Les bleuets pour la paix

2008/01/21 | Par Pierre Demers

Pierre Demers est correspondant au Saguenay-Lac-Saint-Jean

Pierre Demers : Qui font partie des Bleuets en ce moment?


Gilbert Talbot : Les Bleuets pour la paix sont un regroupement spontané, surtout de jeunes hommes et jeunes femmes du Saguenay Lac St-Jean qui s'opposent à la guerre en Irak, en Afghanistan et partout où on se tue plutôt que de s'entraider.

Pierre Demers : Quelles sont vos actions récentes qui ont donné de bons résultats?

Gilbert Talbot : En septembre, nous avons voulu remettre une lettre expliquant notre position pacifiste au caucus québécois des députés et ministres conservateurs, mais on nous a mis à la porte. Le même soir, nous avons rencontré Jack Layton du NPD, qui nous a reçus à bras ouvert.

En octobre, si ma mémoire est bonne, l'armée canadienne a tenu une journée d'activités « plein-air » dans un école primaire de St-Charles-de-Bourget. Un tollé de protestations s'est aussitôt levé devant un tel scandale. Nous sommes intervenus pour dénoncer un geste aussi odieux de basse propagande envers des enfants.

Nous sommes intervenus une seconde fois contre le recrutement en milieu scolaire, à l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) cette fois-ci. Là, des étudiants militants se sont objectés fermement à la tenue d'un kiosque de l'armée lors d'une journée porte ouverte.

L'armée exploite ainsi les étudiants les plus démunis, qui ne peuvent payer leurs études, en leur promettant une carrière et en payant leurs études. Comme partout ailleurs, ce sont les plus pauvres qui doivent se vendre comme chair à canon.

Le même jour à l'UQAC, nous sommes intervenus dans une conférence d'un lieutenant-major qui s'était invité pour donner une conférence sur son « vécu » en Afghanistan.

Il se présentait comme un ex-responsable des opérations en Afghanistan. Il avait un diaporama appelé « l'insurgence », un anglicisme pour parler d'insurrection, plutôt que de guerre d'occupation.

Il présentait cet insurrection comme étant « idéologique » parce que menée au nom de l'islamisme, comme si l'occupation du territoire afghan par les forces canadiennes n'était pas elle idéologique. Nous sommes donc intervenus de l'intérieur pour dénoncer les faussetés de cette propagande déguisée en pseudo-témoignage personnel.

Nous avons appris par la suite, que cet homme n'avait pas été invité par l'UQAC. L'université avait plutôt proposé de tenir un débat où chaque position pourrait être présentée par des représentants de chaque tendance. L'armée a refusé cette proposition.

De l'extérieur, des étudiants ont manifesté leur opposition, mais on ne leur a pas permis d'entrer dans la salle. Ils ont donc chahuté à l'extérieur pendant toute la conférence.

Les Bleuets pour la paix font partie du Collectif québécois Échec à la guerre. C'est pourquoi nous soutenons les actions de ce collectif et des groupes affiliés. À ce titre, nous avons participé aux manifestations de la coalition de la région de Québec et que nous avons appuyé la pétition de la coalition de Trois-Rivières.

En ce moment, nous préparons notre participation à la manif du 24 janvier, organisée par le Forum social Mondial, « pour que la neige brûle » : une action de protestation non seulement contre la guerre, mais aussi contre l'inaction de nos gouvernements face à la pauvreté croissante et le manque d'intervention politique pour contrer le réchauffement climatique.

Pierre Demers : En quoi le Saguenay-Lac Saint-Jean diffère-t-il des autres régions du Québec sur le plan des actions pacifistes?

Gilbert Talbot : Nous ne sommes pas vraiment différents. Nous sommes des pacifistes actifs depuis l'invasion de l'Irak en 2002. Nous avons l'appui d'une population majoritairement opposée à la guerre et nous avons à contrer l'influence de la propagande de l'armée et du gouvernement, fortement répandus par les médias.

Nous participons à notre façon à l'accroissement grandissant du mouvement d'opposition à la guerre, partout au Québec.

Pierre Demers : Comment les médias officiels vous reçoivent-ils?

Gilbert Talbot : Les médias ne rendent pas bien compte de l'ampleur du mouvement. Même s'il est clairement reconnu que la majorité de la population québécoise s'oppose à la participation des troupes canadiennes en Afghanistan, les médias mettent davantage l'accent sur la position du gouvernement, pourtant minoritaire.

On entend davantage des commentaires parfois racistes de chroniqueurs biaisés comme Jacques Brassard, ancien ministre péquiste, maintenant chroniqueur au journal Le Quotiden, ou Louis Champagne de CKRS Radio ou sa comparse Myriam Segal, qui aspergent quotidiennement la population régionale de leurs inepties.

Je ne vous donnerai qu'un seul exemple pour illustrer mon propos. Lors de la sortie de la nouvelle de la présence de l'armée dans l'école primaire de St-Charles-de-Bourget, Myriam Segal m'a interviewé à son émission du midi en tant que porte-parole des Bleuets pour la paix.

Quand vous participez à son émission, vous devez vous attendre à ce que madame Segal ne vous laisse pas parler librement: elle vous coupe constamment la parole, vous pose des questions tendancieuses et ne se gène jamais pour mêler son opinion à la discussion.

Lorsque je lui ai appris qu'il y avait plus de morts civils que militaires en Afghanistan, elle a semblé tout d'abord interloqué, puis s'est ressaisi en affirmant péremptoirement, que « de toute façon ces civils ne sont que des Talibans déguisés ».

Après ces propos si préjudiciables, j'ai décidé de ne plus participer à son émission pour ne pas alimenter sa démagogie.

En fait, la population est prisonnière de ce genre de chroniqueurs vendus à la propagande conservatrice et ne peut pas vraiment entendre le point de vue pacifiste opposé.

Il faut reconnaître cependant que la radio régionale de Radio-Canada nous accueille beaucoup plus chaleureusement. Malheureusement, ce n'est pas le média le plus écouté.

Pierre Demers : La base militaire de Bagotville et son poids économique dans la région vous nuise-t-elle?

Gilbert Talbot : Bien sûr. L'argument de l'apport économique et de la création d'emplois sont d'importance majeure dans une région où le taux de chômage est le plus élevé au Canada et où la crise du bois d'oeuvre fait rage depuis un an.

On ne peut pas dire cependant que cela nuit à notre action ou influence grandement l'opinion publique sur la guerre. L'armée elle-même ne s'est jamais opposée de front à nos actions, au contraire.

Elle montre son profil le plus alléchant, car elle sait bien que la population est du côté de la paix, non de la guerre.

Pierre Demers : Les jeunes militaires de la région qui vont mourir en Afghanistan ont-ils un préjugé favorable de la part de la population vue le taux élevé du sentiment d'appartenance familial régional?

Gilbert Talbot : Voilà le coeur du dilemme moral. Soutenir nos troupes tout en s'opposant à la guerre ne pourra pas être soutenu encore longtemps.

La crise morale va s'intensifier encore avec la mort du cavalier Renaud, le premier soldat originaire d'Alma, décédé récemment. Une telle situation exacerbe les contradictions et va les faire éclater au grand jour à l'occasion d'autres décès ; on a beau vouloir soutenir les troupes, le coeur des parents peut difficilement accepté la mort de leurs enfants pour des raisons uniquement économiques.

Le sacrifice d'une vie humaine ne peut être soutenu que si la cause qu'il défend rejoint nos valeurs les plus profondément enracinées. C'est loin d'être le cas présentement.

Malgré la propagande gouvernementale, la population n'est pas dupe : elle sait bien que nous sommes en Afghanistan à la demande du gouvernement américain, pour défendre ses intérêts, et non la liberté et la démocratie, comme le duo Bush-Harper veut nous le faire accroire.

Les prochaines semaines seront particulièrement cruciales : John Manley va remettre son rapport d'ici la fin janvier sur le prolongement de la mission jusqu'en 2011. Tous les journalistes politiques prévoient des élections en février et l'enjeu de la guerre sera un des enjeux majeurs de cette élection.

Soyez assurés que les Bleuets pour la paix vont faire connaître leur point de vue sur le rapport Manley et que nous participerons activement à la campagne électorale pour que les candidats régionaux se prononcent contre notre participation à la guerre et pour la reconstruction de l'Afghanistan, seul moyen de ramener la paix dans ce pays dévasté par trop de morts, de souffrances et de destructions.

Gilbert Talbot enseigne la philo au cégep de Jonquière.