Rockland MD, bientôt Rockland USA ?

2008/02/07 | Par Pierre Dubuc

« Il y en aura plusieurs autres », a promis le ministre de la Santé, Philippe Couillard, pour saluer l’ouverture de la première clinique de chirurgie privée. Le ministre a qualifié d’« utilisation socialement responsable du secteur privé » le fait que l’hôpital du Sacré-Cœur sous-traite au centre Rockland MD des chirurgies alors qu’il y a deux salles d’opération fermées à l’hôpital du Sacré-Cœur.

Un article du Canard enchaîné sur l’expérience française des cliniques privées nous donne un avant-goût de ce qui nous attend avec cette « utilisation socialement responsable du secteur privé ».

Les multinationales de la santé aux aguets

Dans son édition du 30 janvier 2008, le journal satirique explique comment les multinationales de la santé ont fait main basse sur les cliniques privées en France et prospèrent grâce aux bons soins de l’État.

La Générale de la santé a racheté 175 cliniques. La société Vitalia a englouti 50 cliniques en un an. D’autres fonds d’investissements américains comme Apax Partners seraient en embuscade à la recherche d’éventuelles proies, selon le Canard.

La Générale de la santé est le premier groupe européen dans le domaine et son cours en Bourse a explosé de 300% depuis 2002. En 2006, elle a distribué 420 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires. Est-ce là, Monsieur Couillard, une utilisation « socialement responsable » des fonds publics ?

Quant à Vitalia, 35% de son capital est détenu par le fonds de pension américain Blackstone.

Cas légers pour le privé, cas lourds pour le public

Selon une étude du ministère français de la Santé, cité par le Canard enchaîné, le taux de rentabilité de ces entreprises a grimpé de 5% en un an pour atteindre 15,7% en 2006. Pendant ce temps, les deux tiers des hôpitaux publics français sont en déficit.

Comment expliquer la rentabilité du secteur privé? Tout simplement par le choix des chirurgies. Sur les 45 millions d’admissions enregistrées chaque année en France, l’hôpital public assure 57% des soins de médecine, de chirurgie et d’obstétrique. Les cliniques privées, seulement 34%.

« Mais, écrit la journaliste Brigitte Rossigneux, dès qu’il s’agit de chirurgie légère, les proportions s’inversent; dans deux cas sur trois, c’est la clinique qui coupe, découpe, recoud. Les prothèses de hanche, les hernies discales, les ablations de la vésicule, les drains dans les oreilles ou les varices, c’est pour elle. Aux praticiens hospitaliers, la chirurgie cardio-thoracique, les greffes, le ‘‘lourd’’ ».

La cagnotte au privé

Dans le cas de la clinique Rockland MD, le Dr Amir Khadir, porte-parole de Québec solidaire, a dénoncé les coûts prohibitifs du projet : « On nous dit que 500 000 $ ont été garantis sous contrat à Rockland MD pour effectuer 300 opérations. C’est beaucoup plus élevé que ce qu’il en coûterait au gouvernement si on faisait fonctionner en permanence les deux salles fermées de Sacré-Cœur ».

Le ministre Couillard a rétorqué que les coûts étaient « similaires ou un peu plus bas » que dans le réseau public, mais sans donner plus de détails, rapporte Le Devoir.

Si l’exemple français sert de modèle, on n’a pas fini de demander les « détails » du financement. Selon le Canard enchaîné, le ministère de la Santé a usé de beaucoup d’artifices techniques pour camoufler le fait que « si le privé ne traite qu’un tiers des malades, il a perçu 42% de l’argent distribué par l’État ».

En France, on qualifie cette situation de « mise en place d’une médecine à deux vitesses. » Ici, c’est une « utilisation socialement responsable du secteur privé ».