Le coût de la vie

2007/11/06 | Par Michel Rioux

« Tous les hommes sont égaux aux yeux de la raison et de la justice, il ne faut pas altérer cette éternelle vérité, » s’est un jour écrié Robespierre. Faut croire que certains continuent d’être plus égaux que d’autres…

En Gaspésie, en 2006, des pêcheurs pas trop regardant rapport à la survie des espèces ont été condamnés à des amendes totalisant 86 733 $ pour braconnage. L’appât du saumon interdit, voyez-vous.

La même année, un individu de Laval a écopé une amende de 14 302 $ pour braconnage. Deux cerfs de Virginie et un nombre indéterminé de truites avaient été l’objet d’une attention un peu trop soutenue aux yeux des agents de la faune.

En juin dernier, dans la région de Gatineau, des braconniers ont dû débourser 23 425 $ pour chasse illégale de cerfs de Virginie.

Le 18 septembre, une entreprise a été reconnue coupable de négligence criminelle à la suite d’un accident qui a causé la mort de deux ouvriers de la construction à Saint-Constant, sur la Rive-Sud de Montréal. Voici ce qu’en disait le communiqué de la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST) : « La CSST considère que l’employeur Grandmont et fils a agi de manière à compromettre sérieusement la sécurité des travailleurs. Pour cette infraction, l’amende peut varier de 5 000 $ à 20 000 $ pour une première offense… »

173 travailleurs de la multinationale de la banane Chiquita ont été tués en Colombie ces dernières années par des paramilitaires dont il a été établi qu’ils étaient financés par cette compagnie. Pour fermer le dossier, les tribunaux ont condamné Chiquita à verser une amende de 25 millions $, prenant bien soin cependant de mettre les dirigeants de la multinationale à l’abri de toute poursuite.

La Presse canadienne rapportait que le dimanche 30 septembre, des milliers de personnes, policiers et agents de la paix, s’étaient rassemblés à Ottawa pour rendre hommage à leurs 738 collègues morts au Canada dans l’exercice de leurs fonctions depuis la Confédération. Quatre nouveaux décès se sont ajoutés cette année. Si mes calculs sont bons, cela fait quelque chose comme 5,2 policiers et agents de la paix qui meurent en moyenne dans ce pays chaque année en lien direct avec leur occupation.

Une rapide recherche permet de constater qu’au Québec seulement, au cours des trois dernières années, pas moins de 124 ouvriers de la construction sont morts d’un accident de travail : 32 en 2004, 53 en 2005 et 39 en 2006, soit une moyenne de 41,3 ouvriers pas année. J’entends encore Michel Chartrand vociférer contre le fait qu’au Québec, il y avait davantage d’agents pour protéger la faune que d’inspecteurs de la CSST pour protéger la santé et la sécurité des ouvriers de la construction.

L’immense majorité de ces gardiens de la loi décédés en fonction ont eu droit à des funérailles officielles. À chaque occasion, on voit débarquer à l’église des centaines de confrères qui, souvent, arrivent des Etats-Unis et du Canada. Quand ce n’est pas le premier ministre lui-même qui se déplace pour manifester son soutien à la famille éplorée. Il n’est pas question ici de mésestimer la peine des familles de ces policiers. C’est toujours triste de perdre un proche.

Mais une question demeure, lancinante et pénible comme le mal de tête de Jacques Laperrière dans le temps : pourquoi la vie de cueilleurs de bananes et celle d’ouvriers de la construction vaut-elle, à l’évidence, pas mal moins cher que celle de policiers ? Ou même, si on en juge par le niveau des amendes, moins cher encore que la peau d’un caribou ou d’un saumon de l’Atlantique ?

Il est arrivé parfois, dans l’histoire, que des révoltes, parfois même des révolutions, éclatent parce que le monde ordinaire n’arrivait pas à trouver de réponse à des questions en apparence aussi simples.

Michel Rioux

Ce texte apparaît dans l'édition de novembre 2007 du journal satyrique Le Couac