René Lévesque espionné par la GRC

2007/11/29 | Par Pierre Cloutier

Le dossier de surveillance de M. Lévesque comprend, on le sait, 25 volumes et 2 520 pages. Les 9 premiers volumes ne contiennent que des coupures de presses.

Les 10 autres contiennent des renseignements obtenus de manière clandestine et disons-le, illégale, pour la plupart et le 2/3 voire le 4/5 des documents sont censurés en vertu de l’article 15 de la Loi sur l’accès à l’information (fédérale) rédigé en termes tellement vagues et ambigus qu’il est raisonnable de penser qu’ils seront soustraits à la vue des citoyens canadiens et québécois ad vitam aeternam c’est-à-dire à perpétuité, ce qui en soi est un scandale.

Le volume 23 concerne la période comprise entre le 28 janvier 1978 et le 31 mai 1982. C’est la période du référendum, du rapatriement de la constitution, de la « nuit des longs couteaux », du Congrès houleux de 1981, du « renérendum » etc...

79 pages censurées sur 82

Le dossier comprend environ 82 pages dont 79 pages sont CENSURÉES en vertu de l’article 15 (passe-partout) de la Loi sur l’accès à l’information.

C’est la période aussi où on décide à GRC de continuer la surveillance même si on sait que M. Lévesque n’appartient à aucun autre organisme que le Parti québécois, donc qu’il n’entre pas dans les menaces à la sécurité nationale du Canada tel que défini dans le mandat du Service de sécurité de la GRC par décret du Conseil des ministres en 1975. Donc, la surveillance continue et elle est carrément illégale.

Qui a donné l’ordre ?

Qu’est-ce qu’il y a dans ce dossier de si compromettant pour le gouvernement fédéral pour qu’on invoque l’article 15 de la loi sur l’accès à l’information?

Qui a décidé, outre la GRC, que la surveillance devait se poursuivre même si M. Lévesque ne constituait pas une menace envers la sécurité nationale tel que définie dans le Décret de 1975?

Qui, au niveau ministériel, a autorisé la poursuite de la surveillance de façon illégale?

Comment a-t-on pu maintenir la surveillance alors que les travaux de la commission McDonald étaient entamés de même que ceux de la commission Keable?

Rencontre fortuite entre un agent acadien de la GRC et René Lévesque

Même si la quasi totalité de ce volume est censuré, il contient un petit mémo très intéressant pour la petite histoire. Il s’agit d’un mémo rédigé par un officier du SS de la GRC, impliqué dans les opérations du SS au Québec - et dénoncées par la commission McDonald plus tard - qui rencontre M. Lévesque par hasard à l’épicerie en juillet 1978, 2 ans avant le référendum de 1980. Je vous le donne in extenso :

De : M. J. Goguen, S/E/M

sujet : RENÉ LÉVESQUE

Le 78/07/22 lors que j’étais à une épicerie située sur la rue Ste-Catherine ouest, Montréal, j’ai aperçu que j’étais coude à coude avec le Premier ministre du Québec, M. René LÉVESQUE. Vu qu’il était seul à mes côtés et qu’il n’y avait que 2 ou 3 autres personnes plus loin dans cette épicerie, je me suis permis de le saluer.

Des quelques mots que je lui ai adressés, il a vite entendu qui je suis (passage censuré). De fil en anguille il m’a également demandé quel était mon métier à Montréal. Je lui ai répondu que j’étais membre de la GRC et comme j’avais récemment comparu aux Commissions KEABLE ET MacDONALD.

J’ai ajouté être membre du Service de sécurité et que j’étais un des initiateurs de (passage censuré). A sa question, pourquoi nous avions effectué cette opération, je lui ai répondu qu’à cette époque nous avions plusieurs données qui nous permettaient à supposer que certaines choses ne tournaient peut-être pas rond dans le milieu indépendantiste et qu’à cette époque, quelques jeunes enquêteurs avions même discuté la possibilité d’en discuter avec lui.

Répondant sa question pourquoi nous avions pas été lui en parler, j’ai répondu que nous étions craintifs que ceci aurait peut-être été mal interprété d’une part ou d’autre. Il a répondu que nous aurions dû car il aurait certainement maintenu la conversation confidentielle, car il savait qu’il y avait des troubles-fêtes au Parti québécois et souhaite encore que ce n’était pas des émissaires d’Ottawa.

2. Les quelques autres minutes que j’ai causées avec lui concernaient les vacances, température, etc., et nous nous sommes quittés cordialement.

3. Quittant ce lieu je me suis rendu quelques rues plus loin sur la rue Ste-Catherine afin de procurer un disque de musique. Sortant du magasin, j’arriva presque face à face à nouveau avec M. LÉVESQUE.

Blaguant, j’ajoute qu’on pouvait se demander qui suivait qui. Tout souriant, il m’invita à rencontrer son chauffeur et son garde du corps, tous deux membres de la Sécurité du Québec. Quelques instant plus tard lorsqu’il montait dans sa limousine nous nous sommes souhaités une bonne fin de semaine et une bonne été, le tout s’était passé d’une manière détendue et amicale.

Quelques commentaires :

1 - Le premier passage censuré cherche à éviter que le lecteur découvre probablement d’où est originaire l’enquêteur. A lire son texte, on peut déduire raisonnable que ce dernier est originaire soit du Nouveau-Brunswick soit de la Gaspésie. Peut-être plus de la Gaspésie, étant donné le lieu d’origine de M. Lévesque (New-Carlisle) et son « patois » particulier.

De toute façon, cela illustre une fois de plus la bêtise des censeurs. On ne veut pas révéler l’origine de l’enquêteur alors qu’on sait son nom et on sait qu’il a témoigné devant les commissions Keable et McDonald.

2 - On n’est pas étonné de la « manipulation » de l’enquêteur qui dit à M. Lévesque qu’on surveille le milieu indépendantiste à cause des « trouble-fêtes » alors que c’est M. Lévesque lui-même qui est l’objet de surveillance.

3 - Doit-on s’étonner de la « naïveté » de M. Lévesque qui est informé de la surveillance de la GRC à l’endroit du Parti québécois et qui se montre amical, pendant les travaux des commissions Keable et McDonald.

Enfin, je laisse au lecteur le soin de juger tout cela.

Prochain rapport : la période comprise entre le 28 février 1975 et le 27 janvier 1978, c’est-à-dire la période de la prise du pouvoir du Parti québécois le 15 novembre 1976.

En terminant, je continue à dire qu’il faut exiger des excuses de la part du gouvernement du Canada dans le dossier de surveillance de M. Lévesque. Par respect pour la mémoire de M. Lévesque, mais également par respect et fierté de ce que nous sommes comme souverainistes.

Pierre Cloutier