L'anglais, première langue d'intégration à Montréal

2007/12/03 | Par Charles Castonguay

L’Institut C. D. Howe a marqué le 30e anniversaire de la loi 101 en publiant, le 7 août dernier, une étude sur l’évolution du rapport entre langue et statut socioéconomique au Québec selon les données des recensements de 1971 à 2001.

D’après le communiqué, l’étude signée entre autres par l’économiste François Vaillancourt montre que « le statut social et économique des francophones au Québec s’est grandement amélioré depuis les années 60, qu’il soit mesuré en termes de revenu, de rendements économiques sur les connaissances linguistiques, ou de contrôle de l’économie québécoise ».

Des manchettes erronées

Les médias sont tombés dans le panneau. À commencer par Radio-Canada qui a coiffé sa dépêche avec la manchette « Loi 101 : Une loi payante ». La tentation de prêter à la loi 101 une efficacité magique est quasiment irrésistible : on voudrait tellement que ce soit vrai !

En fait, les auteurs de l’étude en cause ont reconnu, au contraire, que leurs résultats avaient sans doute peu à voir avec la loi 101.

Ils notent que les améliorations qu’ils ont relevées dans le statut socioéconomique des francophones se sont opérées pour l’essentiel avant 1980. La loi 101 n’a été adoptée que vers la fin de cette période.

Ils expliquent donc les améliorations en cause par la migration de certains anglophones bien rémunérés du Québec vers l’Ontario et les provinces de l’Ouest, le déplacement de l’activité économique vers l’ouest du continent et la forte croissance du secteur public québécois dans la foulée de la Révolution tranquille, qui a aussi entraîné le développement d’entreprises privées francophones (Québec Inc.) et la croissance de la consommation de biens et de services en français par les francophones qui ont bénéficié de tout cela.

C’est très beau. Mais encore ? Est-ce que tout s’est vraiment amélioré aussi grandement qu’on voudrait nous le faire croire ?

Toujours un écart entre unilingues anglophones et francophones

Le premier tableau de l’étude concerne les travailleurs masculins au Québec et montre que la disparité dans le revenu de travail entre hommes francophones et anglophones bilingues (anglais-français) est bel et bien disparue dès 1980.

Ce n’est cependant pas le cas de l’écart entre anglophones unilingues et francophones unilingues – qui représentent la grande majorité des francophones.

Et ce l’est encore moins de l’écart entre allophones unilingues anglais et allophones unilingues français (voir notre tableau). Un autre tableau montre que le revenu de travail pour les femmes accuse des écarts de même nature.

Revenu moyen de travail (en $) par attributs linguistiques, hommes, Québec

   1970       1980       1990       2000   
Anglos bilingues   8 938   19 562   33 511   38 745
Francos bilingues   7 363   19 547   33 065   38 851
Allos bilingues   7 481   17 964   22 837   33 097
Anglos unilingues   8 171   17 635   30 034   34 097
Francos unilingues   5 136   14 408   24 702   29 665
Allos unilingues anglais              6 462   15 637   20 609   27 216
Allos unilingues français   5 430   13 287   18 503   21 233

On remarquera qu’en ce qui concerne la langue d’intégration économique des travailleurs allophones, en particulier, l’avantage de l’unilinguisme anglais sur l’unilinguisme français s’est fortement creusé durant la dernière décennie.

Cela reflète l’évolution de la situation à Montréal au cours des années 1990, du fait que la vaste majorité des allophones habitent la métropole.

L’anglais, langue la plus payante

Tout naturellement, les immigrants font leur la langue la plus payante sur le marché du travail. Ils l’adoptent comme langue d’usage dans leur foyer, sinon encouragent leurs enfants à ce faire.

Le statut secondaire du français comme langue d’intégration économique à Montréal serait par conséquent la cause aussi de sa faiblesse face à l’anglais comme langue d’assimilation des allophones dans la métropole.

Une approche contestable

Vaillancourt et ses collègues démontrent en outre que si l’on élimine l’effet sur le revenu de travail du niveau de scolarité, du nombre d’années d’expérience sur le marché du travail et du nombre de semaines travaillées pendant l’année de référence, on obtient un « rendement net des attributs linguistiques » selon lequel l’avantage de l’unilinguisme anglais sur l’unilinguisme français s’estompe ou parfois même s’inverse.

Cette façon d’établir la grande amélioration des « rendements économiques sur les connaissances linguistiques » peut toutefois induire en erreur.

En annulant l’effet du nombre de semaines travaillées, on annule en même temps l’effet sur le revenu de travail d’une éventuelle discrimination à l’embauche qui ferait en sorte que les travailleurs ne connaissant pas l’anglais ne travaillent pas ou travaillent moins de semaines dans une année et, par conséquent, gagnent moins.

Il est devenu courant d’entendre des francophones et allophones – et pas seulement à Montréal – se plaindre du fait que leur accès à un emploi se trouve barré par l’exigence, souvent injustifiée selon eux, de connaître l’anglais.

Pareille discrimination peut aussi influer sur le nombre d’années d’expérience, autre déterminant du revenu.

Enfin, les auteurs reconnaissent eux-mêmes que les différences de niveau de scolarité entre groupes linguistiques peuvent aussi être liées aux connaissances linguistiques de chaque groupe, ce qui conduirait également à une erreur dans l’estimation du « rendement net des attributs linguistiques ».

Mieux vaut donc s’en tenir à l’information de leurs deux premiers tableaux : l’unilinguisme anglais rapporte plus que l’unilinguisme français sur le marché du travail actuel au Québec.

Ajoutons que, de toute façon, même le « rendement net des attributs linguistiques » que privilégie Vaillancourt et ses collègues indique une nette progression du rendement de l’unilinguisme anglais comparativement à celui de l’unilinguisme français parmi les allophones au Québec, c’est-à-dire à Montréal, et ce tant parmi les travailleurs que les travailleuses.

Un défaut récurrent des études de ce genre est d’ailleurs de toujours se limiter aux données, primaires tout au mieux, sur la connaissance de l’anglais et du français selon les recensements.

Pourquoi ne pas examiner aussi les données de recensement sur les comportements linguistiques ? Est-il plus payant de travailler en anglais plutôt qu’en français au Québec ? Ou à Montréal ? Et est-ce que ça rapporte encore plus de parler l’anglais comme langue d’usage à la maison au lieu d’y parler le français ?

Voilà des pistes de recherche que les instituts comme le C.D. Howe préfèrent de toute évidence ne pas aborder.