Avancée ou manipulation de symboles?

2007/12/16 | Par Daniel Gomez

La soirée-débat du 4 décembre a réuni une vingtaine de membres des IPSO au pavillon Athanase-David de l’UQAM pour échanger sur le thème de la reconnaissance de la nation québécoise et du règlement du déséquilibre fiscal par Stephen Harper.

Ils se sont demandés s’il s’agissait là d’une avancée pour le Québec ou d’une simple manipulation des symboles. S’est posée également la question de la stratégie à adopter face à cette nouvelle conjoncture.

Jocelyne Couture du département de philosophie de l’UQAM), Guy Lachapelle, du département de science politique de Concordia et Henri Laberge , Président du mouvement laïc québécois, étaient les conférenciers invités.

Nous présentons ici une brève synthèse des interventions des trois conférenciers en espérant ne pas trop déformer leurs propos.

La manipulation des symboles

Jocelyne Couture a ouvert la soirée en élaborant surtout sur .la manipulation des symboles et, plus spécifiquement, sur le mode de fonctionnement de cette manipulation.

Elle a noté que la reconnaissance de la nation québécoise et le règlement du déséquilibre fiscal étaient des symboles forts car ils sont emblématiques et en eux se focalisent beaucoup d’aspirations des Québécois.

La nation par exemple réfère à l’identité culturelle, à la spécificité identitaire et à l’espace communautaire et territorial.

Le déséquilibre fiscal est quant à lui une représentation emblématique de la relation de dépendance et de domination que peuvent ressentir les Québécois face au Canada.

La professeure de l’UQAM s’est également exprimée sur la manipulation des symboles. Pour elle, la reconnaissance de la nation québécoise, sous la forme que lui a donnée Harper, a permis de créer un nouveau symbole canadien.

En effet, pour le reste du Canada cette nation québécoise n’existe maintenant que par rapport au Canada tel qu’il se définit. Elle continue en notant que Harper propose de régler la question du déséquilibre fiscal entre Ottawa et les provinces.

Mais, en faisant cela il déplace les symboles et les manipule puisqu’il occulte le fait que le déséquilibre fiscal symbolise un rapport de domination entre Ottawa et Québec.

Pas d’avancées pour le Québec, mais peut-être pour Harper

Pour madame Couture il ne semble donc pas y avoir d’avancée pour le Québec dans cette nouvelle conjoncture. Mais elle se demande si en revanche tout cela pourrait se traduire en avancée pour Harper et la Canada anglais face au Québec?

Elle se demande également si les Québécois peuvent être dupes de manipulations aussi grossières? Elle pense que cela se pourrait, car ce qu’entend la population c’est qu Harper a réglé le déséquilibre fiscal et qu’il a reconnu la nation québécoise, même si la nation dont parle Harper n’a rien a voir avec la nation telle que définie par les Québécois.

Finalement, conclut Jocelyne Couture, on n’a pas changé politiquement et juridiquement les rapports qui existent entre le Québec et le reste du Canada mais on a changé le langage.

On a, dit-elle, confisqué le langage. Mais cette manipulation est une arme à double tranchant. On peut l’utiliser. Elle donne l’exemple des provinces de l’Ouest canadien qui ont protesté lors de la reconnaissance de la nation par Stephan Harper car elles l’avaient prise dans son sens initial.

De même le pari du Bloc québécois, qui a consisté à reprendre la notion conservatrice de la nation et tenté de la faire accepter dans son sens initial par le reste du Canada. C’est un pari risqué souligne-t-elle.

La puissance symbolique de l’idée de nation

Henri Laberge n’abonde pas tout à fait dans le même sens que Jocelyne Couture et quant à lui il en relativise la teneur symbolique du déséquilibre fiscal.

Il insiste surtout sur la puissance symbolique de l’idée de nation. Pour lui, les symboles peuvent parfois être plus forts que les représentations intellectuelles les plus sophistiquées.

Mais, nous prévient-il, chacun peut mettre ce qu’il veut dans ce concept. Autrement dit le contenu, le sens, de la nation peut varier selon les intervenants.

Laberge fait ensuite un petit historique du qualificatif de nation pour le Canada français et le Québec. Il insiste sur la tenue des États généraux du Canada français vers le milieu des années 60.

À cette occasion le terme de nation québécoise s’est imposé et le Québec a pu se considérer comme une nation. Il disposait pour cela de tous les attributs nécessaires à une entité nationale : territoire, langue, institutions, peuple, culture, etc.

Une victoire pour les nationalistes

Selon le président du Mouvement laïc québécois il faut apprécier la résolution de la Chambre des communes qui reconnaît le Québec comme nation. C’est grâce à l’initiative du Bloc québécois que ceci est arrivé.

Pour les conservateurs il s’agit certes d’une manœuvre politique, mais pour les nationalistes québécois c’est une victoire au niveau symbolique. Laberge pense que la deuxième partie de la résolution conservatrice, qui précise « dans un Canada uni » n’atténue pas la portée de la résolution. En effet, elle ne dit pas que la nation n’existerait pas, même sans Canada uni.

Si le fédéral reconnaît la nation québécoise il doit aussi reconnaître tout ce qui vient avec : la Charte du Français, les lois et compétences nationales québécoises : en matières internationales, sur l’immigration, etc. Cela devrait même être inscrit dans la constitution. Il faut forcer Ottawa à poser les gestes qui sont conséquents avec la reconnaissance de la nation québécoise.

Le conférencier élabore beaucoup moins sur la question du déséquilibre fiscal. Il souligne que le fédéral accumule des surplus financiers alors que les provinces sont en quasi déficit. Il ne s’agit pas là d’un simple symbole mais de quelque chose de concret.

Il faudrait alors qu’Ottawa se retire des champs de compétences provinciales et que les provinces récupèrent des point d’impôt. Mais, conclue-t-il, ce n’est pas ce qui est en train de se passer.

Quelle stratégie adopter?

Guy Lachapelle poursuit dans le même sens que Henri Laberge. Il reste sur le terrain de l’action concrète et pose la question de la stratégie à adopter suite à la nouvelle conjoncture initiée par les conservateurs.

Il note que pour les Canadiens-anglais le terme nation est l’équivalent de pays. Il soutient également que Stephan Harper essaie de revenir à l’image du Canada bi-national telle que le pensaient Pearson et le rapport Pepin-Robarts, ainsi qu’à la théorie des pouvoirs asymétriques.

Il pense donc que la meilleure stratégie pour le Québec consiste à jouer le jeu à fond. Il faut pour cela poser des gestes concrets et courageux : par exemple demander la reconnaissance du Québec sur la scène internationale. Cela sera rendu plus légitime par la reconnaissance de nation.

Pour lui, l’initiative doit venir de Québec. Dans la même logique stratégique Il salue l’idée de la citoyenneté québécoise du Parti québécois.

Le déséquilibre fiscal, une question complexe

Il s’attarde ensuite sur le déséquilibre fiscal, question plus complexe, moins claire chez beaucoup de personnes.

Le professeur de Concordia nous dit que le système canadien de transfert fiscal est unique au monde dans sa complexité. Il semble y avoir de grandes incohérences, par exemple dans le domaine des prélèvements fiscaux et des champs de dépenses:

Ottawa et les provinces se partagent de manière à peu près égale l’assiette fiscale alors que leurs champs de dépenses sont très différents.

Lachapelle élabore sur les différentes formes de transferts du Fédéral vers le Québec. Ces transferts de péréquation représenteraient 9 milliards, sur un budget québécois de 52 milliards. Il s’agit d’un domaine très complexe.

Le gouvernement libéral québécois comptait sur le Conseil de la fédération pour répondre à cette complexité; mais cela ne semble pas avoir donné grand chose.

Pour le conférencier, il existe au Québec une situation particulière, plus difficile que dans les autres provinces : nous payons plus d’impôts. Mais pour lui cela n’est qu’une apparence.

En effet, si on fait le calcul de l’impôt que les citoyens paient et des services qu’ils reçoivent, on en vient à la conclusion qu’ à la fin de l’exercice il reste plus d’argent dans les poches des Québécois que dans celles de leurs voisins canadiens.

Il faut donc dire à la population qu’elle pourrait avoir encore plus de services si le Québec avait plus de ressources.

Guy Lachapelle conclut en énumérant les multiples causes du déséquilibre fiscal. Il insiste sur la péréquation, sa complexité et le fait que ce soit un système unique au monde. Il y aurait 34 facteurs de taxation.

Récupérer les deux points de TPS

Face à tout ça que peut-on faire se demande-t-il? Ottawa nous propose d’augmenter nos taxes. Lachapelle pense que l’on aurait pu récupérer les deux points de taxes que le gouvernement central a abandonnés.

Bref, il faut être capable d’augmenter nos revenus. Il faut également trouver d’autres moyens de gouverner, de façon à réduire nos dépenses.

Pour le politologue, il semble que le prochain débat devrait tourner autour du pouvoir fédéral de dépenser. On verra ce qu’Ottawa fera.