Marcel Chaput et le bilinguisme

2008/02/18 | Par Claude Bachand

« Peut-on imaginer situation plus absurde que celle dans laquelle vous avez été, comme moi. Six, huit, dix, douze ans d’école française quand cette langue que l’on dit si belle, ne sert même pas à nourrir son homme. Tant d’années pour apprendre une langue quand, une fois sorti de l’école, c’est l’anglais qu’il faut.

Alors les parents demandent plus d’anglais. Ils ont raison les parents, et ce n’est pas moi qui les en blâmerai, car ils sont d’une logique impeccable. Ils voient clair les parents. Et les enfants aussi. Ils se rendent bien compte que sans anglais, on risque de ne pas faire son chemin au Canada; que sans anglais, on risque d’aller grossir le nombre des chômeurs du Québec.

Mais où nous mènent ces demandes répétées? Demain plus qu’aujourd’hui et après-demain plus que demain. Et ainsi de suite. Plus nos enfants seront bilingues, plus ils emploieront l’anglais; plus ils emploieront l’anglais, moins le français leur sera utile; et moins le français leur sera utile, plus ils emploieront l’anglais.

Paradoxe de la vie canadienne-française : plus nous devenons bilingues, moins il est nécessaire d’être bilingues. C’est une voie qui ne peut nous mener qu’à l’anglicisation. Nous avons d’ailleurs parcouru une bonne partie du chemin. Il nous serait beaucoup plus profitable de ne savoir que l’anglais. Alors, anglicisons-nous et n’en parlons plus.

Je n’ai pas appris l’anglais par curiosité intellectuelle, je l’ai appris parce que c’était la langue du plus fort, parce que j’en avais besoin pour gagner ma vie.

Si un homme qui sait deux langues en vaut deux, un homme qui est obligé de parler la langue de l’Autre pour manger ne vaut que la moitié d’un homme.

Et le malheur du peuple canadien-français, c’est de prendre ses chaînes du bilinguisme pour une décoration de haute supériorité. Comme le garçonnet qui a peur dans l’obscurité siffle pour se donner du cran, le Canadien-Français brimé se gonfle de son bilinguisme pour oublier son complexe d’infériorité. »

Chaput, Marcel, Pourquoi je suis séparatiste, 1961