Le pichet à Picher

2007/11/06 | Par Michel Sawyer

Le chroniqueur de La Presse, Claude Picher, soumettait samedi dernier à ses lecteurs une fable qui circulerait présentement sur Internet et qui refléterait, selon lui, assez fidèlement la fiscalité du Québec. Il n’a pu se retenir, écrit-il, pour nous faire connaître ce bijou.

Racontons brièvement. Dix hommes se rencontrent tous les jours pour prendre une bière. La facture monte à 50 $. Chacun paie selon ses revenus, ce qui explique que le plus riche paie 29,50 $, tandis que les quatre derniers ne paient rien.

Tout va bien jusqu’au jour où le tenancier du bar décide d’offrir à ses bons clients une remise de 10 $. Les dix hommes se partagent la remise dans les mêmes proportions, ce qui fait que les quatre derniers «continuèrent à boire gratuitement» (sic) et le cinquième, qui ne payait que 50 cents, ne paie plus, créant ainsi «un pauvre de plus» (re sic).

Le plus riche encaissant la plus grande part de la remise, la bisbille s’installe entre nos dix hommes à cause de ce nouveau partage qui profite d’avantage au plus riche. Ce dernier bénéficiant d’une remise de 5 $ sur sa facture.

Le lendemain, le plus riche ne se montre pas et, au moment de payer, les neuf hommes découvrent qu’ils n’ont pas assez d’argent.

La morale, selon cette fable, est la suivante : « Les gens qui paient le plus d’impôts tirent le plus de bénéfices d’une réduction de taxe et, c’est vrai, ils resteront riches. Mais si vous les taxez encore plus fort et les condamnez à cause de leur richesse, ils risquent de ne plus se montrer. »

Compenser le déséquilibre du marché

Voyons ça de plus près. D’abord, à la quantité de bière qu’ils boivent, ils devraient prendre un pichet.

Ensuite, lorsque les contribuables acceptent de mettre de l’argent en commun en payant leurs impôts, ce n’est pas pour boire de la bière mais pour se payer des services publics.

Deuxièmement, s’ils paient de façon inégale, c’est parce qu’ils doivent compenser pour le déséquilibre que crée le marché de l’emploi.

Ceux qui « boivent gratuitement » ne paient pas parce que le marché ne rémunère pas suffisamment leur travail pour qu’ils puissent contribuer… comme si une partie de leur travail était faite gratuitement.

La fiscalité reconnaît ce fait car c’est son rôle d’atténuer le déséquilibre créé par le marché.

Ainsi, ceux qui ne paient pas sont tout à fait justifiés de réclamer leur part de la remise. En fait, ils ne demandent rien d’autre que l’État réduise encore davantage l’écart créé par le marché.

Enfin, l’absence de l’homme le plus riche le lendemain laisse perplexe. S’il n’est pas revenu parce qu’il se serait senti trop taxé, c’est qu’il peut se permettre de se retirer comme si son activité économique était basée non pas sur son intérêt mais sur sa bonne volonté.

Il a alors eu une réaction bien irrationnelle de délaisser une situation qui l’a enrichi pour s’en aller ailleurs. À moins qu’il ait tout simplement décidé d’aller boire sa bière tout seul dans un paradis fiscal…

Là, nous sommes d’accord : le pichet à Picher, c’est vraiment pédagogique!

Michel Sawyer
Président général
Syndicat de la fonction publique du Québec