Monsieur le Premier Ministre, je vous écris une lettre...

2007/12/09 | Par Mohamed Lotfi

Monsieur Harper,

Comme vous savez, le 5 décembre dernier le président français Nicolas Sarkozy a lancé, lui-même, un appel au chef des Forces armées révolutionnaires de Colombie Manuel Marulanda pour demander la libération de la franco-colombienne, Ingrid Betancourt.

Les mots de Sarkozy prononcés en direction de la jungle colombienne sont ceux du premier chef d'État qui ose ce qu'aucun autre chef d'état avant lui n'a jamais osé. Malgré tout ce que je pense de Nicolas Sarkozy et de ses méthodes populistes, je salue solennellement son geste.

Réfugié depuis deux ans dans une Église

En écoutant l'appel de Sarkozy, j'ai pensé à Abdelkader Belaouni qui lutte depuis deux ans, à partir du sanctuaire de l'église St-Charles à Montréal, pour obtenir un statut de réfugié.

Bien sûr, Belaouni n'est pas l'otage d'une guérilla et se trouve loin d'une jungle. Le seul point commun entre Belaouni et Betancourt , c'est l'état dégradante de leur santé.

En tant qu'aveugle et diabétique, Belaouni aussi se trouve au bout de ses forces. Pour des raisons humanitaires, le Canada doit libérer cet homme de l'angoisse qui le ronge quotidiennement. Le 1er janvier 2008, l'angoisse aura duré deux ans.

Il y a des précédents

Je vous invite Monsieur le premier Ministre à poser un geste humanitaire, un geste courageux qui ne sera pas le premier accordé par le Canada à un demandeur d'asile.

Avant lui, plusieurs d'autres algériens ont déjà obtenu le statut de réfugié, pourquoi pas lui ?

Belaouni ne représente aucune menace à la société, son dossier est celui d'un homme qui a fui un pays où sa vie était en danger. Il y'a quelques mois un réfugié iranien a obtenu, pour des raisons humanitaires le statut de réfugié. Lui aussi avait trouvé refuge dans une église anglicane à Vancouver depuis 2004.

Est-ce trop vous demander Monsieur Harper d'accorder un statut de réfugié à Abdelkader Belaouni avant la fin de ce mois pour qu'il célèbre lui aussi Noël, avec ceux et celles qui constituent maintenant sa famille?

Quel danger représente un homme aveugle et diabétique ? 

Qui au Canada, Monsieur Harper, aurait peur d'un homme aveugle et diabétique? Un homme dont le parcours force compassion et admiration.

Après avoir été champion national de judo de son pays d'origine, le sort lui a réservé un autre destin.

Après avoir perdu la vue en 1992, il aurait pu perdre la vie s'il n'avait pas fuit un pays où une guerre civile a fait quelques 150 000 morts.

Ce sont les menaces répétées contre sa vie qui l'ont poussé à l'exil d'abord aux États-unis, puis au Canada en 2003.

En tant qu'aveugle, Abdelkader a toujours peur pour sa vie, sa situation est trop vulnérable devant d'éventuels règlements de compte du passé.

Au pays depuis 6 ans

D'autre part, depuis 6 ans, Abdelkader s'est très bien intégré au Canada où il se sent maintenant chez-lui.

Il bénéficie d'un réseau de soutien extraordinaire. Cela prouve et confirme les capacités d'intégration de cet homme que ses amis appellent Kader.

Plusieurs associations et organismes dont la Ligue des droits et libertés, la Table de concertation Action Gardien de Pointe St-Charles, la Clinique médicale Communautaire de Pointe St-Charles et les Services Juridiques Communautaires de Pointe St-Charles et le Comité « Welfare Rights», ont clairement exprimé leur soutien.

Jean Lalande, Coordonnateur de Welfare Rights affirme: « M.Belaouni s'est bien intégré à la vie de notre quartier, participant à de nombreuses activités communautaires et s'étant fait de nombreux amis dans la population locale. Abdelkader est maintenant devenu un des nôtres et c'est pourquoi tant de gens chez nous sont si préoccupés pour sa sécurité ».

D'ailleurs, 5 citoyens canadiens, issus de sa nouvelle communauté, sont prêts à le parrainer.

D’un homme à un autre homme

J'ai fais la connaissance d'Abdelkader Belaouni en 2005 lors de cette marche de 5 jours de Montréal à Ottawa en solidarité avec les sans statut. Il ne savait pas alors que sa demande de statut de réfugié allait être rejetée.

J'ai parlé longuement avec lui. Ma curiosité n'était plus d'un journaliste, mais d'un homme qui rencontre un autre homme. Il m'a raconté son parcours douloureux, mais plein de courage.

J'ai noté son humour et son optimisme naturel qui explique pourquoi il avait autour de lui autant d'amis qui n'arrivent pas à comprendre pourquoi le statut de réfugié lui a été refusé.

Depuis deux ans, personne ne le laisse tomber. Cela qui explique pourquoi malgré son état de santé très fragile, Kader tient le coup. Cinq fois par jour il fait sa prière dans un sanctuaire catholique.

Un enjeu qui nous concerne tous

Monsieur Harper, l'enjeu des sans statut nous concerne tous. L'avenir du Québec et du Canada repose aussi sur ces immigrants sans statut et leurs enfants qui partagent déjà les bancs d'écoles avec les nôtre.

Mine de rien, ils font partie de nous. « Il suffit d'ouvrir les yeux », me disait une femme qui soutient la cause de Belaouni.

Les amis de ces personnes, les amoureux et amoureuses de ces personnes partagent leur insécurité, leurs souffrances, parfois leurs joies, leurs vies.

Kader n'a pas la chance d'avoir le Président français comme ami. Les sans statuts comme lui ont comme amis des hommes et des femmes « ordinaires », des citoyens canadiens qui se donnent corps et âme pour rétablir la dignité.

Parfaitement conscients de leurs droits et de leur devoir, le sentiment d'impuissance ne les atteint pas.

C’est le temps de poser un geste de solidarité

Monsieur Harper, le Canada c'est la terre des possibles. Une femme noire a été nommée au sommet de l'État. De plus en plus de Canadiens venus d'ailleurs sont élus à la chambre des Communes et à l'Assemblée nationale. Ça serait dans la suite naturelle des choses que de régulariser le statut d'un homme qui a démontré son attachement à sa société d'accueil.

Abdelkader Belaouni aime le Canada et particulièrement le Québec parce qu'il s'y sent plus en sécurité. Avec autant de solidarité, comment ne peut-il pas se sentir chez-lui.

Monsieur le Premier Ministre, puisque les promesses de plusieurs députés de l'opposition, ne donnent apparemment aucun résultat, je vous écris une lettre, vous la lirez peut-être, si vous avez le temps. C'est le temps des fêtes, le temps de poser un geste d'humanité. Allez-y, SVP faîtes-le, je vous le demande solennellement.

Mohamed Lotfi
Journaliste et réalisateur radio