Pierre Bourgault et la gauche indépendantiste

2008/01/28 | Par Pascal McDougall

L’automne dernier paraissait aux éditions Lux une biographie de Pierre Bourgault, cet homme politique qui a profondément marqué et participé aux développements politiques du Québec depuis 1960.

Le livre retrace le parcours de Bourgault comme chef du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), le premier parti indépendantiste québécois, et comme intellectuel et personnage public de premier plan.

C’est Jean-François Nadeau, directeur des pages culturelles du journal Le Devoir, qui signe cet ouvrage, très intéressant à plusieurs égards. Le livre consacre beaucoup d’encre à la vie personnelle de Bourgault; ses déboires, ses joies, ses peines, etc. Il n’en sera pas question dans cet article.

Il est plus intéressant de s’attarder aux nombreux chapitres consacrés au travail politique de M. Bourgault, et à travers cela à l’histoire politique québécoise des dernières décennies. Cela dans le but de tirer des conclusions stratégiques qui peuvent guider l’action des indépendantistes de gauche en 2008.

Bourgault et le «parti de la rue»

Premièrement, à la lecture de cet ouvrage, on constate que Bourgault et le RIN. avaient des méthodes d’action politique assez différentes de celles que le Parti québécois (PQ) privilégie depuis sa fondation.

Comme l’écrit Nadeau, «Sur le plan de l’action, […] le penchant prononcé de Pierre Bourgault pour «la rue» le situe nettement à gauche de René Lévesque.» (p. 347).

En quoi consiste exactement ce «penchant pour la rue»? Tout d’abord, évidemment, ça signifie la participation aux manifestations et aux mobilisations populaires. Qu’on pense aux manifestations d’opposition à la visite de la reine d’Angleterre en 1964, aux nombreuses manifestations d’appuis à des travailleurs en grève, ou encore aux manifestations d’opposition à la répression politique entourant la crise d’Octobre 1970, ce trait était une constante chez Bourgault.

L’idée était d’avoir un parti qui appuie et renforce les luttes sociales progressistes. Ajoutons à cela que le RIN avait un journal de parti, L’indépendance, qui faisait la promotion de son programme et de ses idées.

Le RIN parlait ainsi aux gens directement, plutôt que par l’intermédiaire douteux des médias de masse. Par ailleurs, le parti indépendantiste organisait constamment des assemblées de cuisine chez les citoyen(ne)s, sortes de mini-conférences à domicile, destinées à informer et à mobiliser les gens.

Tous ces moyens d’action politique dénotent une grande volonté de «faire de la politique autrement», comme certain(e)s le disent aujourd’hui.

Bourgault, en grand démocrate, pensait que l’émancipation du peuple Québécois ne doit pas être confiée à la direction d’un parti, mais bien aux Québécois(es) eux-mêmes. Il refusait d’adopter le fonctionnement électoraliste des partis traditionnels, qui canalisent tous leurs efforts dans les voies parlementaires, et visent d’abord et avant tout à élire des haut-placés du parti.

C’est qu’à vouloir à tout prix être élu le plus vite possible, on est réduit à devoir se conformer à l’idéologie dominante et on perd toute capacité à amener du changement. On finit par gérer le statu-quo, pour ne pas offenser les élites médiatiques et financières, et garder le pouvoir.

Au contraire, quand on mobilise le peuple en vue de créer un parti fort et combatif, on se donne l’opportunité de créer des changements en profondeur. On se donne un rapport de force face aux élites et on renforce notre parti.

C’est pourquoi Bourgault était un grand partisan de ce qu’on appelle aujourd’hui la démocratie participative, qui implique la mobilisation de la base militante. Il accusera d’ailleurs Lévesque de démobiliser les membres du Parti québécois et par conséquent de ruiner les espoirs de succès du projet de l’indépendance.

L’histoire lui donnera raison. On voit d’ailleurs que pour Bourgault, la nécessité d’avoir un «parti de la rue» n’était pas un fantasme idéologique, mais bien une nécessité stratégique.

Bourgault contre la bureaucratie péquiste

Deuxièmement, la vie politique de Pierre Bourgault à partir de 1968, l’année de la fondation du PQ, a été un combat perpétuel pour empêcher la direction péquiste de trahir le projet d’émancipation que Bourgault avait popularisé.

Son conflit politique avec René Lévesque, entre autres, est devenu légendaire.

Pourtant, Bourgault est resté convaincu toute sa vie que lui et ses camarades ont eu raison de saborder leur parti pour rejoindre le PQ. Lévesque avait complètement exclu le RIN des négociations de fusion entre son parti, le mouvement pour la Souveraineté-Association (MSA) et le Ralliement national (RN), un parti de droite catholique.

Bourgault et ses pairs ont quand même choisi de dissoudre le RIN et d’adhérer individuellement au PQ. C’est là que le calvaire a commencé.

La direction péquiste, Lévesque en tête, a tout fait pour empêcher que Bourgault, associé à la gauche indépendantiste, n’obtienne quelque poste que ce soit dans les instances et investitures du parti (pp. 312, 320-321, 324, 343-344-345).

Il a souvent eu recours au chantage et à toutes sortes de magouilles politiques pour empêcher le PQ d’adopter des politiques que lui, ancien ministre du parti libéral, considérait trop à gauche.

Une autre méthode privilégiée par Lévesque était d’ignorer tout simplement les décisions démocratiques du parti. (p. 347) On se souvient d’André Boisclair qui avait craché sur ses militant(e)s en ignorant une résolution démocratique en faveur de la nationalisation de l’industrie éolienne. Il s’inscrivait en fait dans une longue tradition.

C’est ainsi que la direction péquiste, à force de carburer à l’électoralisme et à la «respectabilité», en est venu à trahir les aspirations des Québécois(e)s à un projet social de libération et à démobiliser les indépendantistes.

Ils y sont parvenus en articulant le projet national autour d’un référendum menant à la négociation d’une nouvelle association, essentiellement un renouvellement du fédéralisme.

Cet «État associé» ferait bien sûr partie des alliances impérialistes telles NORAD et l’OTAN.

La direction péquiste a aussi largement contribué à l’adoption de l’ALÉNA et massacré les programmes sociaux québécois, notamment avec les politiques dites du Déficit zéro. Par ailleurs le PQ n’est même plus capable, tant il a démobilisé les indépendantistes, de réaliser l’indépendance.

Quand on s’en tient à l’électoralisme, on ne peut effectuer une rupture si radicale que la sécession d’un État impérialiste comme le Canada. Sans stratégie de lutte, on est réduit à gérer l’État provincial en promettant de faire l’indépendance un jour, peut-être.

Et c’est toute cette évolution que l’on peut suivre à travers Bourgault, principale opposition à Lévesque au sein du PQ jusqu’aux années 1990.

Peut-on donner raison à Bourgault?

Puisqu’on vient de démontrer que la direction péquiste n’est pas une alliée du projet national québécois, peut-on donner raison à Pierre Bourgault quand il affirme avoir bien fait de dissoudre le RIN et d’intégrer le PQ, au nom de «l’unité de tous les indépendantistes» (p. 308)? Pas du tout.

La direction péquiste a toujours voulu monopoliser le sentiment indépendantiste et l’édulcorer d’associationnisme et de néolibéralisme. Le fait de rester à l’intérieur du PQ, sans proposer d’alternative organisationnelle et programmatique claire, est une grave erreur tactique.

Elle cautionne les orientations fondamentales du PQ, et ne donne aucun pôle de ralliement aux opposant(e)s. S’il y avait eu un parti comme Québec solidaire ou le RIN à l’époque du tournant néolibéral du PQ (début des années 80), l’opposition à ce parti aurait pu se cristalliser, et son déclin s’accélérer. La gauche serait beaucoup mieux organisée aujourd’hui.

Ces deux considérations stratégiques que Bourgault et les Rinistes ont appris à la dure devraient nous épargner de futures déceptions. Pour cela nous devons par contre prendre acte de ces faits historiques et ajuster notre action politique en conséquence.

Dans le contexte actuel, deux partis indépendantistes se côtoient. Le PQ, dont la direction est vendue à l’impérialisme américain et au pouvoir des possédants, et Québec solidaire, un parti de gauche produit par un renouvellement des luttes sociales des dernières années, porteur d’un projet de société libérateur et inclusif.

Le PQ, une vieille machine électoraliste démobilisatrice, qui n’est pas capable de faire l’indépendance, ou Québec solidaire, un parti de la rue qui veut mobiliser les gens. Pour les indépendantistes, l’heure est à la réflexion et au choix.

Pascal McDougall, militant indépendantiste en Outaouais.