Le déclin de l’empire Arcand

2007/12/10 | Par Pierre Demers

Le film commence avec un plan de grue sur une rue de banlieue lavalloise aux maisons clonées, presque le même qui amorce Que Dieu bénisse l’Amérique de Robert Morin. C’est à s’y méprendre.

On retrouve le même plan vers la fin du film quand Jean-Marc Leblanc (Marc Labrèche, la star comique de service) quitte sa banlieue pour le paradis du Bas du Fleuve, la région sauvage salvatrice….à deux arpents de Bouscotte…

Alors, on se dit : Arcand va charger du côté de la petite vie imbuvable de banlieue, de la monotonie des couples qui s’effacent à force de routine et d’heures passées sur les autoroutes vers la ville et le travail, vers la désintégration de notre société perdue. La banlieue aux cabanons-refuges comme dans Que Dieu bénisse l’Amérique encore.

C’est exactement ça qu'il fait. Mais, sa démonstration tombe à plat. Trop c’est trop.

Un documentaire plutôt qu’une fiction

Il nous a fait le même coup avec beaucoup plus de mordant et d’humour dans ses films précédents. Dans ses documentaires surtout, je pense ici au Confort et l’indifférence, à Québec, Duplessis et après…

Si Arcand n’était pas tombé dans la marmite du jet set oscarisé, si Arcand avait vraiment garder la tête froide, et bien il aurait traité le destin de Jean-Marc Leblanc en documentaire.

Il aurait pu convaincre sa productrice de prendre ses distances du star system local et international et faire un bon documentaire mordant, tordant au lieu de ce melting pot d’images télévisuelles qui ne mène nulle part, et surtout pas au chef-d’œuvre découvert en catastrophe par Richard Martineau dans le Journal de Montréal et par tout le reste de la batterie de chroniqueurs amis publicistes du couple oscarisé (Lysiane Gagnon de La Presse, Michel Coulombe de l’Actualité, sans oublier la SRC de l’émission Tout le monde en parle, réincarnée dans le film avec son pape, Thierry Ardisson lui-même, etc).

Car ce qui est intéressant (malgré le leurre facile du chef-d’œuvre) sur le plan cinématographique dans la sortie tardive de ce film au Québec (six mois après Cannes et Paris), c’est le désespoir avec lequel les producteurs, le réalisateur et toute l’équipe de stars s’acharnent à lancer le film tout azimuts, les tournées régionales pour convaincre les hebdos locaux et la batterie de journalistes et d’animateurs radio en quête d’entrevues avec les vedettes du film, Marc Labrèche en tête, défendant l’indéfendable (le fameux film) avec le talent légendaire d’Arcand et évidemment ses autres projets personnels…

On n’est pas loin de Loft Story

Ce film est raté pour plusieurs raisons. Mais rien n’empêche ses promoteurs d’accuser les critiques d’ailleurs et d’ici qui ne comprennent rien et les démons qui s’acharnent sur la carrière de Denys Arcand depuis le début.

Comme si un cinéaste n’avait pas le loisir de rater son coup.

J’aime beaucoup ce propos de la productrice Denise Robert lors de sa tournée régionale pour clore le bec aux mauvaises critiques du film. « Denys Arcand ne peut pas faire autre chose que du Denys Arcand…c’est un grand cinéaste… Ok. »

Ce film est raté pour plusieurs raisons. Surtout parce que ses images donnent trop souvent l’impression d’avoir été empruntées au petit écran. Trop de ses vedettes d’occasion, trop de pitounes de service qui y défilent viennent de notre imaginaire télévisuel. Arcand n’avait pas l’habitude d’en importer autant de ce réservoir pour les recycler dans ses films.

Ici le petit écran et son style déborde sur le grand. On n’est pas loin de Star Academy ou de Loft Story.

Autre parasitage majeur, les deux gags qui marchent quelque peu dans le film, soit le héros déguisé en samouraï pour couper la tête de son patron avec un sabre et le combat avec un chevalier assommé par une cloche, sont des copies conformes de gags de Quentin Tarantino (Kill Bill 1) et de Chaplin (Easy street).

Arcand devrait changer de productrice

Arcand ne s’est pas forcé fort fort pour nous faire rire. Quand j’ai vu le film dans une salle assez remplie, aucun spectateur n’est mort de rire. La plupart attendaient les gags qui ne sont jamais venus.

L’attente était lourde et le film long avant qu’il ne finisse sur le chant de Rufus W. peu crédible en Don Juan…

En revoyant le plan de la banlieue lavalloise comme emprunté lui aussi au film Que Dieu bénisse l’Amérique de Robert Morin, je me suis dit que ce film, mieux fait, beaucoup plus mordant sur l’esclavage de la vie banlieusarde, sur la désintégration de notre société et même sur la folie de la sécurité post onze septembre (Arcand en fait allusion pour ne rien oublier dans son film fourre-tout) faisait davantage le travail de sape que celui d’Arcand.

Et surtout sans avoir été obligé pour les besoins de la co-production et sa carrière internationale de le truffer de stars éphémères.

Il serait temps qu’Arcand change de productrice et peut-être aussi de blonde. Même ses fantasmes sexuels sont devenus clichés.