Santé : le nonobstant contre la privatisation

2007/12/03 | Par Pierre Dubuc

Un affrontement majeur se prépare entre les partisans de la privatisation de notre système de santé et les défenseurs d’un système public, gratuit, universel et accessible.

En s’appuyant sur l’arrêt Chaoulli, le gouvernement Charest a adopté la loi 33 qui permet aux hôpitaux de conclure des contrats avec des centres médicaux spécialisés pour les opérations aux hanches, aux genoux et pour les cataractes.

Dernièrement, Radio-Canada annonçait avoir pris connaissance d'une liste qui énumère près d'une trentaine d'autres interventions chirurgicales qui pourraient aussi être confiées en sous-traitance à des cliniques associées, aux frais de l'État. Selon la FIQ, elle comprendrait plus d'une cinquantaine.

Vers un système à deux vitesses

Le Groupe de travail Castonguay a reporté à la fin février, à cause de dissensions internes, le dépôt de son mémoire initialement prévu pour le 20 décembre.

On s’attend à ce que M. Castonguay profite lui aussi du jugement Chaoulli pour recommander, entre autres, au gouvernement de permettre de contracter une assurance-maladie privée couvrant des soins déjà assurés par le régime public.

De l’avis général, si une telle recommandation avait un jour force de loi, notre système de santé évoluerait vers un système à deux vitesses, un système à l’américaine.

Charest élargit l’interprétation de l’arrêt Chaoulli

Jusqu’à présent, les progressistes se sont accrochés à l’interprétation restrictive de l’arrêt Chaoulli donnée par Marie-Claude Prémont – alors professeure et vice-doyenne aux études supérieures de la Faculté de droit de l’Université McGill – selon laquelle la décision de la Cour suprême n’accordait pas un droit constitutionnel à une assurance privée en santé.

De toute évidence, ce n’est pas l’interprétation retenue par le gouvernement Charest.

Au lieu de s’entêter à mener une guerre de tranchées aux perspectives hasardeuses, les progressistes devraient plutôt se fixer un objectif clair, net, précis et sans appel.

Ils devraient exiger du gouvernement québécois et des partis d’opposition à l’Assemblée nationale – gouvernement minoritaire oblige – le recours à la clause nonobstant pour soustraire le Québec à l’arrêt Chaoulli.

Les deux piliers de « l’identité » canadienne ébranlés

Il est ironique de constater que l’arrêt de la Cour suprême détruit non seulement un des derniers mythes du fédéralisme canadien, mais fait également voler en éclats la prétention selon laquelle les institutions fédérales constituaient un rempart contre la privatisation de notre système de santé.

Le jugement Chaoulli ébranle, en les faisant s’entrechoquer, les deux piliers de ce que le Canada avait défini comme étant la base de son identité : la Charte des droits et le régime public de santé.

Questionner le gouvernement par les juges

Ramener le débat sur la décision de la Cour suprême permettrait de poursuivre le questionnement de l’omnipotence de ce gouvernement par les juges, amorcé dans le cadre de la Commission Bouchard-Taylor, avec ses décisions sur le port du kirpan et autres accommodements raisonnables.

Il serait sain politiquement pour le mouvement progressiste et souverainiste québécois de continuer à secouer les colonnes du temple du plus haut tribunal du pays.

Avec le dépôt du projet de loi de Mme Marois sur l’identité québécoise, les souverainistes ont pu mesurer l’ampleur de la pénétration de l’idéologie de la « révolution des droits » au sein de la population, plus particulièrement auprès des jeunes générations.

Il faudrait mieux s’attaquer dès maintenant à ce qui constitue la clef de voûte du système politique canadien avant de se retrouver démunis idéologiquement et politiquement, au lendemain d’un référendum gagnant, face à la Loi sur la clarté.