L'or, l'encens et... Lemire

2007/12/18 | Par Ginette Leroux

« Vos mots ont inspiré les miens, et vous avez transformé ma façon d’écrire, de raconter, de communiquer. La relation exceptionnelle entre nous a permis une certaine forme d’ouverture, de confidence », écrit Jean Lemire le 24 novembre 2006.

C’était le dernier journal de bord parmi les plus de deux cent soixante-dix correspondances qui ont marqué, de façon définitive, cette exceptionnelle aventure humaine. « J’ai de la difficulté à terminer ce journal. Le temps semble suspendu, et j’ai peur de vous perdre », ajoutait-il avant de conclure sur de chaleureux remerciements.

« Le journal de bord a changé le processus créatif du film et du livre grâce à la relation intime qui s’est installée entre nous et les 900 000 marins virtuels qui sont devenus des membres d’équipage », me dit Jean Lemire lors de l’entrevue accordée à l’aut’journal.

Pour y arriver, Jean Lemire a pu compter sur le soutien de Pascale Otis qui, en plus de ses fonctions de biologiste, avait la responsabilité de la gestion Internet. Elle avait l’immense responsabilité de lire et de répondre, au quotidien, à chacun des internautes.

Entouré de photos, le crayon de plomb à la main

Vous verrez, dans le film, des scènes où le capitaine du voilier océanique est assis dans sa cabine, entouré de photographies d’explorateurs qui l’inspirent. Notamment, Shackleton qui, en 1914, à bord du Endurance, le légendaire trois-mâts, est à l’origine de la première traversée transantarctique. Ce courageux et téméraire capitaine a réussi à sauver tous les hommes de son équipage qui a dérivé pendant 18 mois.

Jean Lemire écrit dans un grand cahier ligné… au crayon de plomb. À croire qu’il préfère l’écriture conventionnelle à la saisie par ordinateur. Ce geste m’a étonnée et a piqué ma curiosité. La raison est toute simple. « Tous les scientifiques écrivent à la mine, m’assure-t-il, car même s’il pleut l’écriture ne s’efface pas. »

Déformation professionnelle? Certainement! Il reste que l’ordinateur est demeuré, pour la plupart du temps, l’outil privilégié puisque des milliers d’internautes attendaient fiévreusement la suite des péripéties quotidiennes.

« Le journal de bord est la mémoire de l’expédition. Il marque l’ensemble, relie tout », convient Jean Lemire. S’il permet de faire le point sur les événements vécus, il permet le recul. Car lorsqu’on vit à treize sur un bateau, il est essentiel de préserver son intégrité personnelle. Chaque membre d’équipage tenait son propre journal.

Un film où notre regard dérive sur l’infinie blancheur australe

Comment résumer six cents heures d’images en une heure quarante-cinq minutes? Un exercice qui s’avère difficile, voire même douloureux, assure le cinéaste. Le résultat de ce véritable tour de force extraordinaire est à l’image de l’expédition.

Le récit est limpide, les images saisissantes. Les spectateurs seront comblés. Lemire et son équipe a réussi à embarquer tout le monde à bord du Sedna IV, le grand voilier océanique, fonçant, droit devant, vers l’aventure. On reconnaît, une fois de plus, le goût inné du partage chez son capitaine.

Le film renferme des scènes d’une beauté étonnante. On se cale confortablement dans son fauteuil et, comme le capitaine en haut du beaupré, on laisse dériver son regard sur l’infinie blancheur australe.

Au rendez-vous, les magnifiques couchers de soleil : tantôt une orange sanguine, tantôt un pamplemousse d’un jaune délavé ou encore un demi-citron. Ou était-ce la lune? Dans cette terre blanche où le jour et la nuit longtemps se confondent, il n’y a que les habitués capables de les différencier.

Des parties de hockey mémorables

Pour contrer l’isolement, échapper à la promiscuité, l’équipage invente des distractions. On sort les kayaks de mer et on rame sur l’eau glacée, on chausse les skis, on improvise une table de ping-pong, on fait même de la bicyclette.

Lorsque l’hiver s’installera, une patinoire naturelle apparaîtra au pied du bateau. Là se disputeront des parties de hockey mémorables. C’est bon pour le moral de la troupe.

Mais nous sommes en terrain hostile, il ne faut jamais l’oublier. Sous nos yeux, s’active l’irréductible machine climatique. Le monde est en plein bouleversement. Une scène terrible montre les membres de l’équipage aux prises avec une énorme tempête.

Le phoque léopard qui mord les amarres

Tous les gestes sont comptés. On resserre, on double, on triple les amarres. S’il fallait évacuer… Le bateau tangue si fort. Une amarre lâche. « Évidemment, ça se passe toujours en pleine nuit », dit le capitaine qui montre des signes de stress, inhabituel chez lui.

Les éléments se déchaînent. La tension monte. Suspense. La caméra se tourne vers le phoque léopard qui mord les amarres. L’animal marin semble heureux de participer, même à contresens, aux manœuvres de survie. Pourtant, on le verra plus tard admiratif de ces skieurs de fond sur une piste improvisée. Pendant ce temps, la lune, la banquise, immuables.

Ces moments du film sont précieux, car ils permettent aux spectateurs de mesurer la fragilité de l’expédition. Il faut un esprit d’équipe très fort pour passer à travers ces épreuves.

Si les images du film Le Dernier continent revêtent un caractère plus humain que scientifique, si le livre Mission Antarctique regorge de photos lumineuses desquelles se dégagent une grande sérénité, c’est qu’il a choisi l’impression qui rassure, la beauté qui convainc plutôt que la peur qui désarçonne. Il aime transmettre l’espoir. Tel est Jean Lemire.

Pour les Fêtes, offrez-vous l’or, l’encens et… Lemire.

Le Dernier continent prend l’affiche le 21 décembre.