La campagne à l’assaut de l’Internet haute vitesse

2008/01/15 | Par Camille Beaulieu

Les espoirs de centaines de collectivités rurales convergent vers Marsoui, une petite communauté de Haute-Gaspésie, mercredi le 16 janvier.

Dans un courageux pied de nez aux empêcheurs de « surfer » en rond et après des années d’un silence imposé, une antenne érigée sur l’édifice municipal émettra le signal Internet haute vitesse du réseau collectif vers des citoyens trop longtemps tenus pour quantité négligeable.

Télus et Télébec, qui ont vu dans l’Internet une vache à lait à entraver pour mieux la traire, suscitent aujourd’hui, en réaction, l’esquisse d’un front commun des régions rappelant les Opérations dignité du début des années 1970 . Le mot d’ordre reste d’ailleurs le même qu’à l’époque : Échapper au « remote control » des corporations et des autres prévaricateurs, dont certains très familiers.

Menaces et promesses n’y font rien

Les menaces contre Marsoui – l’initiative serait illégale paraît-il – n’y ont rien fait. Les avertissements – le détournement du signal vers les domiciles saturerait le large bande des écoles et des municipalités – n’y ont rien changé. « Ils ont tout essayé pour nous décourager! » résume Francis Bernatchez du comité Marsoui.

Les promesses non plus n’ont pas fait mouche. Pas même le paquet de millions de dollars virtuels brandi in extremis la semaine dernière par les élus gaspésiens pour un réseau haute vitesse mur à mur.

Les Marsouillais ne fléchissent pas. « On en a ras le bol, lance la maire Jovette Gasse; la haute vitesse existe depuis 10 ans au pays. Nous devrions l’avoir depuis au moins quatre ou cinq ans. On ne veut plus attendre ! »

Le même schéma partout

Le schéma qui a suscité ce trop-plein est le même à travers le Québec. La haute vitesse traverse insolemment le village aux nez des gens pour desservir l’école et l’administration. Commerces, industries et surtout domiciles sont relégués au « bœuf » par modem téléphonique qui ne constitue même plus un soupirail donnant sur un web devenu trop lourd.

Promues dans des circonstances jamais très claires, propriétaires, utilisatrices exclusives ou grandes prêtresses techniques de la fibre optique institutionnelle, Télébec et Télus attendent depuis des années les subventions ou la garantie d’un nombre suffisant de branchement (généralement une centaine) pour rentabiliser leur haute vitesse rurale.

Une technologie archaïque, bancale et coûteuse

Dédaignant le sans fil, les deux compagnies pèsent de tout leur poids pour desservir les domiciles par le truchement de boucles ADSL, reliant le réseau de fibre optique et les clients par fil téléphonique.

Il s’agit d’une technologie bancale avec une distance maximale de 4 kilomètres et plus ou moins 50$ par mois pour un débit généralement limité à 1.5 Mbits/sec.

La boucle ADSL est aussi 40% plus dispendieuse que le sans fil qui permet, lui, jusqu’à 4 Mbits dans un rayon de dix à dix-huit kilomètres.

Le mérite de la ADSL aux yeux de Télébec et Télus réside sans doute dans le recours au fil de cuivre et aux poteaux de téléphone, symboles archaïques de la téléphonie de papa encore sous leur contrôle !

On se rue vers le Wi-Fi et le Wi-Max

Les ruraux, on le comprend, se ruent, lorsqu’ils le peuvent, vers les technologies sans fil, Wi-Fi et Wi-Max. Sans faire de vagues le plus souvent – contrairement à Marsoui qui a décidé de péter la « baloune » du réseau collectif – plusieurs villages et MRC sont déjà branchés au Web mondial.

Ottawa par exemple ( une municipalité rurale à 90%) offre 1 Mbits/sec pour 35$ par mois. Tandis que Yamachiche, par le truchement du réseau collectif de la commission scolaire, offre 3 Mbits/sec pour 40$ par mois.

Le Wi-Fi mène au IP

La MRC Papineau a vu grand elle aussi. « D’ici fin janvier, deux cents domiciles et commerces auront été branchés (40$/mois pour de 1.5 à 3 Mbits/sec), sur un potentiel d’environ 1000 branchements pour la première phase, explique Michel Samson, coordonnateur d’Intelligence Papineau (samsonmi@tlb.sympatico.ca) un organisme à but non lucratif (OSBL) chargé d’implanter le service.

Les villages desservis sont : Lochaber, Lochaber-ouest, Notre-Dame-de-la-Paix, Montpellier, Notre-Dame-de-la-Salette, Lac-des-Plages, Mayo, Thurso, Duhamel, Plaisance, St-Émile de Suffolk, Namur et Lac Simon. »

Le signal du réseau de fibre optique institutionnel est acheminé par sans fil Wi-Max grâce à la technologie de Motorola Canopy. »

« Il est possible d’installer un système de distribution sans fil partout où aboutit une fibre optique d’accès public, explique le porte-parole d’Intelligence Papineau, sans saturer le réseau collectif. Ce n’est qu’une question de disponibilité de bande passante. Nous, on pourrait desservir jusqu’à 1 200 clients par antenne, plus que la population de la plupart des villages gaspésiens. Et trente clients suffisent pour rentabiliser chaque emplacement.»

« Je suis convaincu qu’ils (Télus, maître d’oeuvre en Gaspésie ) ont installé la fibre pour desservir aussi les domiciles et les petits commerces, comme dans la MRC Papineau. La fibre en elle-même n’est que de la plomberie. Ce qui manque maintenant en Gaspésie, ce sont les bains, les toilettes et les lavabos. »

« Du moment où des communautés se prennent en main pour avoir la haute vitesse sans fil, constate M Samson, elles passent facilement à l’étape suivante, la téléphonie IP. » C’est-à-dire la téléphonie mobile, le glas des monopoles traditionnels, une technologie beaucoup moins chère et beaucoup plus efficace; bref le cauchemar récurrent des actionnaires des compagnie de téléphone..

Le Centre d’accès Internet de Mont-Louis

Ginette Migneault de St-Maxime de Mont-Louis suit elle aussi d’un œil avide le souque à la corde de Marsoui. « Ils ont compris. Tous les p’tits villages gaspésiens voudraient faire comme eux. J’ai déjà vu une municipalité mettre son routeur dans la fenêtre pour brancher une entreprise de l’autre côté de la rue. Rien qu’en Haute Gaspésie, de Cap Chat à Madeleine, il n’y a pas un seul village avec la haute vitesse pour les citoyens. C’est politique tout ça ! »

Ginette Migneault s’est retroussé les manches. Elle a créé un OSBL, le Centre d’accès Internet, pour brancher Mont-Louis, Anse Pleureuse et Gros Morne. « Le monde chiale ! Pour une boucle ADSL couvrant une fraction de Mont-Louis, Télus exige 100 branchements garantis. Nous, on nous propose 3 Mbits/sec pour couvrir les trois villages, et Télus, le seul vendeur, facture 1 500$. C’est extrêmement cher. Mais Télus a beau jeu tant qu’elle n’a pas de concurrent. »

Communautel des Hautes Laurentides

Un autre OSBL qui carbure évidemment au bénévolat, Communautel, arrose déjà par sans fil Wi-Fi les municipalités de Nominingue. La Macaza et Rivière Rouge. Elle prévoit étendre sous peu ses services à sept autres petites communautés des Hautes Laurentides. La haute vitesse, jusqu’à 6 Mbits/sec, s’y détaille 25$ par mois par contrat d’un an, 40$ par mois sans contrat.

Communautel compte une centaine de clients sur ce territoire qui relevait auparavant des limbes informatiques. « Télébec et Bell ont pourtant tout fait pour nous ralentir, déplore Jean-Paul Bleau, conseiller technique de Communautel. Des rumeurs inquiétantes ont circulé sur l’illégalité du projet et sur l’absence de confidentialité liée au Wi-Fi. On laissait aussi entendre que le réseau public serait saturé par la desserte des domiciles, alors qu’on ne prendrait pas plus de 3% de sa capacité. »

Privée d’accès au réseau collectif, Communautel achète des DSL (accès à la haute vitesse) de Bell. « On pourrait brancher encore d’autres clients, mais nous manquons de financement, explique Bleau. La volonté politique n’y est pas ! »

Communautel constitue un exemple éclatant de réussite par-delà l’adversité, dans ce milieu éclaté où nombre de petits fournisseurs Internet ont cassé leur pipe ces dernières années.

Ses bénévoles agissent comme informateurs auprès des Marsouillais juchés sur leur barricade. Ils participeront à une prochaine conférence de Solidarité rurale à Nicolet… sur la domestication de l’Internet.

Un zeste de courage de la part du CTRC, imposant, par exemple la desserte des secteurs moins rentables, comme en téléphonie il y a plus d’un demi-siècle, aurait limité cet immense gâchis d’argent et de talents qui dénature l’implantation de l’Internet au Québec depuis dix ans.

Un brin de transparence et de volonté politique n’auraient pas nui non plus. Au lieu de quoi, nos gouvernements ont laissé des millions de citoyens, seuls, leur valise entre les genoux, sur le quai de la gare.

Lien:
www.maillons.qc.ca : Le réseau des associations québécoise pour un Internet libre

Sur la photo : installation d'une antenne à Notre-Dame-de-la-Paix, sur la route 323