Le ballon gonflé de vent

2008/02/01 | Par Jacques Attali

En réalité, beaucoup : dans tous ces cas, ce sont des hommes qui, presque à mains nus, ont fait vacillé un pouvoir infiniment puissant : David tuant Goliath et gagnant la guerre, Spartacus ébranlant l’empire romain, l’assassin de l’archiduc d’Autriche mettant fin à la vieille Europe ; les terroristes des Twin Towers défiant la toute puissance de Wall Street.

Ces obscurs ont réussi, d’un geste minuscule, à abattre un système, ou en tout cas à le menacer très sérieusement ; ils fascinent et inquiètent toujours, dans tous les pays, de tout temps. Et dans tous les cas, la stabilité ultérieure du système se mesure alors à sa redondance, c'est-à-dire à sa capacité à ne pas être détruit par une agression minuscule.

Le jeune trader de la Défense, mettant à bas une des premières banques d’Europe, s’inscrit dans la même veine.

Il montre à sa façon que le système financier mondial est comme un ballon gonflé de vent ; qu’un coup d’épingle peut le faire exploser : un trader trop audacieux ; un patron protégé par un conseil d’administration où certains sont suspectés de délits d’initiés et il devient clair que tout le système bancaire peut être balayé par le discrédit qui, au-delà d’une banque, concerne toute la classe dirigeante.

Comme dans les autres cas, la force de l’impact de cette crise se jugera à la capacité du système à compenser ailleurs ce qui vient d’être perdu là. Et il n’est pas évident qu’il y parvienne.

Car la crise ouverte par l’affaire de la Générale remet en cause le fondement même du système financier mondial.

Elle rend très difficile à justifier un ordre où les performances sont entre les mains de milliers de joueurs incontrôlés.

Elle discrédite un système capitaliste où les patrons sont rémunérés de façon exorbitante, sous prétexte des risques qu’ils encourent, et qui s’accrochent à leurs fauteuils malgré des erreurs qui les auraient conduits à licencier en dix minutes n’importe lequel de leurs subordonnés.

Si certains systèmes tiennent par la peur, l’économie de marché tient par la confiance.

Et ce que les avions du 11 septembre n’ont pu accomplir par la violence, il est fort possible qu’un petit trader y réussisse par le ridicule.