Michou d’Auber

2007/11/04 | Par Benoit Rose

Le scénariste français Messaoud Hattou revenait tout juste de Rouyn-Noranda, où son film Michou d’Auber a été accueilli de façon extraordinaire au Festival du cinéma international d’Abitibi-Témiscamingue.

Rencontré à Montréal, il me confie avoir été bouleversé par le dernier documentaire de Richard Desjardins et Robert Monderie, Le peuple invisible, projeté en grande première au festival. Dans ce film traitant du sort des communautés algonquines au Québec, le scénariste a trouvé de quoi faire un parallèle avec sa propre histoire. « Cette manière de changer l’identité, d’effacer la mémoire de la culture. Ça m’a vraiment bouleversé. C’est très très fort. »

Contraints de renier leur identité

Son film Michou d’Auber, c’est l’histoire vraie mais romancée du scénariste lui-même qui, au début des années soixante, comme plein d’autres enfants d’origine algérienne en France, a été placé chez des villageois contraints d’arrondir les fins de mois en prenant à leur charge des enfants de l’Assistance publique.

Les conditions économiques étant ce qu’elles étaient dans la région du Berry, se rappelle Hattou, les fermiers avaient comme ça des dizaines de gamins de l’Assistance et parfois quelques aliénés mentaux. Lui avait été placé avec son frère à l’Assistance publique par leur père, alors que sa mère était hospitalisée pour plusieurs années.

Les petits Arabes comme Messaoud Hattou étaient contraints de renier leur identité, la langue de leurs parents, leur culture et leur religion.

Messaoud devient Michel

Dans le Berry où il a été accueilli par Gisèle et Georges, interprétés dans le film par Nathalie Baye et Gérard Depardieu, on pouvait lire Mort aux Arabes écrit au pinceau sur les murs. Dans la cour d’école, les petits camarades de Messaoud jouaient aux paramilitaires et aux Algériens.

On déconseillait ainsi fortement à Messaoud de fréquenter les enfants arabes. « C’était comme les manouches, ou les gitans, les gens du voyage quoi. C’était : Attention, c’est dangereux. »

Messaoud, interprété par le jeune Samy Seghir, a pourtant eu le bonheur et la chance de tomber sur un couple de villageois qui l’ont aimé profondément, et dont la vie a été transformée par sa venue. Gisèle, voulant protéger l’enfant et le couple lui-même des préjugés des villageois, décida néanmoins de troquer le nom de Messaoud pour Michel Daubert, et de le faire passer pour un petit Français du Nord aux cheveux blonds.

Même Georges, ancien combattant de l’Algérie et grand admirateur du général de Gaulle, ne devait rien savoir des origines du gamin.

Beaucoup de petits Michous

Hattou a écrit le scénario en compagnie de son ami Thomas Gilou, qui signe la réalisation. « Sur le plan sociologique, résume Hattou, ce qu’on a voulu faire dans le film, c’est que d’abord, ça ne soit pas simplement que ma petite histoire à moi. C’est l’histoire de milliers et de milliers de gens qui ont été classés à l’Assistance publique, et où il y en a beaucoup – et c’est pour ça que je rejoins le film de Desjardins – qui ont subi des sévices et qui ont été très malheureux, battus.»

Le frère de Messaoud, comme nous le laisse croire le long métrage, s’est retrouvé dans des conditions beaucoup plus sombres que lui.

Tout au long de sa tournée pour Michou d’Auber, l’auteur dit avoir croisé plein de Michous, des Farid qu’on a appelés Robert, des petits Algériens dont on a changé l’identité.

Il revient à son visionnement du Peuple invisible, où les enfants algonquins étaient placés dans des pensionnats catholiques et devaient parler français. « Ils ont été abusés. J’en ai rencontré un hier soir qui me disait qu’ils les mettaient à genoux, etcetera… C’était terrifiant. » À Rouyn-Noranda, Hattou a pu rencontrer des chefs autochtones et s’est permis une visite à Longue Pointe, dans une réserve. « Parce que j’avais envie d’y aller, de voir. Pour moi, ça a été passionnant. »

Un film lumineux et tendre

On pourrait croire que Michou d’Auber est un drame lourd sur fond d’abus et de racisme, or c’est davantage à un film lumineux, souriant et tendre auquel on a droit. Parce qu’au-delà du contexte politique et social, c’est surtout à une rencontre intime, constructive et originale entre l’enfant d’Aubervilliers et le couple français que nous convient les auteurs.

Pour Gilou, c’est avant tout un film sur l’enfance, et un peu sur la sienne. Pour Hattou, c’est aussi l'histoire de Georges, qui apprend à aimer un enfant, à lui communiquer ses valeurs en oubliant ses vieux principes.

Gérard Depardieu a justement grandi dans le Berry. L’histoire, il la connaissait déjà beaucoup. Il dit avoir été témoin de choses plus violentes que ce que l’on voit dans le film, où une bande de racistes jouent aux voyous la nuit.

L’apport immense de Depardieu

Depardieu avait un ami qui avait fait la guerre d’Algérie, et qui en était revenu « complètement sonné ». « Il dormait avec son flingue et gardait un collier dans du formol», dit-il, faisant référence à un collier d’oreilles maghrébines. Cet élément a été intégré dans une scène où un camarade de Messaoud lui montre les petits trésors de son père.

« Il y avait un racisme qui était très fort, exprimé de façon brute, directe, continue Hattou, c’est-à-dire la non acceptation de l’autre, la négation de l’existence d’un autre peuple. Carrément. Pour eux, ça les gênait : on est Français, on est Français. On ne peut pas être d’ailleurs. »

Depardieu a parfaitement compris cette histoire, et a lui-même financé l’écriture du scénario. Selon lui, on retrouve dans ce sujet magnifique des choses dont on a évité de parler pendant longtemps en France.

Comment qualifier l’apport de Depardieu dans le projet? « C’est énorme », souligne Hattou.

Ramener la problématique de la guerre d’Algérie

Messaoud Hattou a vécu cette histoire à partir de 1964, mais Gilou a judicieusement proposé de la situer quelques années plus tôt, ce qui permet de faire un parallèle important entre le déroulement de la guerre en Algérie et les années de Messaoud chez Gisèle et Georges.

« C’était très important de ramener la problématique sur la guerre d’Algérie. Il n’y a eu que récemment l’acceptation de faits de guerre. Avant, on appelait ça que des petits événements. Quand on s’aperçoit qu’en octobre 1961, y’a plus d’une centaine de personnes qui sont jetées dans la Seine pendant les manifestations sur l’autodétermination, c’est gravissime ! »

« Dans le film, précise-t-il, on ne voulait pas montrer qui est responsable de ça. Pour nous, la problématique c’était plutôt de dire : Plus jamais ça. Plus la guerre pour la guerre. La connerie humaine. »

Le film ne révolutionne pas le septième art. Mais il y a de ces projets qu’on sent guidés par le cœur de ses artisans. Soyez avertis par l’auteur de ces lignes : Michou d’Auber pourrait bien parvenir à vous faire pleurer comme un gamin.

Un peu comme pleure Messaoud Hattou lorsqu’il regarde son film et se revoit gamin dans le Berry. « C’est vrai qu’à chaque fois que je revois le film, je pleure. Ça me fait quelque chose, je ne sais pas comment l’expliquer, mais c’est viscéral. C’est étonnant. »

Michou d’Auber, une réalisation de Thomas Gilou, à l’affiche depuis le 2 novembre