Nouvelles du Saguenay: Le char

2008/03/10 | Par Pierre Demers

Dimanche matin le 9 mars à Kénogami, lendemain de petite bordée de neige. Les trottoirs débordent. Les rues sont grattées. Les piétons, les vieux et les autres (ici, depuis quelques temps, augmentation de la fréquentation de la messe dominicale tous âges confondus, allez savoir pourquoi?) marchent entre les voitures qui circulent mollement pour se rendre à l'église la plus proche.

Ici, c'est normal, on ne se plaint pas beaucoup de ces choses-là (Inutile, le maire est en pèlerinage à Jérusalem (sic), parti se lamenter contre le mur sur le bras de la ville sans nous demander ce qu'on pense des frappes israéliennes à Gaza). Les Saguenéens ne marchent pas, ils roulent. Le royaume des chars.

Chiffres désolants

Trait culturel confirmé par les chiffres désolants tirés du recensement 2001-2006 de Statistique Canada rendus publics mardi dernier. Chiffres désolants, même un peu déprimants qui nous confirment – on s'en doutait – que les gens du Saguenay ont augmenté un peu plus leur dépendance envers la voiture comme moyen de transports pour se rendre au travail: 90,4 % en 2006 contre 90 % en 2001.

Les modes de transports usuels sont par ordre d'importance, les chars (voiture, camion, camionnette): 85,1 %, comme passager de ces dits chars: 5,3 %, le transport en commun: 2,4 % (Oui, vous avez bien, lu, 2,4 %, on y reviendra…), la marche: 5,3 %, le vélo: 0,8 % (C'est encore plus triste) et autre: (sans doute le triporteur…) 1,1%.

Le transport en commun ici, c'est une risée. Malgré les efforts consentis sur le tard par la Société de transport de Saguenay (STS) qui espère bien toucher la prime annuelle de 700 000$ du plan vert gouvernemental liée à une augmentation obligatoire de 16% d'utilisation de ses services.

Plus vite à pied qu’en autobus

Depuis quelques années, en effet, ses services s'améliorent, mais ça ne suffit pas à convaincre les automobilistes du Saguenay de ranger leur char.

Le transport en commun ici n'a rien à voir avec celui qu'on connaît ailleurs, en ville, à Québec ou à Montréal, par exemple. Ici, on s'ennuie vraiment du métro et des bus au 15 minutes.

Les billets (2,90$) et les passes mensuelles (60$) ne sont pas en vente dans les gares d'autobus. Il faut se les procurer ailleurs, dans certaines pharmacies autorisées ou payer cash au chauffeur.

Nos autobus ne sont pas encore synchronisées avec les heures de travail de ceux qui ne peuvent se payer de voiture, les étudiants, les petits salariés, les personnes âgées, les pauvres. Encore moins avec le travail de nuit. Tôt le matin ou tard le soir, inutile de les attendre. Elles ronflent au garage.

Le samedi, les autobus circulent à partir de 10 heures le matin et elles cessent de rouler à 23 heures. Le dimanche, c'est pire, elles ne roulent que de midi à cinq.

Les circuits sont lourds et lents à cause des longues distances à parcourir. Pour se rendre en bus de Jonquière à La Baie, comptez un bon deux heures et demi, soit la durée de la traversée du Parc des Laurentides vers Québec.

À cause des nombreux détours, c'est plus rapide de se rendre de Kénogami à Arvida en vélo ou à pied qu'en bus.

La volonté politique n’y est pas

Paul-Marie Gagnon, un résistant de la première heure, qui lutte depuis 2001 au sein du comité des usagers du transport en commun du Saguenay, explique l'origine de cette aberration tout en déplorant les dernières statistiques du recensement 2001-2006.

«Ville Saguenay est une ville monstrueuse pour y aménager un circuit régulier de transport en commun. Elle s'étend sur 1200 kilomètres carrés pour desservir 150 000 personnes. À Montréal, le transport couvre seulement 512 kilomètres carrés. Là est toute la différence. Ici un bus doit rouler 11 kilomètres au moins pour se remplir, à Montréal, après trois coins de rues, il est plein.

« Et il faut dire que, pendant des années, la STS n'avait qu'un objectif, ne pas faire de déficit, le slogan du maire Tremblay. La volonté politique d'investir dans ce moyen de transport n'existait pas. Depuis, avec les subventions du plan vert et notre présence continue aux réunions de la Société, les choses s'améliorent lentement. Mais 2,4% c'est pas fort. »

500 millions $ pour quatre voies

En attendant de voir grimper le taux d'inutilisation des voitures pour se rendre au travail ou à l'école, la pénurie de stationnements reste l'un des problèmes pédagogiques majeurs des centres de formation professionnelle, des cégeps et de l'UQAC.

Tous les services aux étudiants des cégeps régionaux offrent des cours de conduite automobile et c'est sans doute l'une des activités parascolaires les plus populaires.

Ici, les jeunes rêvent tôt de rouler dans leur pick-up avec leur skidoo et leur VTT en annexes. Ils ont signé à deux mains comme leurs parents la pétition réclamant une autoroute à quatre voies dans le Parc qu'on construit présentement au coût approximatif de 500 millions $ pour rendre l'ancien boulevard Talbot plus sécuritaire.

Alors qu'on sait très bien que si l'on avait réduit le nombre de camions lourds sur cette route, dompter les Hondas à calottes (lire les jeunes et vieux fous de la vitesse) et les 4X4 chromés, on aurait pu investir ces millions$ ailleurs, peut-être dans le transport en commun.

Mais ici, même le Conseil régional de l'environnement n'a pu se prononcer contre le projet de l'autoroute à quatre voies dans le Parc de peur de perdre sa crédibilité et ses subventions. Le consensus du royaume des chars est pesant.

Ce sont ces mêmes mordus qui poussent des hurlements à la lune quand le litre d'essence grimpe de quelques sous le vendredi après-midi. Les réservoirs de fuel de leurs pick-ups, VTT, skidoos, quatre roues, chaloupes à moteurs leur montent à la tête comme une migraine de houblon du dimanche matin.

Encore pire au Lac

Il y en a des pires que les utilisateurs du transport en commun de Saguenay. Ceux du Lac par exemple. Dans la ville d'Alma, la ville du maire vert et écolo, Gérald Scullion que ses détracteurs appellent la plante verte, il n'y a pas de transport en commun. Là le char est roi.

L'été, on y fait des courses d'accélération au centre-ville. Le maire a oublié ses principes écolos du temps qu'il passait ses étés à pêcher la petite truite à l'Île du Repos en dénonçant les abus de l'Alcan (qui maintenant l'invite à sa loge au Centre Molson et à son camp de pêche au saumon sur la rivière Sainte-Marguerite) et les dangers du champ de tir de la base militaire de Bagotville. Sans oublier ses sorties dans la revue Focus contre l'autoroute Alma-La Baie…

Ailleurs aussi, comme à Saint-Félicien, où se retrouve le plus grand nombre de concessionnaires automobiles de toute la région.

Des alternatives

Mais, il y a des exceptions au Lac. Et ce petit miracle de débrouillardise, Allo stop du Haut du Lac, service de transport en commun unique où taxis, autobus scolaires et co-voiturages sont mis à contribution pour favoriser une circulation des personnes entre municipalités.

Pour 3 $, vous pouvez ainsi réserver par téléphone une place dans les deux premiers bancs d'en avant d'un bus scolaire ou dans un taxi payé en commun ou encore dans une voiture d'un particulier. Belle manière de faire un pied de nez au royaume des chars individuels.

Ce serait quoi l'idéal selon Paul-Marie Gagnon pour renverser la tendance actuelle vers cette augmentation de l'utilisation des chars dans la région ? Il emprunte son idée à Transport 2000, l'organisme de défense du transport en commun qui lui a décerné un prix en 2006 pour avoir défendu les transports collectifs malgré tout, ce côté-ci du Parc des Laurentides.

« J'aime la décision du recteur de l'Université de Sherbrooke d'investir 900 000$ pour payer des passes d'autobus à tous ses étudiants au lieu de brûler des millions$ dans l'agrandissement du stationnement de l'université. Son idée a fait du chemin, maintenant le cégep local veut faire la même chose. Et même le regroupement des personnes âgées de la ville veut forcer la ville à investir dans cette direction.

« Transport 2000 a calculé que, bientôt, ce sera plus économique à tous les points de vue de rendre gratuit le transport en commun dans les villes de 100 000 habitants et plus. Et, même si les usagers payent un tiers des coûts de cette décision, c'est rentable pour tout le monde.

« Sur le plan de l'environnement, de la santé publique, du financement global des services et de l'architecture urbaine, on y gagnerait beaucoup. Reste à convaincre nos élus et nos décideurs. La tâche est lourde mais le prix du fuel peut nous aider à long terme... et l'état de santé des automobilistes sédentaires. »