« L'ESPRIT D'ASSIÉGÉS », DE TRUDEAU À CHAREST

2007/11/06 | Par François-Xavier Simard

Il y a cinquante ans, Gérard Pelletier écrivait, au sujet de « l'état de siège culturel où nous plaçait, voilà deux siècles, l'invasion anglaise », que cet « état de siège a pris fin […et que] l'état de siège favorise l’autoritarisme, alors que la paix incline les citoyens à revendiquer leur liberté. » (Cité libre, février 1957, p. 34-37)

L'année suivante, Pierre Elliott Trudeau poussait plus loin ce raisonnement : l'autoritarisme aurait existé même avant la conquête anglaise et expliquerait notre manque d'intérêt pour la démocratie : « Quant au peuple canadien-français, il a hérité dès sa naissance de traditions autoritaires (l'Église, la monarchie absolue, le système féodal), et sous le régime anglais il a poursuivi son développement avec une mentalité d'état de siège (cf. G. Pelletier) : rien d'étonnant dès lors à ce que la démocratie ne nous colle pas au corps. […] L'immoralisme électoral et civique des Canadiens français, leur penchant pour l'autoritarisme, les thèses anti-démocratiques qu'ils apprennent au collège, […] tout cela constitue autant de caractéristiques d'un peuple qui n'a pas encore appris à se gouverner lui-même, d'un peuple où la démocratie ne peut pas être prise pour acquise. » (Cité libre, octobre 1958, p. 18-19)

À son tour, en 2007, Jean Charest vient « dénoncer cet esprit d'assiégés » en faisant un curieux raisonnement. Il commence par reconnaître que « nous sommes nous-mêmes une minorité à l'échelle continentale », mais nous ne serions pas assiégés culturellement selon lui : au contraire, nous sommes « ce Québec confiant qui a conquis le monde ».

Dans le projet de loi sur l'identité québécoise, qui vise le renforcement de cette « minorité à l'échelle continentale » par l'exigence que les candidats à la citoyenneté québécoise aient une connaissance suffisante de la langue officielle comme dans tous les pays, Charest voit « un repli sur soi indigne de notre nation profondément démocratique […] Je me battrai avec toutes mes énergies pour dénoncer cet esprit d'assiégés. » (Le Devoir, 30 octobre 2007)

Dans le recyclage de cette vielle accusation de mentalité d'état de siège, chère à Trudeau, il faut sans doute voir la main du nouveau chef de cabinet de Charest, Daniel Gagnier, « qui était l'homme de main de M. Trudeau à Londres, avant de prendre la direction du Centre d'information pour l'unité canadienne (CIUC), qui était ni plus ni moins l'ancêtre du programme des commandites. » (Michel David, Le Devoir, 25 septembre 2007 ) 

L'auteur a publié Le vrai visage de Pierre Elliott Trudeau (Les intouchables, 2006)