Les dessous de l’affrontement Juan Carlos/Chavez

2007/11/19 | Par André Maltais

Le 11 novembre prenait fin à Santiago (Chili) le 17e Sommet ibéro-américain et, même si les États-Unis n’en font pas partie, ils pouvaient dormir tranquille parce que l’Organisation chrétienne-démocrate des Amériques (ODCA, en espagnol) était là pour semer la bisbille parmi les nations latino-américaines.

L’ODCA, nous dit Victor Osorio, rédacteur en chef du journal internet chilien Cronica digital, est une « multinationale politique » composée de 35 partis de droite dits « chrétiens-démocrates » et déjà bien implantés dans une quinzaine de pays d’Amérique latine et des Caraïbes

Parmi ceux-là, le Parti action nationale (PAN) est au pouvoir au Mexique; le Parti chrétien-démocrate chilien (PDC) est membre de la Concertation démocratique, alliance de partis « opposés » à la dictature Pinochet, au pouvoir depuis 1990; tandis que le Parti social-démocrate du Brésil (PSDB) constitue l’opposition officielle dans son pays.

L’ODCA est une section régionale de l’Internationale démocratique du centre dont l’un des piliers et fondateurs est le Parti populaire espagnol de Jose Maria Aznar, l’un des alliés principaux de Georges W. Bush dans la guerre contre l’Iraq.

Dans ce contexte, on comprend mieux l’intervention du roi d’Espagne, Juan Carlos, qui, lors du Sommet ibéro-américain déjà mentionné, interrompait un discours du président vénézuélien, Hugo Chavez, et le sommait de se taire.

Cuba, au cœur d’un virage majeur

Jusqu’à l’an dernier, l’ODCA était présidée par Gutenberg Martinez, époux de la présidente du PDC chilien, Soledad Alvear, et opérait de façon plutôt discrète.

Mais, à l’été 2006, nous dit Osorio, l’ODCA entreprend un virage majeur lorsque Manuel Espino, président du PAN, parti qui gouverne le Mexique depuis 2000, s’en va à Cuba rencontrer le chef du Parti chrétien-démocrate de Cuba, Marcelino Miyares.

Miyares est connu comme l’un des principaux artisans du « Projet Varela » qui, il y a quelques années, avait tenté d’articuler la soi-disant « dissidence interne » cubaine.

Espino, nous apprend Osorio, propose alors à Miyares d’intégrer les groupuscules de la dissidence cubaine dans les rangs de l’ODCA et, en échange, il promet à son interlocuteur cubain un poste important dans celle-ci.

Sans surprise, le 11 novembre 2006, lors du 18e congrès de l’ODCA, Espino et Miyares en deviennent respectivement président et vice-président pour l’action politique. De plus, le poste de vice-président pour la région andine est accordé à un vénézuélien : Eduardo Fernandez, de la COPEI (Parti chrétien-démocrate de ce pays et membre de l’ODCA).

Aussitôt, le PDC de Cuba devient le lieu où s’expriment les nouvelles orientations de l’ODCA. Le site Web de ce dernier commence à attaquer le « populisme de gauche » et va jusqu’à fustiger le Parti des travailleurs (PT) brésilien du président Lula da Silva de même que le « national-populisme » de Nestor Kirschner, en Argentine.

En même temps, trois nouvelles organisations contre-révolutionnaires cubaines ont joint l’ODCA : le Projet démocratique cubain, le Mouvement chrétien de libération et le Directoire démocratique cubain.

Victor Osorio ajoute que l’ODCA compte maintenant dans ses rangs presque toutes les organisations de la « dissidence cubaine » et que, outre l’idée de mettre la patte sur les généreuses subventions que ces organisations reçoivent des États-Unis, elle a bien l’intention de se servir de son nouvel atout.

Redonner vie à une droite moribonde

La stratégie à long terme semble être celle de se charger du changement de régime dans l’île pour redonner vie à une droite qui en arrache sur le continent latino-américain.

À plus court terme, explique Osorio, il s’agit de « cubaniser » les relations entre les pays latino-américains pour créer une « réponse régionale » au discours des Hugo Chavez, Evo Morales et Rafael Correa.

Le 26 janvier 2007, l’ODCA inaugure son nouveau siège social à Mexico. À cette occasion, Marcelino Miyares déclare que l’organisation sera désormais plus politique et laisse entendre que le Venezuela sera l’une des priorités de son organisation.

Et, effectivement, quelques mois plus tard, le 29 avril, un mystérieux groupe d’opposition vénézuélien lance un appel à l’aide à l’ex-président mexicain, Vicente Fox, même « au prix d’actions déstabilisatrices et contre-révolutionnaires ».

Fox, rappelons-le, est membre du PAN, parti encore dirigé par l’actuel président de l’ODCA. Celle-ci, résume Osorio, « s’est simplement demandé de l’aide à elle-même pour justifier une réelle intervention dans les affaires du Venezuela ».

Provocation à Caracas

De plus, le 21 juillet, l’ODCA choisit de tenir la cinquième réunion de son comité exécutif à Caracas (belle provocation!) et, au cours d’une conférence de presse très courue par les médias privés, elle dénonce la « tendance au populisme autoritaire » du gouvernement vénézuélien.

En même temps, conjointement avec la COPEI, elle parraine, toujours à Caracas, un séminaire sur le thème « Démocratie et liberté d’expression », une claire référence à l’affaire du non renouvellement de la licence à la chaîne de télévision RCTV!

L’ODCA reçoit aussi, à Mexico, le nouveau maire de droite de la ville de Buenos Aires (Argentine), Mauricio Macri, dont le parti Proposition républicaine venait tout juste de se joindre à la multinationale chrétienne-démocrate.

La stratégie de la partition en Équateur et en Bolivie

En Équateur, l’Union chrétienne-démocrate, parti membre de l’ODCA et dépourvu d’appui populaire depuis la montée spectaculaire du président Rafael Correa, fait la promotion de la création d’une 24e province.

La stratégie est dénoncée par l’éditorialiste du quotidien équatorien El Comercio, Guillermo Navarro Jimenez, qui y voit une tentative d’envoyer à la nouvelle Assemblée constituante une « patate chaude » permettant aux élites économiques locales de réclamer à leur tour leur propre autonomie.

L’ODCA, ajoute Navarro, cherche à réveiller le « plan Hong-Kong » (création d’une ville-état indépendante autour du port de Guayaquill) afin d’affaiblir l’État national équatorien comme cela se passe en Bolivie où les élites de la région de Santa Cruz paralysent totalement le processus d’assemblée constituante.

Un plan pour piéger la chilienne Bachelet

Au Chili, la parti chrétien-démocrate joue la carte cubaine et tente de faire renoncer à la présidente, Michelle Bachelet, l’idée de nouer des relations cordiales avec La Havane.

C’est ainsi que, le 5 août dernier, les médias chiliens titraient : DC (Démocratie-chrétienne) renoue avec la dissidence cubaine et complique le voyage de Bachelet.

Victor Osorio raconte que, tout de suite après la parution de cette nouvelle, le PDC chilien avertissait que si la présidente allait à Cuba sans en rencontrer « l’opposition », cela entraînerait des complications dans les relations entre la Concertation démocratique et sa principale composante.

Du coup, la présidente est piégée, dit Osorio, car Cuba n’acceptera jamais que cette dernière se réunisse avec une dissidence dont la nature d’agent des États-Unis n’est plus à démontrer et qui compte sur un appui presque nul dans la population cubaine.

La tactique ressemble à celle qui, l’an dernier, avait forcé la présidente à ne pas appuyer la candidature du Venezuela au Conseil de sécurité de l’ONU.

Cette fois, il s’agit de tuer un projet d’accord de complémentarité économique entre Cuba et le Chili, projet conclu en 1998 mais qui n’a jamais encore été soumis au parlement chilien.

Il y a, affirme Osorio, une étroite coordination entre l’ODCA, le PDC chilien et la « dissidence cubaine » pour placer le thème de Cuba sur l’agenda interne du Chili, pays d’importance dont les positions politiques ont des répercussions sur tout le continent.