Les inégalités sociales à l'école

2007/12/06 | Par la FNEEQ

À la vision d’une école démocratique, ouverte à tout le monde, qui offre des chances et des moyens égaux dans un environnement éducatif favorable, on sent de plus en plus se substituer un discours du libre choix de l’école, d’une diversification hâtive des parcours scolaires et d’une multiplication des programmes à la carte, avec la sélection qui s’ensuit.

Il s’agit d’une vision plus clientéliste, plus utilitariste de l’école basée sur la suprématie du client et de ses choix individuels. Cela se traduit par une tendance à introduire dans le système d’éducation un « quasi-marché » qui se caractérise par une concurrence accrue entre les établissements et une gestion basée sur des indices d’excellence, qui font fi des inégalités sociales et des contraintes économiques qui constituent pourtant des problématiques de fond.

Éliminer la sélection à l'entrée et ne pas presser la diversification des voies

Le comité école et société de la FNEEQ a organisé, au printemps 2006, une large réflexion autour du thème « Une école pour tout le monde ».

Fruit de ces débats, des recommandations importantes ont été adoptées au conseil fédéral de janvier 2007, notamment celle de chercher à éliminer progressivement la sélection à l’entrée pendant la scolarité obligatoire, tant au public qu’au privé, et de demander au gouvernement de modifier le régime pédagogique pour que la diversification des voies ne puisse commencer avant la fin de la troisième secondaire.

C’est une réflexion sur le caractère tendancieux de ces pratiques qui a amené la FNEEQ à s’inquiéter de l’avenir d’un système d’éducation dont on veut qu’il soit de plus en plus ouvert et démocratique. Il s’agit là d’une quête perpétuelle et la vigilance s’impose dans un monde où plusieurs voudraient placer les choix individuels au-dessus du bien-être collectif.

L'effet de ségrégation

Il y a maintenant des chiffres plutôt troublants qui viennent alimenter ce travail de réflexion que nous avons entrepris. S’il faut toujours être prudents avec les statistiques et les liens de causalité qu’on cherche à en extraire, une étude de Nico Hirtt parue en septembre 2007 [1] portant sur les systèmes éducatifs européens, et par conséquent de grands ensembles, semble confirmer l’effet de ségrégation et d’inégalité sociale de certains choix en matière d’éducation.

« L’étude met en évidence une très forte corrélation positive entre le degré de reproduction sociale des systèmes d’enseignement et leur organisation sur base d’un « quasi-marché ». Elle montre également combien la combinaison du libre choix et de procédures de sélection/orientation précoces nuit à l’équité »[2].

L’étude se base sur des chiffres produits par le programme PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) [3] et retient les résultats en mathématiques des élèves – en fin de parcours scolaire obligatoire – pour une quinzaine de pays ouest-européens.

L’auteur construit, sur la base des données de l’enquête, un « indice de détermination sociale des performances scolaires ». En gros, cela indique, pour un pays donné, dans quelle mesure la performance scolaire est liée à l’origine sociale, et partant, dans quelle mesure le système d’éducation est équitable.

Ainsi, dans un pays donné, si le fait de venir d’un milieu défavorisé se conjugue avec une forte probabilité d’avoir de mauvais résultats scolaires, alors on peut questionner l’équité du système. Les résultats varient entre les pays retenus. Par exemple, la relation est la plus faible en Finlande et la plus forte en Allemagne et en Belgique.

La liberté de choix est liée à la détermination sociale

L’auteur note que les explications à ces différences entre pays peuvent être de plusieurs ordres et s’attache à examiner plus particulièrement deux facteurs : « le degré de liberté dans le choix d’un établissement scolaire et l’âge du premier « palier » qui divise les élèves en filières d’enseignement séparées ».

Nous n’entrerons pas dans le détail des variables [4] dont l’auteur s’est servi pour construire un « indice de liberté de choix ». Mais on constate un lien très fort entre cet indice et l’« indice de détermination sociale ». C’est-à-dire que plus la liberté du choix de l’établissement est grande, plus le degré d’inégalité sociale est élevé.

Prenant ensuite, pour chaque pays étudié, l’âge où s’effectue la première orientation vers des filières séparées, l’auteur trouve encore un lien significatif : plus cette différenciation se fait à un âge précoce, plus le degré d’inégalité sociale est élevé.

En conjuguant la liberté de choix et l’âge de la première sélection dans un « indice d’école commune », l’auteur constate que cela « permet d’expliquer 66 % des différences entre pays européens quant à la détermination sociale des performances scolaires ».

À partir de son analyse, il distingue trois groupes de pays : un groupe ayant des systèmes éducatifs fortement ségrégués qui se caractérisent par une grande liberté de choix et une sélection précoce; un autre groupe intermédiaire ; et enfin une groupe dit d’« école commune » où il y a peu de liberté de choix et une orientation tardive dans le parcours scolaire.

Incompatible avec une vision de l'école pour tout le monde

Et l’auteur de conclure : « Nous avons en effet clairement établi que, dans le contexte des pays industrialisés avancés d’Europe occidentale, une augmentation de la liberté de choix en matière d’enseignement primaire et secondaire se traduit en moyenne par une augmentation importante de la détermination sociale des prestations scolaires, donc de l’inégalité.»

«De même, une sélection plus précoce des élèves en filières hiérarchisées conduit également à une croissance des inégalités dans l’enseignement ».

Cette étude ajoute aux appréhensions formulées dans le document «FNEEQ Une école pour tout le monde [5]», dans lequel on retrouve d’importantes préoccupations concernant les effets pervers de la sélection et des dangers d’une orientation trop précoce et du libre choix de l’école:

« On assiste ainsi à une réorganisation économique des populations scolaires, ce qui concourt à la hiérarchisation des écoles sur la base du potentiel des élèves et des origines socioéconomiques. Les enfants des familles aisées se retrouvent dans certaines écoles, tandis que celles et ceux qui ont de la difficulté, ou provenant de familles moins favorisées, restent dans les autres. »[6]

Voir le système d’éducation comme un « quasi-marché » qui offre des services sur une base concurrentielle à des individus qui font des choix d’établissement en fonction de leurs moyens et ambitions personnelles est par conséquent incompatible avec une vision de l’école pour tout le monde qui confère à l’État l’obligation de s’assurer d’un accès égal aux mêmes conditions d’apprentissage dans un environnement qui promeut le développement de la personne et du citoyen pour un mieux-vivre collectif.


[1] « Impact de la liberté de choix sur l’équité des systèmes éducatifs ouest-européens», Nico Hirtt, Appel pour une école démocratique (Bruxelles), septembre 2007. http://www.ecoledemocratique.org/article.php3?id_article=414

Sur ce site, on trouvera un article de vulgarisation de l’étude « Carte scolaire, collège unique… Les chiffres qui condamnent la politique éducative sarkoziste » de l’auteur de l’étude et les résultats de sa recherche.

[2] « Impact de la liberté de choix sur l’équité des systèmes éducatifs ouest-européens», Nico Hirtt, Appel pour une école démocratique (Bruxelles), septembre 2007, p.1.

[3] Il s’agit d’un ensemble d’enquêtes triennales produites par l’OCDE pour comparer les performances des systèmes éducatifs des pays membres en matière de lecture, de mathématiques et identifier les facteurs de succès. L’étude porte sur la vaste enquête internationale de 2003.

[4] En gros, il s’agit du nombre d’écoles à proximité, des modes de régulation de recrutement dans l’enseignement public et du nombre d’établissements d’enseignement privés.

[5] On trouvera le document sur le site de la FNEEQ.

[6] p.32