Revoir Groulx et vivre

2008/02/06 | Par Alain Dion

Alors voilà, c’est (déjà!) le retour à l’enseignement. Heureux de retrouver mes camarades enseignants et renouer avec la vie syndicale, mais également fébrile à l’idée de reprendre les divers chemins de la connaissance avec les étudiants.

Comblé surtout d’avoir profité de ce congé parental afin d’accompagner les six premiers mois de ma petite Simone qui pousse à une vitesse folle. Jamais un instant de perdu, jamais un instant à perdre.

À l’ordre des dernières semaines: rédaction de plans d’études, notes de cours à préparer, choix des œuvres à proposer et premiers contacts avec mes nouveaux étudiants. Avec bonheur repenser mon cours sur le cinéma québécois, formidable fenêtre sur cette société en perpétuel mouvement.

Le cinéma québécois, précurseur, militant, accompagnateur de l’éveil, catalyseur bien souvent des énergies créatrices de la société québécoise. Et en cour de route, une fois de plus, s’émerveiller de la force de l’oeuvre de Gilles Groulx.

Revoir Groulx et vivre

Décider si on luttera avec les autres, ou si l’on se laissera abattre seul
- Gilles Groulx

24 heures ou plus! Tel était le mot d’ordre syndical lancé lors du déclenchement de la grève générale menée par les trois grandes centrales québécoises (CEQ, CSN, FTQ) en 1972. 24 heures ou plus, c’est également le titre d’un des plus fascinants documentaires réalisés par Gilles Groulx lors de cette période de grande agitation sociale.

Coréalisé avec Jean-Marc Piotte, ce brûlot cinématographique propose un regard kaléidoscopique saisissant de l’actualité québécoise de l’époque.

Adoptant un point de vue résolument subjectif, en rupture radicale avec la prétendue « objectivité journalistique », Groulx et Piotte interviennent directement à l’écran, ponctuent le film de citations et d’analyses marxisantes, construisant pierre par pierre, séquence par séquence, un édifice idéologique saisissant, qui par accumulation, qui par confrontation imposent au spectateur un devoir d’analyse rigoureux.

Utilisant un matériel hétéroclite composé d’entrevues, d’images tournées sur le vif, de coupures de journaux, d’actualités télévisées et d’extraits sonores, le film donne la parole aux ouvriers bafoués, aux jeunes décrocheurs, aux syndicalistes (la séquence présentant Michel Chartrand retraçant certaines grandes luttes ouvrières vaut à elle seule le détour), aux felquistes, enfin à tous ces oubliés des médias traditionnels.

Le film prend également un malin plaisir à utiliser toute la force du montage pour dépecer « les ennemis » du peuple. Il faut voir le traitement que Groulx réserve à un Pierre Trudeau triomphaliste en visite aux USA ou encore l’utilisation dévastatrice qu’il fait d’une entrevue que Robert Bourassa livre à un journaliste du petit écran où le Premier ministre du Québec avoue candidement qu’il lui arrive parfois d’avoir d’excellentes idées lors de ses séances de natation hebdomadaire. Hilarant.

Enfin, pour les amateurs, la bande sonore a été composée par le groupe Offenbach (première mouture avec Gerry, Johnny, Willy et Wézo) qui livre ici une performance remarquable, ponctuant le film de battements métronomiques, de riffs incisifs et de volutes d’orgue qui confèrent au film une atmosphère surréelle.

Ce documentaire de Gilles Groulx rappelle donc qu’il n’y a pas si longtemps, les luttes sociales et ouvrières et même les luttes artistiques étaient porteuses d’espoir et proposaient de véritables changements radicaux de la société. Véritable film de combat, 24 heures ou plus tombera d’ailleurs sous le coup de la censure à l’ONF qui en retardera la sortie pendant près de 5 ans.

Un film à voir ou à revoir en cette période de rectitude politique, de concentration et d’aseptisation des médias, d’amnésie historique collective et à bien des égards d’errance syndicale.

24 heures ou plus, Gilles Groulx, ONF, 1973