Le Québec a-t-il besoin de sa Jeanne D'Arc?

2008/01/09 | Par Stéphanie Beaupied

Faut-il faire l’histoire des traîtres pour redorer le blason de nos héros nationaux ?

Jean-Paul de Lagrave se donne la mission dans Les trois batailles de Québec : essai sur une série de trahisons, de faire porter le blâme de la conquête de Québec à quelques traîtres. Lagrave affirme d’emblée « Sortir les traîtres de l’ombre, c’est grandir l’action de ceux qui ont combattu pour la liberté de leur patrie au prix de leur vie ».

Lagrave insiste sur les délateurs

C’est à l’occasion de trois batailles décisives que Québec a été conquise par les Anglais, en 1759, en 1760 et en 1775. À travers de multiples chroniques militaires, Lagrave insiste sur les délateurs et informateurs qui sont parfois des personnages obscurs. Dont celui qui a indiqué à Wolfe le sentier de l’Anse au Foulon permettant de gravir la falaise et atteindre les plaines d’Abraham.

Deux déserteurs de l’armée de Bougainville auraient aussi assuré à Wolfe que le poste Foulon était laissé libre. Est-ce que le rôle de ces traîtres a été déterminant dans la perte de Québec ? La démonstration est mince, mais elle a le mérite de faire ressortir la guerre de la conquête vue de l’intérieur. Un officier anglais écrit « Nous avons brûlé et détruit au-delà de 1400 belles fermes de sorte qu’il faudra un demi-siècle pour réparer les dommages ».

Réhabiliter Montcalm, fustiger Vaudreuil

L’intention derrière cet essai est en fait de réhabiliter le marquis de Montcalm. Lagrave rappelle les discours du Général de Gaulle selon lequel Montcalm faisait partie de ses héros au même titre que Jeanne D’Arc. Jean-Paul de Lagrave appelle au devoir de mémoire face à Montcalm.

Il s’inscrit en faux contre les interprétations généralement admises chez les historiens faisant de Montcalm un général habitué aux batailles en rang à l’européenne et peu apte à diriger des Indiens et des miliciens canadiens-français indisciplinés. Pourtant, soutient Lagrave : « Avant la bataille des plaines, Montcalm a remporté quatre victoires ».

À l’inverse, Vaudreuil est décrit par Lagrave comme un incompétent « dénué de jugement », ami des traîtres et fuyards. Peut-être était-ce le vrai traître responsable de la perte de la Nouvelle-France ? « La retraite de l’armée de Vaudreuil commença dans un désordre incroyable à 9 heures du soir le 13 septembre même, alors que Montcalm agonisait. La ville de Québec fut abandonnée à son sort ».

Selon les sources de Lagrave, Vaudreuil a pris la fuite et « après la première bataille sur les plaines d’Abraham, la capitale était toujours libre. Vaudreuil était pourtant prêt à capituler » Il a posé des «gestes semblables à des trahisons», affirme Lagrave.

Un ton partisan et d'une autre époque

Lagrave n’y va pas de main morte dans ce livre. Il fait fi de plusieurs travaux d’historiens récents et utilise des sources comme Thomas Chapais et François-Xavier Garneau. Évidemment, le résultat apparaît vieilli, même partial. Lagrave conclut avec le ton pompeux de cet ouvrage.

« Beaucoup pourtant, écrit-il, cherchent encore leur patrie. Elle est là où les ancêtres ont versé leur sang pour la sauvegarder, lui assurer sa liberté, combattre pour elle. […] La soumission, c’est la mort; mais c’est surtout l’abdication, la honte et l’abandon. » Un discours belliqueux qu’on entend peu au Québec.

L’ouvrage de Jean-Paul de Lagrave se distingue par le ton partisan et assurément d’une autre époque. «La souveraineté du Québec, écrit-il, ne pourra vivre que dans une capitale libre, à l’orée des plaines d’Abraham, arrosées du sang des défenseurs de la patrie.»

Je ne crois pas que nous ayons besoin de nous créer des héros militaires à la Jeanne d’Arc pour faire l’indépendance du Québec, non plus de trouver des coupables.

La seule patrie de Montcalm était la France

Québec n’était qu’une autre terre victime des guerres impérialistes du 18e siècle.

Montcalm était un militaire et sa seule patrie était la France. Avant de la servir sur les plaines d’Abraham, il a combattu entre autres en Rhénanie lors de la guerre de Succession de Pologne, en Italie et à Prague lors de la guerre de Succession d’Autriche.

Lagrave oublie que le Québec était une colonie non pas un district de la France. Sur les plaines d’Abraham, Montcalm ne défendait pas Québec mais bien Paris !


Les Trois batailles de Québec, de Jean-Paul De Lagrave, aux Éditions Trois-Pistoles, 2007.