Le danger de faire comme si...

2007/11/27 | Par Louis Bernard

Dans la présentation du mémoire que j’ai déposé à la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables, j’ai fait valoir les cinq idées-forces suivantes.

1- Un Québec pluriel

Si on a senti le besoin de créer cette Commission, ce n’est évidemment pas simplement pour trouver des solutions à des problèmes particuliers, comme le port du voile ou du turban, mais bien plutôt pour indiquer comment le Québec, tout en restant fidèle à son caractère français, pourra répondre à ses besoins démographiques et aux réalités du XXIe siècle en devenant une société accueillante, plurielle et diversifiée.

Or le principal obstacle à cette évolution, comme l’a bien identifié le Document de consultation de la Commission, c’est l’insécurité identitaire des Franco-québécois. Une insécurité qui, loin d’être une phobie, vient de l’expérience vécue il y a quelques années à peine où, en raison des forces naturelles de l’environnement, les nouveaux arrivants au Québec s’intégraient en masse à l’immense majorité anglaise du Canada et de l’Amérique, plutôt qu’à la petite majorité française du Québec.

2- L’insuffisance des mesures en place

Pour contrer ces forces naturelles, le Québec a pris une série de mesures politiques dont les deux principales furent l’adoption de la Charte de la langue française et l’Accord sur l’immigration avec le gouvernement fédéral.

J’ai participé de très près à ces deux mesures comme membre de l’équipe qui a élaboré, rédigé et mis en œuvre la Loi 101, et comme principal négociateur pour le Québec de l’Accord de 1991 sur l’immigration.

Ce que je suis allé dire à la Commission, c’est que ces mesures, malgré leurs effets bénéfiques indiscutables, ont rencontré des obstacles qui les ont empêchées de produire tous leurs effets.

La loi 101 voulait faire du Québec un lieu qui soit ostensiblement français, mais elle a été émasculée de ses éléments symboliques les plus importants en ce qui touche la langue des lois, des tribunaux et de l’affichage public.

Même ses critères d’accessibilité à l’école anglaise ont été remplacés, unilatéralement, par ceux de la Charte canadienne des droits, avec des conséquences qui restent encore inconnues puisqu’elles font présentement l’objet de recours devant les tribunaux.

Quant à l’Accord se 1991 sur l’immigration, il devait, en vertu des Accords du Lac Meech, être constitutionnalisé, mais il ne l’a pas été. De sorte que le gouvernement fédéral a gardé sa prépondérance en matière d’immigration.

Et comme c’est lui qui accorde la citoyenneté et qui permet le séjour au pays, c’est lui que l’immigrant considère, avec raison, comme le gouvernement supérieur, auquel, d’ailleurs, il peut toujours s’adresser en anglais et qui lui permet de poursuivre sa résidence dans une autre province, si tel est son choix.

Tout cela fait que la pression sociale qui, grâce à la Loi 101 et à l’Accord sur l’immigration, devrait normalement jouer en faveur de l’intégration à la majorité francophone a perdu beaucoup de sa force.

3- L’illusion du Québec français

J’ai ensuite souligné qu’il y a présentement une illusion largement répandue à l’effet que le Québec actuel serait un pays français. Cela vient sans doute du fait que la Loi 101 déclare, à son article 1, que « le français est la langue officielle du Québec ».

De là, certains ont conclu, comme le fait le Document de consultation de la Commission, que « au Québec, le français est la langue officielle ». Malheureusement, cela est inexact.

Ce qu’il faudrait dire, c’est : « au Québec, le français est une langue officielle » puisqu’il y en a une autre, l’anglais, qui est également officielle dans les lois et tribunaux du Québec aussi bien que dans les lois et tribunaux du Canada ainsi que dans toutes les matières qui, comme l’immigration, la radiodiffusion, les douanes et les nombreuses autres, relèvent du Parlement canadien.

Cette illusion est pernicieuse car elle amène même la Commission, dans son Document de consultation, à poser le problème « comme si » le Québec n’avait qu’un seul gouvernement, qu’une seule langue officielle et qu’une seule langue publique commune.

Ce qui, évidemment, risque de fausser l’analyse et d’invalider les solutions proposées.

4- Le Québec actuel est un pays bilingue

La conséquence de tout ceci, c’est que le Québec n’est, ni en droit ni en fait, un pays français et qu’il ne pourra jamais le devenir tant qu’il restera une province canadienne. Un Québec qui n’est pas souverain ne sera jamais un pays français, mais restera toujours un pays bilingue. Cela est l’évidence même.

5- Un choix inéluctable

Le Québec est donc devant un choix qui engage tout son avenir. Pour répondre à ses besoins démographiques, assurer son développement et être de son temps, le Québec doit être accueillant, pluriel et ouvert à la diversité.

Mais pour cela, il doit être assuré de sa sécurité identitaire, ce qui exigerait l’encadrement d’un pays français, donc ne faisant plus partie d’un Canada forcément bilingue. Choix inéluctable, dont tous les Québécois doivent être pleinement conscients.

En terminant ma présentation, j’ai exprimé le vœu que, même s’il n’appartient pas à la Commission de se prononcer sur la question du statut constitutionnel du Québec, elle ne gomme pas, dans son rapport, cet aspect fondamental qui est à la source même du problème qui a été confié à son analyse. Car un Québec français ferait toute la différence.

Pour en convaincre les Commissaires, je leur ai suggéré de faire un petit test : « à la fin de vos travaux, leur ai-je suggéré, faites l’exercice de placer vos recommandations d’abord dans le contexte d’un Québec-province et, ensuite, dans le contexte d’un Québec-pays – puis comparez les résultats. Vous verrez tout de suite la différence ».

Le mémoire de Louis Bernard est disponible sur son blogue

(Photo: David Brulotte / L'auteur du mémoire Louis Bernard)