, de toute façon, (plus ou moins) du même ordre de grandeur que ne le seraient les remboursements annuels d’un emprunt municipal contracté pour un projet classique.

Les PPP ne permettent pas de diminuer le volume des déboursés, mais en revanche, l’instauration d’un PPP peut servir de paravent pour faciliter l’introduction d’une tarification, ce qui permettrait de diminuer les impôts généraux ou d’utiliser les sommes dégagées à d’autres fins.

Tarification ou imposition? Équité verticale, équité horizontale, efficacité, efficience, transparence, effets pervers, etc., la tarification est bien sûr une question de finances publiques qui, en elle-même, n’a rien à voir avec la formule des PPP.

En effet, d’ores et déjà, une municipalité peut imposer un système de tarification toutes les fois que c’est techniquement et politiquement possible.

L’entrée en scène d’un partenaire privé peut alors être invoquée pour (prétendre) justifier l’imposition d’un tarif pour défrayer un service qui, auparavant, était payé à même le budget consolidé et les impôts généraux.

Mais, à vrai dire, cela n’a pas grand-chose sinon rien à voir, car de nombreux services en régie sont tarifés alors que de nombreux PPP sont financés par le budget consolidé.

On peut même faire en sorte que le partenaire privé soit récompensé de ses efforts en fonction du volume de service rendu, tout comme s’il y avait un tarif, mais sans que les usagers ne déboursent quoi que ce soit : c’est le « péage fantôme » (shadow tolling) où, par exemple, le gouvernement, à même le budget de l’État, paie au concessionnaire privé d’une autoroute un quasi tarif en fonction du nombre de passages.

Il faut retenir que les PPP ne changent rien sur le fond, mais qu’ils peuvent parfois modifier la mise en scène et faciliter l’acceptabilité d’une tarification à l’usage.

Les vraies solutions sont connues

Les voies de solution au manque de revenus municipaux sont connues, mais elles ne sont pas pour autant plus faciles (sinon, ce ne serait plus un problème!) : à défaut d’obtenir un transfert des gouvernements supérieurs qui couvre la totalité des coûts d’un investissement, que ce soit pour une construction neuve ou pour la réhabilitation d’infrastructures existantes, la municipalité doit forcément augmenter ses impôts ou ses tarifs (ou couper ailleurs dans ses dépenses), peu importe qu’elle économise le montant à débourser au fil des ans ou qu’elle l’emprunte pour répartir les sorties de fonds sur un plus longue période.

C’est un problème de finances publiques des plus classiques où ce qui est central, c’est la capacité politique des autorités municipales de mobiliser leur monde en faisant des choix qui remportent l’adhésion des citoyens.

Ce n’est pas nouveau : il a toujours été plus populaire de promettre « du pain et des jeux » ou un nouvel aréna ou un nouveau terrain de foot que d’annoncer qu’il faudra consacrer des sommes importantes pour maintenir en bon état un aqueduc (fut-il romain) ou pour s’assurer de la pérennité d’un réseau d’égout qui fonctionne à peu près correctement, des infrastructures invisibles et dont personne ne se soucie jusqu’à ce qu’elles ne flanchent pour de bon.

Le fait de recourir à un PPP ne facilite pas en soi le travail proprement politique de la persuasion des contribuables de la nécessité immédiate d’efforts supplémentaires pour préserver l’avenir.

Pour une diversification des sources de revenu

Les municipalités comme leurs associations réclament des gouvernements supérieurs des paiements de transfert plus importants, que ces paiements de transfert soient pérennisés et elles demandent également une diversification de leurs sources de revenus en se voyant reconnaître le droit d’aller chercher des revenus supplémentaires sur des assiettes fiscales qui ne leur sont pas accessibles.

Ce faisant, les municipalités acceptent ce qui leur paraît inexorable et elles ne remettent pas en question le long processus de dépossession qui a vu les gouvernements supérieurs exproprier les municipalités d’impôts qu’elles avaient déjà eus; pour ne donner qu’un seul exemple, il suffirait de rappeler que les premières loteries légales étaient municipales, sous le nom de « taxe volontaire ».

Toutes ces questions sont passionnantes, mais pas immédiatement pertinentes pour la question des PPP.