Recours à la torture

2008/02/12 | Par Benoit Rose

Le 5 février dernier, en plein Super mardi des primaires aux États-Unis, alors que tout le monde avait les yeux tournés vers Barack Obama, Hillary Clinton, John McCain et compagnie, le directeur de la CIA en a profité pour reconnaître devant le Congrès que ses agents avaient eu recours en 2002 à la méthode de simulation de noyade, ou supplice de la baignoire, sur trois présumés membres d’Al-Qaeda.

Cette méthode du « waterboarding », qui consiste à plonger le détenu interrogé dans l’eau jusqu’aux limites de la suffocation, a été utilisée sur Khaled Cheikh Mohammed, cerveau présumé des attentats du 11 septembre, Abou Zoubaydah, premier membre influent présumé d’Al-Qaeda capturé par les États-Unis après les attentats, et Abd Rahim Al-Nashiri, autre présumé membre de la nébuleuse terroriste.

Torture or not torture?

Les organisations de défense des droits de l’Homme considèrent, et avec raison, que la simulation de noyade est une technique de torture, et donc « un crime en vertu du droit international », comme l’affirmait le lendemain de l’annonce Amnistie internationale en réclamant l’ouverture d’une enquête criminelle. Mais enquête criminelle il n’y aura pas, a assuré le ministre de la Justice Michael Mukasey.

Après avoir maintenu que la méthode n’était pas couverte par la législation américaine, et que des « circonstances historiques tout à fait uniques » à l’époque avaient justifié son utilisation, le ministre a ajouté que du point de vue de son ministère, « il n’est pas certain que cette technique serait considérée comme légale sous la législation actuelle », cinq ans après ces interrogatoires pour le moins insistants…

Le directeur du renseignement américain Mike McConnell estimait lui-même en janvier dans le magazine New Yorker que la simulation de noyade « serait atroce » et qu’elle serait pour lui une torture, peu importe la définition de n’importe qui d’autre, mais rassurait du même coup qu’elle n’était pas employée par les États-Unis : « Si j’avais de l’eau emplissant mon nez, mon Dieu, je ne peux pas imaginer à quel point ce serait douloureux! »

Pourtant, la Maison-Blanche défend toujours cette pratique honteuse, vantée jadis par le non scrupuleux vice-président Dick Cheney, estimant que les autorités pourraient l’utiliser à nouveau dans « certaines circonstances », et refusant de la qualifier de torture. Bien entendu, si on ne peut même plus simuler la noyade à un foutu terroriste, on en vient qu’à se demander où est le plaisir d’avoir des prisons secrètes un peu partout dans le monde.

Et le Canada?

Mais n’oublions pas qu’en matière de controverse autour des droits humains, le gouvernement canadien n’est pas en reste, surtout par les temps qui courent. On peut d’abord mentionner le cas d’Omar Kadhr, ce prisonnier canadien à Guantanamo que le gouvernement Harper ne tient pas à rapatrier au pays, pour lequel il refuse d’intervenir.

Capturé en Afghanistan alors qu’il n’avait que quinze ans, et considéré par des juristes canadiens et étrangers comme un cas d’enfant soldat, Kadhr risque une peine de prison à perpétuité pour avoir lancé une grenade et tué un militaire américain, ce dont personne n’aurait finalement été vraiment témoin.

La Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour les enfants et les conflits armés, Radhika Coomaraswamy, dit craindre le précédent que constituerait le jugement d’une personne pour des faits commis lorsqu’elle était mineure. Les avocats chargés de la défense de Khadr l’ont invitée à évaluer l’équité du procès, tenu par une cour militaire états-unienne.

« Tout ceci est indécent », déplorait à juste titre le Toronto Star la semaine dernière : « Peu de Canadiens ont de la sympathie pour Kadhr et sa famille, mais ce qui se passe à Guantanamo n’a rien à voir avec la justice. C’est de la vengeance, et l’assentiment du gouvernement Harper est profondément dérangeant. »

Torture en Afghanistan

Dérangeante aussi la rétention d’information du gouvernement Harper sur la question des prisonniers afghans capturés par l’armée canadienne, puis transférés aux prisons afghanes ou bien à la Direction nationale de sécurité (DNS), les services de renseignement afghans, qui se sont forgés une solide réputation en matière de brutalité et de torture. La DNS est elle aussi reconnue pour ses prisons secrètes.

Amnistie internationale présentait en novembre un rapport dans lequel elle soulignait que « les pays membres de la FIAS […] violent leurs obligations au regard du droit international » en faisant fi, quand vient le temps de remettre les prisonniers, des informations compilées par l’ONU et d’autres organisations sur des allégations de tortures et de mauvais traitements dans les prisons afghanes.

Après que le premier ministre Harper eut tourné en ridicule les craintes de l’opposition aux Communes à l’automne dernier en l’accusant de prendre le parti des talibans, les autorités canadiennes ont secrètement suspendu les transferts de prisonniers afghans le 6 novembre, suite à d’importantes et crédibles allégations de torture.

Le gouvernement Harper se montre peu rassurant

Accusé d’avoir caché cette information pendant près de trois mois, puis de garder maintenant le silence quant au sort des combattants faits prisonniers depuis cette date, le gouvernement Harper maintient un climat de doute qui ne rassure ni les organisations pour les droits humains, ni la juge Anne Mactavish de la Cour fédérale qui entendait récemment leur cause.

Le 8 février, cette dernière s’est dite peu impressionnée par l’enquête menée par les services de renseignement afghans (la même DNS) à propos des allégations d’abus, et doute même que les remises de prisonniers puisse un jour reprendre légitimement, tant les forces armées canadiennes se sont montrées incapables de s’assurer que les détenus reçoivent un traitement acceptable.

Malgré les critiques et les indignations, il semble malheureusement de plus en plus évident qu’en cette ère sombre de discours sécuritaire, de remilitarisation et de guerre perpétuelle contre le « terrorisme », la dignité humaine passe après les intérêts stratégiques et la réputation du Canada dans la confrérie de l’OTAN dans la liste des soucis du gouvernement Harper.