On ne nous sert que du Dallaire

2007/11/07 | Par Claude G. Charron

Treize années ont passé depuis le drame rwandais et nos médias n’en nous servent que la version Dallaire. Pourtant, hormis dans les pays anglo-saxons, de plus en plus de voix s’élèvent contre cette façon de voir.

La version Dallaire affirme que les tueries n’ont débuté que le 7 avril 1994 suite à l’application systématique d’une décision hautement planifiée par les Hutus au pouvoir d’éradiquer la minorité tutsie. La version Dallaire répète que n’était qu’un simple «accident d’avion» l’attentat qui, la veille de ce 7 avril, avait coûté la vie au président Habyarimana.

La version Dallaire nous décrit Paul Kagamé comme un «bon gars ». Elle refuse de considérer le chef du FPR (1), à propos des tueries de 1994 au Rwanda tout autant que la guerre qui se perpétue au Congo, comme l’homme de main de Washington afin de bouter la France hors d’Afrique centrale.

Dallaire, mur à mur

On nous avait fait le coup en 2004 à l’occasion du dixième anniversaire de ce massacre: Dallaire était de tous les talk shows, blâmant les Nations Unies de l’avoir laissé tomber, accusant la France d’avoir été «l’alliée des génocidaires».

Mais personne dans nos médias ne songeait à inviter Robin Philpot venant pourtant alors de publier un essai au titre percutant: Ça ne s’est pas passé comme çà Kilgali. (2)

Idem aujourd’hui alors que Dallaire promène partout sa tête de grand dépressif. À Christiane Charrette comme à Tout le monde en parle, il est venu ploguer le film J’ai serré la main du diable. Et culpabiliser les Québécois dans leur refus de «verser du sang» (sic) en Afghanistan.

Pendant tout ce temps, ni Charrette ni Lepage pas plus que Derome et Sophie Thibault n’ont eu la décence d’inviter Robin Philpot alors qu’est arrivé en librairie Rwanda – Crimes, mensonges et étouffement de la vérité. (3) Vive le droit du public à l’information!

Deux messages en couverture

Par son «persiste et signe» Philpot démontre qu’il veut régler ses comptes avec une Presse qui l’avait traîné dans la boue.

André Noël, expert en coups fourrés, avait gribouillé à la une du 8 mars dernier que Philpot «niait le génocide rwandais», un Philpot qui était alors candidat péquiste dans Saint-Henri-Sainte-Anne pour le rendez-vous électoral du 26 mars.

Second message en couverture: dessin de l’immense continent africain avec tout petit carré rouge pour le minuscule Rwanda. Et tout-à-côté, les drapeaux des États-Unis, de la Grande-Bretagne et du Canada, trois pays qui, de l’avis de Philpot, ont été gravement impliqués dans ce qui constitue des crimes et des affreux mensonges dans le drame rwandais.

La voix de Boutros Boutros-Ghali et bien d’autres

L’auteur avait placé en exergue de son premier livre une importante déclaration de Boutros Boutros-Ghali. En octobre 1993, celui-ci, à titre de secrétaire général des Nations Unies, avait nommé Dallaire responsable militaire de la MINUAR(4) .

Or, cinq ans plus tard, il déclarait que «le génocide au Rwanda (était) à cent pour cent la responsabilité américaine.» Pas du tout ce que pense son ex-protégé!

Philpot écrit qu’à celle de Boutros-Ghali d’autres voix se sont ajoutées. Des voix rendues muettes comme celles de deux missionnaires québécois. D’abord, le père Claude Simard tué à coups de marteau en 1994. Ensuite, le père Guy Pinard abattu alors qu’il célébrait la messe le 2 février 1997. Philpot est en colère.

Comment se fait-il que le gouvernement canadien ait si peu réagi auprès de Kigali à propos de ces deux meurtres? Des témoins avaient pourtant signalé que les deux assassins ont été reconnus comme étant des gens dans l’entourage de Kagamé.

Mais Philpot fait surtout parler des gens bien en vie. Crédibles surtout par les fonctions mêmes qu’ils ont exercées, comme par exemple Abdul Joshua Ruzibiza, ex-cadre FPR. Ou comme le Sénégalais Amadou Deme qui, avant d’avoir enquêté pour le TPIR (5), a été en 1993 et 1994 en charge des renseignements pour…le général Dallaire.

Autant de témoignages déjà colligés par Pierre Péan dans son remarquable essai publié en 2005: Noires fureurs, blancs menteurs, Rwanda 1990-1994. Deux autres témoignages sont d’importance, ceux de Bernard Lugan et Serge Desouter, spécialistes en histoire du Rwanda et témoins experts pour le TPIR.

L’Ordonnance du juge Bruguière

Il reste que le dossier le plus accablant demeure l’Ordonnance du juge Bruguière dont les journaux canadiens et étasuniens ont à peine mentionné l’existence, «entre autres, ajoute Philpot, parce qu’elle provenait de la France, pays plus que jamais méprisé dans le monde anglo-saxon.»

Le juge Bruguière se dit convaincu que Paul Kagamé et l’état-major du FRP «avaient, peu après les accords de paix d’Arusha d’août 1993, conçu l’opération menant à l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, l’avaient soigneusement planifiée, avaient recruté les militaires chargés de la mettre en œuvre et avaient supervisé son exécution.

Dur coup porté à la statue Dallaire que ce qu’écrit Bruguière et que rapporte ci-devant Philpot: «Ce renforcement militaire des troupes du FPR à Kigali, à l’aide de missiles et d’autres armes transportées clandestinement, se faisaient sous les yeux des troupes de la MINUAR et en violation des accords de paix d’Arusha d’août 1993.» Où se cachait donc notre général à ce moment là?

Louise Arbour, coqueluche de médias

Est ensuite interpellée par Bruguière Louise Arbour, une autre coqueluche de nos shows à plogue. Celle qui a été juge de la Cour suprême et qui est maintenant haute commissaire des droits de l'Homme à l'ONU, était à l’époque procureure du TPIR.

Après avoir reçu favorablement l’avis de ses enquêteurs qui avaient recueilli des preuves selon lesquelles l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion d’Habyarimana avait été planifié et exécuté par des militaires du FPR, Louise Arbour aurait, «sans explication et en contradiction avec ses consignes antérieures, mis abruptement fin à l’enquête, prétextant cette fois que l’attentat ne faisait pas partie du Tribunal.»

Boutros-Ghali nous révèle que la France et le Nigeria, membres du Conseil de sécurité, souhaitaient le renforcement de la mission militaire au Rwanda alors que le tandem Etats-Unis-Royaume-Uni en étaient opposés. Dallaire et son film affirment le contraire. Qui dit vrai ? Que font nos médias pour rétablir les faits ? Nothing !

(1) FPR: Front patriotique du Rwanda
(2) Aux Éditions Les intouchables, Montréal 2003
(3) Aux Éditions Les Intouchables, Montréal 2003
(4) Le MINUAR : Mission des Nations Unies au Rwanda
(5) Le TPIR : Tribunal pénal international au Rwanda