40e anniversaire de « Speak White » de Michèle Lalonde

2008/02/27 | Par Gaëtan Dostie

Le 15 mars prochain, inaugurant « La Quinzaine de la poésie », à la Maison de la culture Ahuntsic, en présence de Michèle Lalonde et avec sa participation, sera souligné le 40e anniversaire de « Speak White ». Cet automne, la « Fondation Octobre 70 » va souligner le 40e anniversaire du premier « Chansons et poèmes de la Résistances », devenu, après Octobre 70, « Chants et poèmes de la Résistance».

Origine de « Speak White »

Lors de l’emprisonnement de Pierre Vallières et de Charles Gagnon, un « Comité d’aide » fut créé en 1968, pour la défense des deux intimés. À l’instigation de Pauline Julien et de Gaston Miron notamment, fut organisé le fameux spectacle « Chansons et poèmes de la Résistance » un certain lundi d’octobre 1968.

C’est la comédienne Michèle Rossignol qui demanda à Michèle Lalonde un texte qu’elle a récité à la première du spectacle.

Lors de la courte tournée qui s’ensuivit, au spectacle que j’ai organisé, avec le poète Gaston Gouin, à Sherbrooke, leur premier arrêt, Michèle Rossignol n’étant pas disponible, Michèle Lalonde monta sur scène pour la première fois.

Sa lecture à la « Nuit de la poésie » le 27 mars 1970, pour les besoin du film de l’ONF, c’était que, devant l’impossibilité de filmer un spectacle politique alors, les cinéastes Jean-Claude Labrecque et Jean-Pierre Masse ont concocté ce subterfuge.

Ainsi est né l’un des textes fondateurs de la poésie du pays : « Speak White », tout comme «La Nuit de la poésie » est l’événement fondateur de la poésie québécoise vivante.

Un texte fondateur

Texte fondateur, revendicateur, révolutionnaire, qui situe à la fois le combat des Français d’Amérique, dans la noblesse de revendiquer la justice, l’équité, le respect, le droit de vivre et de nous épanouir en français, et la liberté des peuples de disposer de leur pays.

Ce texte, tout en restant, hélas, plutôt d’actualité, est aussi et surtout une ouverture sur le monde, une solidarité avec tous les opprimés de la terre. Il voit le Québec dans le concert des nations.

C’est en cela qu’il fut décrié et conspué par tous les opposants à notre volonté d’indépendance et chéri par le Québec en émergence.

Oui, ce texte est un geste hautement politique! Comprenez que le Viet-Nam d’hier et le Pakistan d’aujourd’hui sont si totalement absurdes, que le poème, tout situé historiquement qu’il soit, a gardé sa totale vérité. Quarante ans et si peu de rides!

« Speak White », c’est aussi un écho, un appui tacite au livre révolutionnaire de Pierre Vallières « Nègres Blancs d’Amérique » publié à Parti Pris cette année-là et qui vient d’être saisi par la police en vue du procès qu’on veut lui intenter.

Du « crétinisme » selon Micone

Quand j’ai entendu le palimpseste de Marco Micone : « Speak What », à la « Nuit de la poésie » de 1980, j’en ai ressenti toute l’horreur, le sabordage, la réduction, l’humiliation. Un texte fondateur et révolutionnaire devenait un « n’importe quoi! ».

D’une injure que des marchands arrogants nous lançaient, surtout dans l’ouest de Montréal, quand nous nous adressions à eux en français : « speak white », d’où est né le « nègre blanc », d’un « white » qui a un sens colonial même, arrivait ce non sens, cette négation de sens, une anecdote locale, ce rien : « what »!

Les anciens prisonniers politiques d’Octobre 70, dont je suis, l’ont ressenti tel un crachat au visage.

D’un texte qui est un appel à la liberté, le voilà réduit à un texte « d’intégration ». Un réalité, sans doute, qui reste tellement d’actualité que les « accommodements raisonnables » nous le jettent au visage.

L’intégration sera toujours difficile sinon impossible tant que, non seulement une majorité anglophone nord-américaine sera pour le moins un grand pouvoir d’attraction, mais qui plus est, qu'elle contrôlera l’immigration et ne favorisera surtout pas une intégration au Québec français.

D’une solidarité universelle qu’appelle le texte de Michèle Lalonde, Marco Micone ramène ça à un problème de coloniaux qui sont ridiculement encore pris avec un problème de « White ».

Si nos « White »s de service ont tôt fait de s’attaquer au texte de Michèle Lalonde, allant jusqu’à le dénigrer dans des chapitres entiers de livres, voilà qu’un nouvel arrivant le banalisait, le ridiculisait avec ce tour de passe-passe tout à fait humoristique. Qu'elle aubaine!

Le refus de Michèle Lalonde

Ce « what » fit l’affaire de bien du monde : deux affiches, écrit Micone, des tonnes de publications sûrement... Ce texte n’existe qu’en référence à l’autre et il est une exploitation de la célébrité du poème de Lalonde, en le mortifiant, le réduisant, le niant.

C’est ainsi que Michèle Lalonde refuse de laisser paraître son poème chaque fois qu’on fait de Micone un poète de palimpseste. Elle a rompu avec son éditeur quand il est devenu celui de Micone.

Si la récente réédition de l’anthologie de Mailhot et Nepveu, a dû retrancher le poème de Lalonde, c’est qu’ils introduisaient le brûlot de Micone, et si Pierre Graveline a pu le reproduire, c’est qu’on ne pouvait imaginer qu’un tel palimpseste puisse être autre chose qu’une pirouette idéologique intégrationniste et en rien un des cent « grands » poèmes du Québec. Et Lise Gauvin, dans son insupportable monographie, n’a pu reproduire le texte de Lalonde!

Que je sois pour Micone atteint de « crétinisme » (vigile.net, 22 février 2008), c’est que dans ce pays, ni Lalonde, ni Miron, ni Ferron, ni Vallières, encore moins Victor-Lévy Beaulieu, aucun militant pour l’indépendance quoi, ne sont « prophètes »! Son arrogance et son mépris, ou peut-être plus concrètement, sa méprise, son ignorance, sont à la hauteur de son monde de « what »!

Gaëtan Dostie
Directeur des Éditions Parti Pris, 1976-1984
Membre de la Fondation Octobre 70
Auteur de l’anthologie,Les Poètes disparus du Québec, Éditions du Collège Ahuntsic, 2007

Lien:
Vous pouvez lire le poème Speak White de Michèle Lalonde sur Wikipédia