Dion capitule devant Ignatieff

2008/02/14 | Par Pierre Dubuc

Après avoir proclamé sur tous les toits qu’il ne voulait pas de prolongation de la « mission de combat » en Afghanistan après 2009, le chef du Parti libéral Stéphane Dion vient de capituler piteusement devant les faucons Michael Ignatieff et Bob Rae.

Aujourd’hui, M. Dion nous dit que les troupes pourront rester jusqu’en 2011 pour former l’armée afghane et assurer la sécurité de la région. Quand on lui a demandé si cela signifiait que les soldats pourront seulement se défendre et non attaquer les talibans, Stéphane Dion a répondu qu’il « ne veut pas dicter aux militaires comment ils doivent s’y prendre pour mener à bien leur mission ».

Autrement dit, c’est le chèque en blanc que le général Hillier demandait. « Thank You!, Mister Dion ».

Dion sous la coupe de Rae et Ignatieff

D’après les indiscrétions qui ont filtré, les débats au caucus libéral ont été complètement dominés par Michael Ignatieff et Bob Rae, qui partageaient exactement la même position en faveur de la prolongation de la mission.

On se rappellera qu’en 2006, M. Ignatieff avait traversé le parquet de la Chambre des communes avec vingt députés libéraux pour appuyer le gouvernement Harper et la prolongation de la mission en Afghanistan. M. Dion et un important groupe de députés du Québec avaient voté contre. De toute évidence, M. Ignatieff s’apprêtait à réitérer son geste si Dion maintenant son opposition.

Quant à Bob Rae, M. Dion l’a peut-être battu dans la course à la chefferie du Parti libéral, mais il a aujourd’hui besoin de ses bons offices et de ceux de ses amis. Stéphane Dion a contracté une dette qui s'élève à 848 707$ et qui doit être remboursée au premier juillet. Bob Rae a déjà, à toutes fins pratiques, éponger ses propres dettes de la course à la chefferie et il a promis d’aider Dion à faire de même.

Que le frère de Bob Rae, John Rae, soi un des vice-présidents de Power Corporation n’a sans doute pas échappé à Stéphane Dion.

La guerre et la paix au-dessus de la politique?

De tout temps, la question de la guerre et de la paix a toujours été la question politique la plus importante. Aussi, il est absolument incroyable de voir tous les commentateurs et les éditorialistes des grands médias se réjouir de voir « la question afghane placée au-dessus de la politique ».

La journaliste du Devoir à Ottawa parle de la motion qui sera déposée à la Chambre des communes à la suite du compromis entre libéraux et conservateurs comme d’une « motion réfléchie devant un dossier qui exige de faire passer la raison d’État avant la partisanerie ».

Le directeur du Devoir, Bernard Descoteaux, écrit « que le Parti libéral et le Parti conservateur voguent ainsi vers un compromis qui gardera le Canada en Afghanistan pour encore trois ans, ce qui était inévitable » parce que le « le Canada est lié par le traité de l’OTAN et qu’il ne peut se dégager de ses obligations de façon unilatérale ».

Quelqu’un pourrait-il faire remarquer à M. Descoteaux que d’autres pays de l’OTAN ont une interprétation beaucoup plus souple de leurs « obligations » à l’égard de l’organisation. L’Allemagne et d’autres pays refusent carrément d’envoyer des troupes dans les zones de combat.

Une guerre imposée par les militaires

Dans le livre-choc The Unexpected War, Janice Gross Stein (une des politicologues les plus respectés au Canada anglais) et Eugene Lang (chef de cabinet du ministère de la Défense de 2002 à 2006), ont démontré que la présence du Canada à Kandahar vient des pressions de l’état-major canadien qui mène une cabale pro-américaine depuis le 11 septembre.

Les auteurs racontent que le premier ministre Paul Martin se serait laissé manipuler par l’establishment militaire jusqu’à ce que Kandahar apparaisse comme la seule option pour le Canada.

Dans le cas de Stephen Harper, on ne peut parler de manipulation. M. Harper est un militariste qui a affirmé vouloir reconstituer l’identité canadienne autour de la politique étrangère, de la défense et des forces armées.

Le Québec a déjà voté contre !

Est-il besoin de rappeler que le Québec était contre la prolongation de la mission en 2006, que tous les députés du Bloc Québécois et plusieurs députés libéraux, dont Stéphane Dion, ont voté contre, que tous les sondages effectués depuis confirment cette opposition viscérale à la guerre?

La classe dirigeante canadienne ne veut évidemment pas que la question de la guerre devienne un enjeu de la prochaine campagne électorale. Le Québec pourrait réaliser qu’il s’est fait imposer par le vote des députés d’une autre nation cette participation à une guerre dont il ne veut pas et qui lui coûtera des milliards en dépenses militaires mais surtout la vie de ses soldats.

Le Québec pourrait se rendre compte qu’il a tout intérêt à quitter le Canada le plus tôt possible.

Alors, allons-y pour une campagne électorale axée sur l’image des chefs, des slogans insipides et des promesses « proches des gens », ce qui permettra au chœur des commentateurs politiques et des éditorialistes de déplorer après coup « l’absence d’enjeux réels » de la campagne!

Dernière heure:

Dans une déclaration publiée ce vendredi, 15 février, Stéphane Dion semble revenir sur sa décision. Il écrit que « la mission de combat canadien à Kandahar doit changer après février 2009» et que « l'Otan doit assurer la relève dans la province de Kandahar pour que nos troupes puissent passer, en février 2009, à une mission de formation de l'armée et de la police afghane et de sécurisation des projets de reconstruction».

Il ajoute que février 2011 doit marquer la fin de la mission et non être une simple réévaluation.

Cette déclaration reflète de toute évidence les tensions au sein de caucus libéral où des députés du Québec, Denis Coderre en tête, étaient fort mécontents des propos initiaux de Stéphane Dion.

À suivre