Les accommodements dans un Québec souverain

2007/11/14 | Par Intellectuels pour la souveraineté

En quoi la gestion de la diversité et les accommodements raisonnables seraient différents dans un Québec souverain?

Micheline Labelle et François Rocher, appuyés par Badiona Bazin, Marc Brière, Louise Brouillet, Claude G. Charron, Jocelyne Couture, Pierre de Bellefeuille, Vanessa Dorvily, Jacques Fournier, Daniel Gomez, Andrée Lajoie, Marilyse Lapierre, Louis La Rochelle, Philippe Leclerc, Gordon Lefebvre, Georges Pagé, Ercilia Palacio-Quintin, Gilbert Paquette, Yves Rocheleau, tous membres du C.A. des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO).


La Commission Bouchard-Taylor a reçu le mandat d’analyser les enjeux liés aux pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles. Toutefois, la réflexion prend pour acquis un contexte particulier, celui de l’insertion du Québec au sein du Canada.

Bien qu’il soit facile de comprendre qu’une Commission mise sur pied par le gouvernement de Jean Charest ne veuille pas analyser toutes les options possibles, il n’en demeure pas moins que parmi les 60 questions formulées dans le document de consultation, aucune n’aborde comment la problématique des accommodements se poserait dans un Québec souverain.

Les exigences de la Charte canadienne

Qu’il soit permis ici de noter que les références au contexte canadien sont peu nombreuses dans le document. Pour l’essentiel, on rappelle l’existence de la Charte canadienne des droits et libertés qui, tout comme la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, reconnaît le droit à l’égalité, vise à contrer la discrimination et renforce la tradition démocratique libérale de notre société.

Nulle part n’est-il fait mention du fait que l’article 27 de la Charte canadienne prescrit que «toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens».

Cette exigence constitutionnelle a-t-elle une quelconque signification sur la manière de comprendre l’approche québécoise en matière de gestion de la diversité culturelle? La Commission ne se pose pas la question.

En revanche, elle précise que le multiculturalisme canadien a été rejeté par le gouvernement du Québec depuis le début des années 1980 alors que ce dernier a adopté une politique de l’interculturalisme.

La contradiction entre la constitutionnalisation du multiculturalisme et son rejet par le Québec ne semble pas faire trop de problèmes pour les rédacteurs du document de consultation.

Contradiction entre multiculturalisme et interculturalisme

Pourtant, il s’agit, selon nous, d’un problème majeur qui contribue à alimenter les ambiguïtés qui entourent la manière dont la société québécoise se représente et, plus fondamentalement, la manière dont les personnes issues de l’immigration perçoivent les termes de leur insertion au Québec.

Les politiques fédérale du multiculturalisme et québécoise de l’interculturalisme entrent en contradiction. Pourquoi? Dès son adoption en 1971, la politique du multiculturalisme de Pierre Elliott-Trudeau visait à disqualifier la vision biculturelle du Canada à laquelle bien des Québécois étaient attachés.

Pour Pierre Elliott-Trudeau: «Dire que nous avons deux langues officielles, ce n'est pas dire que nous avons deux cultures officielles, et aucune n'est en soi plus officielle qu'une autre. Une politique de multiculturalisme doit s'appliquer à tous les Canadiens sans distinctions».

Aujourd’hui, elle a pour objectifs non seulement de favoriser la justice sociale et la participation civique, mais aussi de renforcer l’identité: «instaurant chez des personnes aux antécédents variés un sentiment d'appartenance et d'attachement au Canada». La valorisation de l’identité canadienne va de pair avec le renforcement de l’unité canadienne. Ces objectifs sont indissociables.

L’interculturalisme pour éviter la création de ghettos

La politique québécoise prend sa source dans le Livre blanc sur la culture (1978) qui privilégiait les idées de rapprochement, de valeurs communes, d’évitement des ghettos.

Aujourd’hui, elle a également comme objectifs la justice sociale, la participation civique, mais elle vise le renforcement de l’identité québécoise : «Le Québec interculturel se construit sur des valeurs et des principes d’actions qui fondent la cohésion de la société» (Charte des droits et libertés de la personne, Charte de la langue française, qui permet au peuple québécois d’exprimer son identité, Code civil, etc.).

De plus, la politique interculturelle stipule clairement que le Québec, contrairement au Canada, est une société dont le français est la langue commune de la vie publique et s’attend, à juste titre, à ce que tous les Québécois contribuent à son épanouissement.

Tous les gouvernements du Québec (de 1981 à ce jour) se sont opposés à la politique publique du multiculturalisme. Ils l’ont fait non parce qu’ils étaient contre la reconnaissance du caractère pluriel de la société québécoise, mais parce que la politique fédérale ravale, depuis 1971, la nation québécoise au rang de minorité ethnique.

Cette politique continue à le faire aujourd’hui malgré les discours de façade comme la reconnaissance du fait que les Québécois forment une nation dans un Canada uni.

Les gouvernements du Québec l’ont fait également parce qu’ils cherchaient à renforcer un socle de valeurs communes québécoises. Or ces contradictions entre les deux façons de définir le Québec ont des effets structurants sur l’intégration sociale et politique des nouveaux arrivants. La souveraineté permettrait de lever cette ambiguïté référentielle.

Le débat dans un Québec souverain

Le débat sur la gestion de la diversité serait différent dans un Québec souverain pour trois raisons.

D’abord, la souveraineté permettrait de consolider et d’élargir la nation québécoise en jetant les bases d’une citoyenneté inclusive et pluraliste.

Le Québec élaborerait une politique de la citoyenneté ancrée dans une histoire et une spécificité fièrement revendiquées. En effet, une politique de gestion de la diversité qui s’appuie sur les notions de moralité et de culture, par exemple «le contrat moral d’intégration» ne suffit pas à constituer un facteur d’attraction pour les nouveaux arrivants et les nationaux.

Une politique de la citoyenneté, assortie de nos acquis en matière d’interculturalisme et de lutte au racisme, interpelle tous les citoyens du Québec quelle que soit leur origine. Elle prend sa pleine mesure lorsqu’un État souverain peut légiférer sur les conditions de naturalisation et d’acquisition de la citoyenneté et sur ses implications légales et politiques.

Les valeurs morales et culturelles variant considérablement au sein de toute société, ne vaut-il pas mieux renforcer l’idée d’un socle de principes politiques inscrits dans une Constitution du Québec? C’est à la lumière de ce socle que devrait s’élaborer la gestion de la diversité et des accommodements raisonnables.

Ensuite, la souveraineté atténuerait l’insécurité qui se manifeste au sein de la nation québécoise quant à son statut minoritaire au sein de la fédération canadienne. Chez certains, elle serait éliminée par la constitution d’un État qui fournirait un pôle d’intégration clair.

Elle rassurerait également un grand nombre de citoyens irrités par la confusion qui entoure la dualité des idéologies et des politiques publiques de référence: le multiculturalisme versus l’interculturalisme, le bilinguisme versus le français comme langue officielle, la Charte canadienne versus la Charte québécoise.

De plus, la souveraineté éliminerait l’épée de Damoclès que représente la possibilité d’une interprétation rétrograde et restrictive de la Charte de la langue française par la Cour suprême du Canada. En somme, les questions d’allégeance et de loyauté à l’endroit de la société d’accueil (canadienne ou québécoise) ne se poseraient plus, ce qui en soulagerait plus d’un.

Finalement, la souveraineté permettrait aux représentants du Québec de valoriser notre diversité et d’apporter notre contribution sur la scène internationale tout en s’inscrivant et en participant activement à la mise à jour des normes internationales en matière de respect des droits de la personne et de la gestion de la diversité. Depuis longtemps, le Québec affirme que les réseaux de ses citoyens d’adoption sont des fenêtres sur le monde.

Un bon nombre de questions que se pose la Commission Bouchard-Taylor ne disparaîtraient pas du jour au lendemain à la suite de l’accession du Québec à la souveraineté. En effet, la discrimination systémique, les inégalités économiques, l’inégalité dans la participation et la représentation politique des Québécois de diverses origines, la xénophobie, continueraient à interpeller toutes les composantes de la société québécoise.

De la même manière, le caractère pluriel de la société québécoise continuerait à soulever des débats sur les accommodements raisonnables, la laïcité, les politiques d’inclusion et de reconnaissance de la diversité.

Toutefois, la souveraineté nous donnera les moyens de consolider et de faire jaillir un cadre référentiel nettement plus clair pour tous les Québécois.

Il serait ainsi possible d’affirmer que les principaux fondements éthiques, politiques, culturels et juridiques du cadre civique commun sont les institutions démocratiques, la Charte québécoise des droits de la personne, la Charte de la langue française et la politique québécoise de l’interculturalisme sans que chacun de ces éléments ne soit remis en question ou balisé, comme c’est actuellement le cas, par le fait que le Québec continue à être inféodé aux cadres et aux normes canadiennes.