(Dé)libérer le Québec

2007/11/27 | Par Alain Dion

Novembre sort peu à peu de sa torpeur. La vallée se refait une beauté avec les premières chutes de neige.

Dans le rang 1, au pays de la Neigette, on attend l’hiver comme on espère un ami qui doit rentrer de voyage. Avec dans ses bagages quelques tempêtes surprises, mais aussi ses coutumances qu’on aime à retrouver; les joues rouges des petits et leurs yeux brillant de fatigue après un long avant-midi de raquette, l’odeur du poêle à bois, un bon café siroté sous les sifflements d’une bonne bourrasque.

Dehors, les mangeoires revivent sous la volée multicolore des oiseaux inquiétés par ces nouvelles abondances de neige. Les lièvres eux, invisibles, ne sont pas peu fiers de leur camouflage. Les enfants rigolent en les suivant à la trace. Et toute cette liberté qui éclate dans la chaleur de leurs rires complices.

Malgré tout j’ai le cœur serré en ce matin du 23 novembre. Il y a 170 ans, lors de la victoire patriote de Saint-Denis-sur-le-Richelieu, plusieurs de nos ancêtres donnaient leur vie pour défendre ces quelques arpents enneigés qui attendent toujours après nous pour venir au monde…

(Dé)libérer le Québec

Dans ma dernière chronique, je vous présentais brièvement le questionnement et l’argumentation que Roméo Bouchard défendait dans son livre Y a-t-il un avenir pour les régions ?

Fervent partisan d’une pleine et entière occupation autonome du territoire, Bouchard revient à nouveau à la charge avec Libérer les QuébecS, cette fois-ci au sein d’un collectif (la Coalition pour un Québec des régions) qui pousse la réflexion encore plus avant en revendiquant une véritable décentralisation des pouvoirs vers les différentes régions du Québec en redéfinissant les paysages politiques national et régional.

Engagé dans une démarche novatrice qui s’appuie sur le besoin de revenir à une représentation politique de proximité des populations, Bouchard, appuyé par les analyses de Gil Courtemanche, d’André Laroque, de Marc-Urbain Proulx et de Paul Cliche, entre autres, propose de redéfinir les lieux de pouvoir en s’assurant «que le partage des pouvoirs aux niveaux local, régional et national soit fait d’une part, selon le principe de proximité (subsidiarité), c’est-à-dire en redistribuant les pouvoirs à partir de la base, le plus près possible des citoyens, au niveau territorial où ils peuvent être gérés ou modulés le plus efficacement».

Pour le collectif cette forme de prise en charge permettrait d’adopter «une gouvernance intégrée, en ce sens qu’elle englobe l’ensemble des missions publiques dans un territoire et une communauté donnée. Le citoyen et la communauté ne sont pas compartimentés» contrairement à la réalité actuelle qui souvent fonctionne sur une base strictement sectorielle où chaque ministère développe indépendamment ses propres orientations nationales.

Bien sûr, afin d’éviter qu’un telle approche ne produise des disparités évidentes entre des régions défavorisées ou entre les villes et villages d’une même région, la coalition rappelle néanmoins que «l’État central doit continuer à jouer un rôle d’unification par son leadership, par ses politiques nationales (orientations et objectifs communs) et par sa prise en charge financière des grands équipements collectifs. L’État doit devenir un véritable lieu de convergence plutôt que de contrôle».

Les textes de la coalition sont régulièrement ponctués par le témoignage de plusieurs acteurs politiques locaux ou régionaux (maire, préfet de MRC, député, de la Gaspésie, de la Vallée de la Matapédia ou du Saguenay) qui viennent eux aussi appuyer la thèse de l’urgence de remettre entre les mains des communautés les pouvoirs nécessaires à leur développement.

Libérer les QuébecS ne fournit évidemment pas toutes les réponses (ce n’est d’ailleurs pas le but d’un tel exercice), se contentant parfois d’affirmer sans véritablement étayer l’argumentaire, mais les propos développés dans ces pages méritent indubitablement qu’on s’y attarde sérieusement.

Bâtir une véritable démocratie participative

Les positions développées par la Coalition pour un Québec des régions peuvent bien sûr paraître très ambitieuses, voire risquées aux yeux de certains.

Mais en bout de ligne, si ce grand projet de décentralisation politique ne réussissait qu’une seule chose, soit celle de redonner confiance en l’espace démocratique aux Québécoises et aux Québécois, ce serait déjà un pas immense pour le Québec.

En effet, l’un des plus grands mérites de cette réflexion portée par Bouchard et ses acolytes réside dans cette quête d’une véritable reprise en main du développement des communautés régionales par chaque citoyenne et chaque citoyen qui retrouverait enfin voix au chapitre.

Proposant des alternatives politiques allant bien au-delà d’un strict objectif de réduire la taille de l’État (la pensée magique adéquiste Dumontaise), la Coalition pour un Québec des régions présente quelques moyens qui souscrivent à rebâtir une véritable démocratie participative permettant enfin de sortir du cynisme paralysant qui s’est installé depuis trop longtemps dans la vie démocratique québécoise.

Bien sûr une telle approche ne se réalisera pas par magie et le travail d’éducation et de sensibilisation est énorme, mais le défi semble fort intéressant.

Ce livre, finalement, vient à la fois nourrir très sérieusement la réflexion que l’on doit poursuivre afin d’assurer la vitalité des régions du Québec, mais surtout elle permet de chercher une façon de retrouver cette fierté et ce sentiment d’appartenance à sa région qui est peut-être le projet le plus porteur pour les communautés régionales.

Serait-il possible de penser que la réelle indépendance du Québec prendra définitivement racine dans chacun de ces Québec libres et solidaires engagés dans la construction du pays souverain auquel nous aspirons ?

Libérer les QuébecS, Coalition pour un Québec des régions, Les Éditions Écosociété, 2007


Pour la suite du monde

C’est d’un de ces Québec que nous arrive un petit disque tout simple qui risque assurément, si vous tendez l’oreille, d’accompagner plusieurs de vos soirées en famille. Enfin, je vous le recommande sincèrement.

Enregistré dans un petit studio de Lachenaie, ce premier album des frères Fred et Nicolas Pellerin (oui, oui LE Fred Pellerin de Saint-Élie-de-Caxton!) nous propose un tour de chant extrêmement rafraîchissant, un véritable voyage musical au cœur du répertoire traditionnel familial qu’ils revisitent avec tendresse et émotion.

Bien connu pour ces talents de conteur exceptionnel, Fred Pellerin se révèle sur ce disque un interprète fort touchant avec cet accent si chaleureux et ce timbre de voix si particulier qui véhicule à la fois la nostalgie du chant légué de génération en génération, mais également l’énergie, l’espoir et surtout l’amour de porter l’héritage musical familial au-delà du strict repère folklorique.

Pour les frères Pellerin, et ça s’entend sur ce disque, le chant traditionnel prend vie et racine à chacune des époques qui le porte. Pour la suite du monde disait le poète…

Tramé dans les fils de la mémoire et de la tradition avec son frère Nicolas, un jeune et talentueux violoneux qui agrémente le tout des couleurs de sa voix et de son jeu tout en nuances, cet enregistrement, tout simplement intitulé Fred et Nicolas Pellerin, nous plonge dans un répertoire varié, passant allégrement de la complainte déchirante (Dans la prison de l’ombre, Ripanpan) à des pièces plus swinguantes (La Lurette en colère, Madame Lefebvre).

Soutenu dans l’aventure par Simon Lepage à la basse et Jeannot Bournival, le complice réalisateur qui agrémente certaines pièces de sa flûte ou de son accordéon, les frères Pellerin ont choisi de tricoter des arrangements dépouillés au maximum, laissant ainsi tout l’espace nécessaire aux mots de ces petites histoires où l’amour blessé traîne toujours dans les parages.

Ce disque des frères Pellerin touche vraiment à l’essence du chant traditionnel, le portant jusqu’à nous avec une vivacité et une tendresse revitalisantes.

Il faut voir ma petite Françoise se dandiner sur certaines pièces du haut de ses quatre ans, un sourire doux accroché au visage, le regard dans le vide comme si elle voyait au-delà des mots et des musiques un quelconque ancêtre valser à l’horizon. Touchant je vous dis. Indispensable.

Fred et Nicolas Pellerin, Les Disques Tempête inc. (2007)