Les cégeps des régions dans la tourmente

2008/02/04 | Par Pierre Demers

Pierre Demers est correspondant au Saguenay-Lac-Saint-Jean

Entrevue avec Isabelle Bouchard, coresponsable de la Coalition de cégeps en région, présidente du Syndicat du personnel enseignant du cégep de Jonquière (SPECJ) et prof de philosophie.

La Coalition de cégeps en région comprend combien de membres et quelle est sa raison d’être ?

Isabelle Bouchard : la Coalition réunit une quinzaine de syndicats de différentes régions de Rimouski en passant par Drummondville et de toutes les allégeances syndicales confondues.

Ses visées sont claires : tracer le portrait de la situation actuelle de l’enseignement collégial en région, favoriser le partage des réalités régionales, assurer l’accessibilité aux études collégiales en région et entreprendre les représentations nécessaires afin de favoriser la pérennité de l’enseignement collégial en région inscrit dans un réseau fort.

Ce qu’on partage en commun depuis notre regroupement en 2001, c’est la réalité de l’enseignement collégial en région et surtout ses défis.

Quelle est cette réalité la plus criante ?

I.B. : Sans nul doute les défis liés aux baisses démographiques annoncées depuis les études de 1999 et qui prévoient, par exemple, pour 2010 (c’est demain cette réalité) au Saguenay-Lac Saint-Jean, 22% moins d’élèves dans le réseau public collégial, 28% en Abitibi et 33% en Gaspésie-les-Iles-de-la-Madeleine.

Par contre, les mêmes études signalent que, dans les collèges des grands centres, les effectifs scolaires seront stables et augmenteront dans certains cas. En Outaouais, par exemple, on calcule 20% d’augmentations d’étudiants dans les cégeps.

Que sont les conséquences de cette baisse démographique ?

I.B. : La plus importante est sans doute l’accessibilité aux études supérieures pour les jeunes des régions. Avec la baisse des effectifs, des cégeps en régions sont confrontés ou le seront prochainement à la diminution de la carte des programmes et au regroupement de services.

Les étudiants du secondaire qui veulent poursuivre leurs études devront-ils s’exiler pour suivre le programme qui ne se donne plus chez eux?

D’autant plus que beaucoup d’élèves font leur choix d’étude en fonction de la proximité des maisons d’enseignement. La situation est alarmante et il ne faudrait pas attendre que des cégeps soient fermés tant leurs cartes de programmes se limitent et tant ils sont endettés.

Rappelons qu’en région, les cégeps ont un rôle à jouer qui déborde souvent de l’enseignement, un rôle social, culturel. Dans plusieurs cas, le cégep est l’université du coin, la bibliothèque, le centre sportif, etc. Cette mission-là est inscrite dans l’histoire des cégeps qui fêtent leur 40e anniversaire cette année.

Y-a-t-il des cégeps à l’heure actuelle en sérieuse difficulté à cause de la baisse démographique ?

I.B. : Certains sont dans des situations plus que fragiles. Le cégep de Gaspé connaît des difficultés majeures liées à la fois à la baisse des effectifs et au sous-financement criant.

Des programmes sont en péril dû au sous-financement désormais inadéquat et ce malgré des formules pédagogiques hybrides pour se maintenir à flot.

Le ministère de l’éducation du sport et du loisir ne devrait-il pas éponger le déficit de ce collège pour lui permettre de se relancer sur de nouvelles bases? C’est un cas pathétique qui prouve qu’il faut revoir le financement des cégeps de région.

Il est urgent de considérer l’avenue du financement particulier pour les petites cohortes pour assurer une carte de programmes variés en région.

Cet objectif qui était à la base de la formation des cégeps, à savoir l’accessibilité des études post secondaires sur tout le territoire, demeure prioritaire pour nous. C’est dans les cégeps en région que l’on retrouve le plus grand nombre de groupes de moins de 15 étudiants. Il est plus que temps de s’en préoccuper.

Quelle est l’autre conséquence de la baisse des effectifs dans les cégeps de région ?

I.B. : Comment concilier une nouvelle accessibilité avec la qualité de l’enseignement? On peut évidemment compter sur le professionnalisme des enseignants, mais les nouvelles formules pédagogiques sont-elles à la hauteur?

On pousse de plus en plus sur la formation à distance pour assurer l’enseignement en région. Aujourd’hui, cet enseignement s’apparente à l’enseignement de brousse.

On sait très peu de choses sur ce type de formule. D’ailleurs, le Conseil supérieur de l’éducation enquête présentement sur ce sujet pour rédiger son prochain avis au ministre.

Ce n’est pas un hasard. Les baisses démographiques anticipées font mal aux cégeps. Devrons-nous lutter pour la survie des cégeps en région comme on l’a fait pour les écoles de rangs ?

En région, nous sommes conscients de l’urgence de maintenir en vie des institutions bien ancrées dans le milieu.

Le réseau des cégeps est-il en danger ?

I.B. : Le modèle change de plus en plus en région. Le modèle national explose et il est en danger pour une raison fort simple : on assiste à la volonté politique (nationale comme régionale) de voir se rapprocher la formation aux besoins immédiats du marché du travail.

On ne jure que par l’adéquation formation /emploi régional. C’est l’école au service de l’entreprise.

Le danger de cette formule, c’est évidemment la perte du modèle national des cégeps, lieux d’éducation générale. De cette façon, on confine les étudiants des régions dans un ghetto de formation limitée aux besoins immédiats de leur entourage.

On est loin de l’ouverture au monde. Et à la limite les jeunes finissent par confondre (si ce n’est déjà fait) formation et éducation.

Nous de la Coalition croyons que les élèves doivent avoir les mêmes services et les mêmes choix de programmes sur tout le territoire, les mêmes chances de choisir leur avenir partout où ils demeurent.

C’est d’ailleurs le projet gouvernemental de décentralisation de l’éducation vers les régions qui reste notre dossier prioritaire cette année. On craint que cela signifie pour les tenants de la formule le rejet de l’éducation nationale, le rejet pour nous du réseau des cégeps.

Les fédérations syndicales de profs prennent-elles en charge la problématique des cégeps en région ?

I.B. : Elles la prennent à leur façon. Elles font un travail complémentaire et parallèle au nôtre. Mais nous sentons le besoin de nous retrouver entre nous sur des bases qui nous rejoignent.

On ne veut pas alimenter le conflit entre les régions et les centres (Québec et Montréal) qui fait la joie de trop de politiciens.

Pour la Coalition, les choses sont claires, la pérennité de l’enseignement collégial en région est fragile et relève d’une co-responsabilité. C’est ensemble, syndicats locaux de cégeps en région, fédérations syndicales et coalition de cégeps en région que nous pourrons tous et toutes assurer l’avenir de l’enseignement collégial en région.

Notre démarche est on ne peut plus collégiale. Reste à connaître la vision des décideurs politiques en ce qui concerne l’avenir que nous souhaitons assurer aux collèges dans les régions du Québec.

Propos recueillis par Pierre Demers.


Photo : Le Cégep de Jonquière / Denis Chabot, le Québec en images