De Speak White à Speak What

2008/03/03 | Par Jean-Marc Piotte

Gaëtan Dostie, dans un article paru sur votre site Internet, attaque avec une rare violence le poème de Marco Micone, Speak What (1980).

Or, celui-ci ne constitue pas une critique des positions de Michèle Lalonde défendues dans Speak White (1968).

Il reproche aux nationalistes québécois ce qu’ils sont trop souvent devenus : semblables à leurs anciens maîtres « anglais », tout en ressassant leurs luttes du passé.

Il demande aux Québécois francophones de se tourner de bord, d’envisager l’avenir et de s’ouvrir aux immigrants pour mieux les intégrer.

Et à relire ces deux poèmes, tous deux d’une grande beauté, il est indéniable que celui de Marco Micone a le mieux vieilli.

Jean-Marc Piotte

Sur la photo: l'écrivain Marco Micone

Speak What

Il est si beau de vous entendre parler
de La Romance du vin
et de L’Homme rapaillé
d’imaginer vos coureurs des bois
des poèmes dans leurs carquois

nous sommes cent peuples venus de loin
partager vos rêves et vos hivers
nous avions les mots
de Montale et de Neruda
le souffle de l’Oural
le rythme des haïku

speak what now

nos parents ne comprennent déjà plus nos enfants
nous sommes étrangers
à la colère de Félix
et au spleen de Nelligan
parlez-nous de votre Charte
de la beauté vermeille de vos automnes
du funeste octobre
et aussi du Noblet
nous sommes sensibles
aux pas cadencés
aux esprits cadenassés

speak what

comment parlez-vous
dans vos salons huppés
vous souvenez-vous du vacarme des usines
and of the voice des contremaîtres
you sound like them more and more

speak what now
que personne ne vous comprend
ni à Saint-Henri ni à Montréal-Nord
nous y parlons
la langue du silence
et de l’impuissance

speak what

«productions, profits et pourcentages»
parlez-nous d’autres choses
des enfants que nous aurons ensemble
du jardin que nous leur ferons

délestez-vous de la haire et du cilice
imposez-nous votre langue
nous vous raconterons
la guerre, la torture et la misère
nous dirons notre trépas avec vos mots
pour que vous ne mouriez pas
et vous parlerons
avec notre verbe bâtard
et nos accents fêlés
du Cambodge et du Salvador
du Chili et de la Roumanie
de la Molise et du Péloponnèse
jusqu’à notre dernier regard

speak what

nous sommes cent peuples venus de loin
pour vous dire que vous n’êtes pas seuls.