L'alliance Dumont-Harper

2008/01/15 | Par L’aut’journal 

Extrait de Denis Lessard, L’instinct Dumont, Éditions Voix parallèles, 2006

La campagne électorale de 2007 a laissé des cicatrices dans la relation entre Dumont et Harper. L’adéquiste a fait passer le message qu’il n’avait pas aimé voir le ministre Cannon appuyer ouvertement les libéraux, bien au-delà du comté de Taschereau où son fils Philippe se présentait.

Aussi, Dumont n’avait pas digéré qu’en pleine campagne électorale, le ministre conservateur Michael Fortier, ait affiché son appui au PLQ. « Lundi cela va très bien se passer M. Charest ». Fortier avait tenu à rassurer Jean Charest à la sortie de la messe de la Saint-Patrick.

Le budget fédéral du 19 mars était déterminant pour la campagne libérale. À une semaine du scrutin, la déclaration de Fortier, retransmise aux bulletins de nouvelles, fait sauter les plombs de Dumont. Sans Cartier passe, à ce moment-là, le message aux gens de Harper. « On leur a rappelé toutes les fois que Jean Charest les avait poignardés. Aussi on a rappelé que c’est Dumont qui avait appuyé les conservateurs aux dernières élections », résume Jean-Nicolas Gagné.

La coupe déborde quand le président de l’association conservatrice de Montmagny-L’Islet-Kamouraska-Temiscouata, ancien député de Brian Mulroney, André Plourde appuie Jean D’Amour, l’adversaire de Mario Dumont dans sa circonscription.

Dumont et Harper se parleront après les élections. L’adéquiste dira au premier ministre qu’il n’avait pas pu faire grand-chose aux élections de janvier 2006, mais que « toute sa crédibilité, il l’avait mise au service des conservateurs ».

Et l’ascenseur lui était renvoyé, un peu chichement, à son goût avec ces sorties de Cannon et Fortier. Lors de cet échange, « Dumont s’est demandé à voix haute combien de ces ‘‘ nouveaux conservateurs’’ il aurait le goût de faire élire, la prochaine fois à Ottawa, pour qu’ils reviennent le poignarder dans le dos aux prochaines élections provinciales, au bénéfice des libéraux provinciaux », de révéler un confident de Dumont.

L’élection change tout

Devant l’élection de 41 députés pour Mario Dumont, et la perte de vitesse des libéraux provinciaux, des députés conservateurs québécois sympathiques à l’ADQ soulèvent des questions dès la première réunion du caucus qui suit les élections provinciales. « Comment avait-on pu ainsi nuire à la campagne de Dumont, notre allié politique? Que fait-on dans le lit avec des libéraux provinciaux? »

Pour Stephen Harper, ce qui vient de se passer au Québec est « l’équivalent d’un tremblement de terre politique ». Il souligne alors, devant ses députés, que l’ADQ est le parti le plus proche des conservateurs fédéraux. Les erreurs d’aiguillages, les bâtons mis dans roues à ce parti frère, « this type of things will never happen again », laisse tomber Harper derrière les portes closes. Et, à son premier véritable remaniement, en août 2007, les deux seuls ministres québécois qui auront des promotions avaient des sympathies adéquistes : Josée Verner et Maxime Bernier.

Les élus conservateurs sont profondément irrités aussi de la décision de Jean Charest, en toute fin de campagne électorale, de balancer en baisses d’impôts quelques 700 millions de dollars de transferts supplémentaires qu’il venait de recevoir dans le budget fédéral.

Le gouvernement Harper avait, subitement l’air, partout au Canada anglais, du dindon de la farce, dupé par le Jean Charest.

De vieux compères

La sympathie entre Dumont et Harper remontait à plusieurs années. À l’époque où Harper présidait le National Citizen Coalition, entre 1997 et 2002, il s’entretenait « régulièrement » au téléphone avec le jeune chef adéquiste, confie un proche de Dumont.

Et pendant un bon moment, Stephen Harper voyait en ce Mario Dumont le lieutenant conservateur du Québec. Harper avait négligé l’ADQ avant les élections de 2007, tant les troupes de Dumont semblaient condamnées à la marginalité. Les choses ont changé depuis qu’il est devenu clair que l’ADQ est parvenue à mobiliser « le fond bleu », qui hibernait depuis bien des années au Québec.

Les destinées du Parti conservateur au Québec et celles de l’ADQ semblent aujourd’hui étroitement liées. Josée Verner, ministre de Stephen Harper, était depuis longtemps proche de l’ADQ, l’organisatrice d’Éric Caire – elle avait été, dans une vie antérieure, au service de la correspondance du cabinet de Robert Bourassa, puis employée politique chez le ministre Lawrence Cannon.

Maxime Bernier, ministre aussi à Ottawa, est un ancien employé de cabinet de Bernard Landry, mais ses sympathies à l’ADQ sont aussi bien connues. Cet ancien vice-président de l’Institut économique de Montréal a déjà écrit un livre pour promouvoir le taux unique d’imposition; il est un défenseur de l’entrée du privé en santé. Janvier Grondin, le député adéquiste de Beauce-Nord, l’a appuyé sans réserve aux élections de 2006.

Conservateurs et adéquistes, même combat

Des députés conservateurs sont aussi depuis longtemps sur la liste des membres de l’ADQ, les Jacques Gourde et Steven Blaney par exemple. Opposé à l’avortement, l’agriculteur Gourde avait eu l’appui du député adéquiste Marc Picard dans sa campagne. François Corriveau, le second député élu sous la bannière adéquiste après Dumont, avait été candidat conservateur à ces élections.

Chez les employés politiques, on retrouve aussi des disciples de la première heure de Dumont, à Ottawa. Isabelle Fontaine, directrice des communications chez Maxime Bernier, était de la tournée Dumont en 2003. Jean-Luc Benoît, l’un des plus proches collaborateurs de Dumont de 1992 à 2003, est responsable des communications chez la ministre Bev Oda.

Michel Lalonde est, en 2007, le chef de cabinet de Jean-Pierre Blackburn; Isabelle Bouchard, elle aussi au cabinet de Dumont au Parlement, était aux communications pour le ministre de la Défense nationale Gordon O’Connor. Enfin, Frédéric Baril était attaché de presse du ministre Michael Fortier.

Au cabinet Harper, on peine dans certains cas à démêler les adéquistes et les conservateurs québécois. David Couturier, Jean-François Béland et Jean-Maurice Duplessis ont tous été proches du parti de Mario Dumont. Duplessis était même chef de tournée de Dumont aux élections de 2003. Pierre Miquelon, un autre vieux « bleu », était devenu permanent à l’ADQ avant de retourner pour les conservateurs chez Jean-Pierre Blackburn, qui a comme attachée de presse Roxane Marchand, une autre adéquiste.