Les aléas de la Couronne espagnole

2007/11/13 | Par Benoit Rose

Sa majesté Juan Carlos 1er de Bourbon, souverain d’Espagne depuis la mort du général Franco en 1975, traverse un automne pour le moins houleux. Des indépendantistes catalans au président vénézuélien Hugo Chavez, en passant par sa majesté le roi du Maroc Mohammed VI, le monarque d’Espagne accumule les frictions politiques.

Déjà au mois de juillet, la famille royale espagnole se voyait égratignée par l’hebdo satyrique El Jueves : la couverture de son numéro 1573 présentait un dessin du prince Felipe prenant par derrière son épouse Letizia, alléché par la prime à la natalité de 2500 euros offerte par le gouvernement de José Luis Zapatero. «Tu te rends compte, si tu tombes enceinte, ce sera la chose qui ressemble le plus à un travail que j’aurai faite de ma vie !».

La Justice espagnole n’a pas ri du tout. Elle a fait saisir par la police les exemplaires du journal dans les kiosques, et le Parquet général de l’État a estimé dans sa plainte que «le dialogue attribué à leurs Altesses porte un grave discrédit au prestige de la couronne». Le dessinateur et le directeur de la revue ont été condamnés à 3600 euros pour «injure à la famille royale».

Le roi en Catalogne

À la mi-septembre, alors que le roi d’Espagne se rendait en visite officielle à Gérone en Catalogne, un jeune indépendantiste catalan du nom de Jaume Roura mettait le feu à une immense affiche de Juan Carlos 1er et de la reine Sofia. Dix jours plus tard, en solidarité avec le jeune homme qui, de par son «acte injurieux contre la couronne royale» risquait de six mois à deux ans de prison, plusieurs centaines de manifestants antimonarchistes – des républicains et des indépendantistes catalans - ont brûlé sur la place publique des dizaines de photos du couple royal.

La Justice n’a pas tardé à exiger des noms. Finalement, voulant apparemment éviter de nouvelles provocations, les juges de l’audience nationale à Madrid ont laissé aller deux jeunes indépendantistes interpellés.

Selon François Musseau, correspondant à Madrid pour le quotidien français Libération, «l’affaire a déclenché la polémique au sein de la classe politique. Les conservateurs du Parti populaire (PP) accusent l’exécutif régional de Barcelone de ‘ne pas faire respecter la loi’. Les indépendantistes catalans d’Esquerra (ERC) revendiquent, eux, ‘la liberté d’expression’ et demandent à ce que le code pénal soit modifié et ‘cesse de protéger des rois illégitimes’».

Même la radio catholique conservatrice Cope et son présentateur Frederico Jimenez Losantos ont incité celui qui descend de Louis XIV à abandonner son trône. À droite, le roi est généralement jugé trop modéré. Exaspéré et critiqué de tous les côtés, Juan Carlos tente depuis quelque temps de réaffirmer son autorité au pays «à grands coups de cérémonies et d’actes protocolaires», selon François Musseau.

Deux rois et un malaise diplomatique

Les 5 et 6 novembre, une autre visite officielle de Juan Carlos 1er attisait le mécontentement à son égard : alors que le couple royal se rendait auprès des populations des enclaves espagnoles de Ceuta et Mellila, situées au nord du Maroc, son homologue le roi Mohammed VI condamnait vivement ce déplacement, jugé inopportun et regrettable.

Le Maroc revendique officiellement les deux territoires espagnols. Le Premier ministre marocain Abbas El Fassi a ainsi évoqué en chambre le «droit inaliénable, légitime et indiscutable du Maroc de réintégrer ces terres à sa souveraineté».

Informé à l’avance de la visite royale dans les enclaves, sa majesté Mohammed VI avait déjà fait rappeler au pays son ambassadeur en Espagne pour une période indéterminée. Par voie de communiqué, tandis que le roi d’Espagne était chaudement accueilli par ses sujets, le roi marocain s’est indigné «face à cet acte nostalgique d’une ère sombre et décidément révolue».

L’Espagne maintient que les enclaves sont des territoires espagnols depuis plus de 400 ans, soit avant même que le Maroc ne devienne un État indépendant. «En tant que roi qui doit tout à tous les Espagnols, j’avais l’obligation de visiter Melilla avec la Reine», s’est justifié Juan Carlos.

Le roi en Amérique latine

Figure autoritaire à lourde charge symbolique en Amérique latine, sa majesté d’Espagne a fait preuve d’impatience envers le président vénézuélien Hugo Chavez samedi dernier, lors du 17e Sommet ibéro-américain à Santiago au Chili.

Las d’entendre Hugo Chavez rouspéter devant l’intervention du Premier ministre espagnol Zapatero, qui demandait davantage de respect pour son prédécesseur espagnol José Maria Aznar, que Chavez venait de qualifier de fasciste, Juan Carlos 1er a lancé furieusement à Chavez «Pourquoi tu ne te tais pas !», avant de quitter la salle de conférence où étaient réunis les dirigeants d’Amérique latine et d’Espagne.

Chavez prétend ne pas l’avoir entendu. Le lendemain, il a toutefois jugé qu’il était imprudent pour un roi de dire à un président de se taire. «Nous sommes tous égaux, a-t-il ajouté. Il faut en finir avec les mauvaises habitudes monarchistes. Nous ne sommes les sous-fifres d’aucune couronne.»

Il a par ailleurs suggéré que le roi Juan Carlos 1er avait été informé à l’avance du bref coup d’État contre lui en avril 2002, renversement que le Premier ministre Aznar avait immédiatement reconnu à l’époque.

(Photos: le roi et la reine d'Espagne en visite à Ceuta / timbre espagnol à l'effigie de Juan Carlos 1er)

(Avec Libération, MAP, Le Monde, AFP et AP)