La presse libre et indépendante

2008/03/13 | Par Pierre Dubuc

Au Québec, le poids exceptionnel de la concentration de la presse se fait de plus en plus sentir. Deux grands groupes, Power Corporation et Quebecor contrôlent tous les quotidiens sauf Le Devoir dont la part du marché – 2,5 % du tirage total – est insignifiante. Un troisième groupe, Transcontinental, se partage avec Quebecor la majorité des hebdos régionaux.

Mis à part quelques irréductibles indépendants marginaux, toutes les imprimeries du Québec sont propriété du Groupe Transcontinental et de Quebecor. Transcontinental imprime les journaux de Power Corporation, groupe avec lequel il est également en partenariat pour la production du journal Métro à Montréal. Quebecor est propriétaire de Messageries Dynamiques, la plus importante agence de distribution et Transcontinental possède Publi-Sac. Signalons que Le Devoir est imprimé par Quebecor. À cette concentration horizontale s’ajoute la convergence avec les médias électroniques.

Au Québec, c’est le marché qui est marginal

Face à ces géants, la presse indépendante doit en plus se développer dans le petit marché francophone du Québec. Si, dans des pays comme la France ou les États-Unis, il y a un marché pour ce qui est marginal, au Québec, c’est l’ensemble du marché qui est marginal. Autrement dit, si on peut trouver en France ou aux États-Unis un bassin suffisant d’abonnés ou de donateurs pour soutenir une publication indépendante, l’équivalent est très difficile au Québec à cause de l’exiguïté du marché.

Pour bien comprendre la signification de cette situation, il n’est pas inintéressant de comparer la situation des grands quotidiens français à celle leurs homologues québécois. Par exemple, le quotidien Le Monde a un tirage d’environ 540 000 exemplaires. Ramené à l’échelle du Québec, où la population francophone est dix fois inférieure à celle de la France, cela donnerait un tirage de 54 000 exemplaires, soit à peine plus que le tirage du Devoir (28 000 la semaine et 45 000 la fin de semaine), mais beaucoup moins que celui de La Presse (200 000 la semaine). Le tirage de Libération (150 000 exemplaires) ne serait que de 15 000 au Québec, soit moins que le tirage du Devoir en semaine.

Abonnement, distribution gratuite, ventes en kiosques

Mais à cause des économies d’échelle, Le Monde peut compter sur 320 journalistes dont 20 correspondants étrangers. Complication supplémentaire pour la presse indépendante, le public québécois, contrairement par exemple au public canadien-anglais, n’a pas une très grande habitude de l’abonnement. Les gens préfèrent acheter une publication en kiosque plutôt que de profiter d’offres d’abonnement à prix réduit.

Cette situation est aggravée par la distribution des journaux gratuits. Amorcé avec le journal culturel Voir, le phénomène touche les hebdos régionaux, les journaux de quartier, de même que les quotidiens avec le journal Métro et 24 heures de Quebecor à Montréal. Ajoutons que le Journal de Montréal et le Journal de Québec bénéficient également une large distribution gratuite dans tous les restaurants du Québec.

Après une désastreuse tentative de vente en kiosques échelonnée sur plusieurs années – expérience partagée par de nombreux autres journaux alternatifs dont le dernier en date est sans doute le journal de l’Union paysanne – suivant l’exemple de Recto-Verso, l’aut’journal a choisi la voie de la distribution gratuite.

Nous pourrions épiloguer longtemps sur les difficultés de la vente en kiosques (publications mal distribuées, mauvais placement) et nous plaindre du fait qu’il n’existe pas, comme en France, de législation qui oblige, par exemple, les marchands à bien positionner, à la vue de tous, un journal comme le Canard enchaîné. Au Québec, le placement est fait par le distributeur en fonction de critères de vente et de marketing.

Mais nous devons reconnaître qu’il y a des explications plus fondamentales à ces échecs. En plus de la petitesse du marché dont nous avons déjà parlé, il n’y a pas de tradition culturelle au Québec qui porte les lecteurs à acheter notre type de publication.

Pour qu’une publication puisse percer sur le marché de la vente en kiosques, il faut un gros tirage, de la publicité dans les autres médias (radio, télévision) pour faire connaître son existence. Tout cela coûte beaucoup de sous et ne peut être financé que par la publicité. Ce qui boucle la boucle et nous renvoie au problème de départ.

Une presse libre est une presse militante

L’histoire des médias nous a appris que la presse militante n’existe que par le soutien des militantes et des militants. Souvent la presse militante est produite et soutenue par un parti politique. Ce n’est pas notre cas au Québec. Malgré l’existence d’un important mouvement souverainiste, celui-ci n’a pas d’organe de presse propre, une situation sans doute unique au monde. Même lorsque son membership atteignait 300 000 membres, le Parti Québécois n’a jamais jugé bon de produire de publications pour ses militants, après l’échec du quotidien Le Jour.

La situation est similaire du côté du mouvement syndical. Après l’échec de l’hebdomadaire Québec-Presse, le mouvement syndical a décliné toute invitation à investir massivement dans un journal de masse. Au cours des années, le mouvement syndical a même supprimé ses publications à plus large rayonnement que ses rangs internes. Le revue Mouvement de la CEQ, aujourd’hui la CSQ, est disparue, tout comme l’hebdomadaire Nouvelles-CSN.

L’aut’journal et d’autres publications progressistes ont de la difficulté à obtenir un soutien régulier des principales organisations syndicales, même si celles-ci ne manquent pas à chacun de leurs congrès de dénoncer la concentration des médias et appeler au développement d’une presse libre et indépendante.

Il faut se cracher dans les mains et relever nos manches, comme disait Félix Leclerc. Le développement d’une presse libre et indépendante repose donc entre nos mains. Il nous faut relever le défi, malgré les conditions difficiles que nous venons de décrire, de produire une presse d’actualité, intéressante, professionnelle et militante.

L’aut’journal, 24 ans plus tard

Fondé en 1984, l’aut’journal se définit toujours 24 ans plus tard comme un mensuel québécois, indépendant et indépendantiste, ouvrier et populaire. Pour caractériser le journalisme que nous voulons pratiquer, nous avons inscrit dans le cartouche cette citation de Jacques Guay, aujourd’hui décédé, qui fut, avant de se joindre à l’équipe de l’aut’journal, de l’expérience de Québec-Presse et fondateur du département de journalisme de l’Université Laval. La citation se lit comme suit : « Informer, c’est mordre à l’os tant qu’il y reste de quoi ronger, renoncer à la béatitude et lutter. C’est croire que le monde peut changer ! »

Dans le premier numéro de l’aut’journal, nous faisions part en éditorial de notre parti-pris pour une information différente. Une information qui parle des luttes ouvrières et populaires, luttes qui ne trouvent pas leur place dans les grands quotidiens – combien ont de journalistes attitrés aux affaires syndicales ?

Nous exprimions aussi notre volonté de présenter un aut’point de vue sur les grandes questions de l’actualité dont le traitement est souvent biaisé par les conflits d’intérêts des propriétaires des médias. Prenons deux exemples pour illustrer notre propos.

Deux exemples de conflits d’intérêts

Depuis plusieurs années, la santé figure en première place des préoccupations des citoyennes et des citoyens et les grands médias ont noirci des centaines de milliers de pages sur le sujet. La privatisation est la solution le plus souvent avancée pour régler le problème des listes d’attente et faire face au défi du vieillissement de la population. Cependant, nos médias évitent soigneusement de mentionner qui seraient les principaux bénéficiaires de cette privatisation, c’est-à-dire les compagnies d’assurances.

Aux États-Unis, il est admis par tous les observateurs de la scène politique que c’est le lobby des compagnies d’assurances qui a coulé le projet du président Clinton, lors de son premier mandat, d’instaurer un système public de santé sur le modèle canadien. Au Canada, ce lobby ne semble pas exister. Du moins, les grands médias n’en parlent jamais. Serait-ce parce que Power Corporation, le propriétaire par l’entremise de Gesca des principaux quotidiens du Québec, est également le propriétaire des deux plus importantes compagnies d’assurances au Canada : la Great-West et la London Life ?

Un autre exemple du conflit d’intérêts dans lequel baignent les médias est la question du transport en commun. Il arrive souvent que la moitié des pages du Journal de Montréal et du Journal de Québec soient consacrées à de la publicité automobile. Dans le cas de La Presse, les seuls revenus de la publicité automobile dépassent les revenus des abonnements. Comment espérer que ces médias fassent la promotion du transport en commun ?

Les médias indépendants et les idées nouvelles

Les médias indépendants peuvent également être à l’origine d’idées nouvelles. C’est dans les pages de l’aut’journal qu’a été lancé l’appel qui allait donner naissance en 1997 au Rassemblement pour une alternative politique (RAP), l’ancêtre de l’Union des forces progressistes (UFP) et de Québec solidaire. Cet appel était accompagné d’un plaidoyer pour une réforme du mode de scrutin avec la publication par l’aut’journal du livre de Paul Cliche Pour un scrutin proportionnel. L’idée a si bien fait son chemin qu’elle a donné lieu à la tenue d’états généraux sur la réforme du mode de scrutin.

C’est également dans l’aut’journal que le concept de club politique a vu le jour, s’est développé et a été inscrit dans les statuts du Parti Québécois, à la faveur de l’action du club politique Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre), une autre initiative de l’aut’journal.

Le concept de revenu de citoyenneté a d’abord été propagé au Québec par l’aut’journal qui a publié le Manifeste pour un Revenu de citoyenneté du professeur Michel Bernard et du syndicaliste bien connu Michel Chartrand.

Un succès avec des moyens de fortune

 Au départ, l’aut’journal tirait à 1 500 exemplaires et, la distribution étant tributaire de manifestations ou d’événements publics, il arrivait souvent qu’à peine la moitié de ces copies soient distribuées. Aujourd’hui, notre tirage s’est stabilisé à 20 000 exemplaires. Près de 5 000 d’entre eux sont postés à chaque mois à nos abonnés, individuels ou de groupe, et les 15 000 autres exemplaires sont distribuées gratuitement à travers le Québec par les bons offices d’un petit distributeur privé.

Nous publions également, mais de façon irrégulière, la revue L’Apostrophe. Nous en sommes au dixième numéro. Nous avons édité neuf livres, la grande majorité d’entre eux en collaboration avec d’autres maisons d’édition.

Notre budget annuel est insignifiant. Il tourne autour de 130 000 $. Depuis trois ans seulement, nous avons un employé salarié, notre secrétaire Louis Bourgea. De façon un peu paradoxale, nous pouvons affirmer que notre principale source de financement réside dans le fait que toutes nos collaboratrices et collaborateurs ne reçoivent aucune rémunération pour leurs articles.

Nos autres sources de financement sont les abonnements, la vente de livres, la publicité – provenant presque exclusivement des organisations syndicales et des maisons d’édition – les spectacles-bénéfices. Le problème de sous-financement est commun à tous les médias indépendants. Au cours de nos 22 ans d’existence, nous avons essayé par différents moyens de nous sortir du sous-financement chronique et avons tiré des leçons de ces expériences.

Les grands médias vivent de la publicité

Les revenus publicitaires sont la principale source de financement des grands médias. Ils représentent 80% des revenus des quotidiens. Cette situation ne date pas d’hier. Le premier journal à voir le jour en Amérique, le Pennsylvania Packet and Daily Advertiser, fondé en 1784, consacrait plus de 60% de son espace à la publicité.

Quoi de plus normal alors que de chercher à obtenir ne serait-ce qu’une petite pointe de l’immense tarte des dépenses publicitaires, se disent les journaux communautaires et indépendants. Pour notre part, nous n’y avons pas cru un seul instant étant donné le caractère de notre publication. Mais les échecs récents et spectaculaires de magazines ou journaux communautaires – Recto-verso ou À cause au Saguenay-Lac Saint-Jean – ou d’expériences passées comme Québec-Presse ont confirmé notre analyse.

À ceux qui rêvent d’un quotidien progressiste, j’aime citer l’échec d’une expérience d’un journal… de droite ! Soit celle du National Post. Quand, en 1998, Conrad Black a publié le National Post à Toronto, il a déclaré qu’il n’aurait pu se lancer dans cette aventure s’il n’avait pas été propriétaire de Southam News, qui possédait des imprimeries, des réseaux de distribution et un bassin de journaux dans lequel Black a pu puiser des journalistes pour le Post.

Malgré cela, trois années plus tard, le Post était toujours déficitaire et Black lançait la serviette et vendait ses actions. Pourquoi ? Parce que les grandes agences de publicité que Black avait pourtant traité aux petits oignons, les propriétaires à coups de banquets, de voyages et de cadeaux n’avaient pas cru à son aventure. Ils étaient restés fidèles au Globe and Mail, au Toronto Star, tout en profitant de la concurrence du Post pour exiger de ces grands journaux des réductions des tarifs publicitaires. Comment pourrions-nous envisager la création d’un quotidien – progressiste de surcroît – sans posséder d’imprimeries, de réseaux de distribution et sans… recettes publicitaires?

Tirer les leçons de nos expériences

Examinons des expériences plus modestes, soit celles de Recto-Verso et le journal À cause au Saguenay Lac-Saint-Jean. L’équipe de Recto-Verso avait pressenti que la distribution gratuite était la voie de l’avenir et la seule façon de contourner les monopoles de la distribution. Elle a fait le pari qu’un magazine progressiste de belle tenue serait en mesure d’attirer, au même titre que les publications traditionnelles, de la publicité commerciale et gouvernementale pour financer ses activités.

Cependant, la publicité commerciale n’a jamais vraiment été au rendez-vous et la revue n’a pu combler un déficit accumulé de 200 000 $. La décision subite de Patrimoine Canada de retirer les subventions aux publications distribuées gratuitement a donné le coup de grâce au magazine en le privant annuellement de 30 000 $. Nous avons suivi avec intérêt, mais un certain scepticisme, les efforts du magazine dans sa recherche de commanditaires commerciaux. Nous ne partagions pas l’avis selon lequel de belles publications, avec un tirage important, réussiraient à attirer des commanditaires si le prix de la publicité était proportionnellement inférieur à ce qu’il en coûte dans des revues traditionnelles à grand tirage.

Selon la logique capitaliste pure, telle que formulée par Friedrich Hayek, le pape du néolibéralisme, une telle décision semblait fondée. Malheureusement, ça ne fonctionne pas ainsi. Le marché n’est pas constitué d’un agrégat d’individus, mais de classes sociales. Les propriétaires des grandes agences de publicité ont plus que de simples liens d’affaires avec les propriétaires des grands médias. Ils font partie du même réseau social et politique. Somme toute, les analyses de Karl Marx sont plus pertinentes que celle de Hayek.

Recto-Verso a pu compter pendant un certain temps sur la publicité gouvernementale pour financer la production du magazine et sur les programmes gouvernementaux d’économie sociale pour rémunérer son personnel. L’arrivée au pouvoir du gouvernement Charest et ses compressions budgétaires ont compromis ces deux sources de financement.

Comme dans le cas de la publicité commerciale, le système des relations entretenues avec le personnel politique est essentiel et l’équipe de Recto-Verso avait évidemment plus d’accointances avec le Parti Québécois qu’avec le Parti Libéral. Recto-Verso n’entretenait pas beaucoup de relations avec le Parti Libéral fédéral. Aussi Patrimoine Canada a pu couper d’un trait de plume sa subvention de 30 000 $, mais ne touchera jamais aux subventions de près de deux millions de dollars accordées annuellement tant à Quebecor qu’au Groupe Transcontinental pour leurs magazines.

Le journal À cause s’est buté essentiellement aux mêmes obstacles. Après un départ sur les chapeaux de roue, la publicité espérée n’était pas au rendez-vous et la suppression des programmes gouvernementaux jeunesse avec l’arrivée au pouvoir des libéraux sonnèrent rapidement le glas de la publication.

Nous venons de voir comment un changement de gouvernement a contribué à la faillite de deux publications avec la suppression des programmes gouvernementaux dont elles bénéficiaient. Notre expérience est encore plus éloquente.

L’aut’journal et les subventions gouvernementales (ou leur absence)

À la suggestion d’amis de la presse indépendante qui ne comprenaient pas pourquoi nous ne cherchions pas à obtenir ces subventions gouvernementales auxquelles, selon eux, nous avions parfaitement droit, nous avons présenté une modeste demande au chantier de l’économie sociale lors du lancement de la revue L’Apostrophe.

Après avoir dû consacrer un temps considérable à remplir les obligations et formulaires nécessaires, nous avons présenté une demande pour le financement de trois permanents. C’est beaucoup trop ! nous a-t-on répondu. Alors, nous avons retravaillé la demande pour ne demander le financement que d’une seule personne. Cette fois, la réponse a été : Ce n’est pas assez structurant pour l’industrie (sic!) !.

Mais de quelle industrie, parlait-on ? Nous ne l’avons jamais su. Toujours est-il qu’après de longs mois de discussion, le fonctionnaire responsable de notre dossier nous a dit, sur le ton de la confidence : Vous êtes très critique, vous savez . Autrement dit, ce n’est pas moi, ni aucun autre fonctionnaire qui va recommander l’acceptation de votre projet.

Une autre expérience encore plus explicite confirmait notre profond scepticisme quant à l’obtention de subventions gouvernementales. Au mois de mars 2001, nous comparaissions avec Recto-Verso devant la commission parlementaire chargée d’examiner la concentration de la presse. Notre mémoire dénonçait l’effet de cette concentration sur les médias indépendants et réclamait des mesures de soutien de l’État à la presse indépendante.

En pleine commission parlementaire, le député d’Outremont, Pierre Étienne Laporte se déclara publiquement opposé à toute subvention directe ou indirecte à l’aut’journal parce que en 1995, vous m’avez attribué le prix de la traîtrise, à l’aut’journal, pour une déclaration que j’ai faite alors que j’étais président du Conseil de la langue française. Et le député de dire devant ses collègues que le prix de la traîtrise était le prix Cugnet et de devoir expliquer, en se couvrant de ridicule, devant un auditoire abasourdi que le Prix Cugnet avait été instauré par l’aut’journal en déshonneur de Jean-Baptiste Cugnet qui avait guidé les troupes de Wolfe sur les plaines d’Abraham en 1759 !!!

Soulignons que Recto-Verso et l’aut’journal demandaient, entre autres, dans leur mémoire que le gouvernement autorise des fondations, mises sur pied pour recueillir des fonds pour la presse indépendante, à pouvoir émettre des reçus pour fins fiscales comme cela se pratique dans le cas des fondations de charité ou des partis politiques. Nous croyons toujours que ce serait la meilleure forme de financement pour la presse indépendante. Elle oblige les médias à faire eux-mêmes des efforts de financement et assure leur autonomie et leur indépendance à l’égard de l’État.

L’alternative aux grands médias : Internet

L’arrivée des nouveaux médias nous offre peut-être cette fenêtre tant recherchée si nous savons l’utiliser. Une lecture attentive de l’histoire des médias nous apprend qu’à chaque fois qu’une situation politique s’est trouvée bloquée par l’opposition des grands médias, la solution est toujours venue de l’utilisation d’un nouveau média.

Ainsi, dans les années 1930, Franklin Delano Roosevelt a contourné l’opposition des grands médias écrits à son New Deal avec ses causeries au coin du feu à la radio. À la fin des années 1950, de Gaulle a imposé sa solution à la guerre d’Algérie en ayant également recours à un nouveau média, la télévision, pour rejoindre le grand public et défier une presse hostile.
De même, au Québec, la télévision a joué un rôle de premier plan dans la lutte contre le duplessisme et le déclenchement de la Révolution tranquille. Maurice Duplessis abhorrait ce nouveau média, dont nous pouvons dire qu’il a produit le personnage politique le plus important de son époque : René Lévesque.

Sommes-nous aujourd’hui dans une situation historique comparable ? La solution à la concentration des médias réside-t-elle dans l’utilisation des nouvelles technologies ? Nous le croyons. Nous pouvons nous inspirer de réussites passées dont nous n’avons jamais pris réellement conscience. Par exemple, on peut affirmer que les souverainistes doivent une bonne partie de leur succès passé à l’utilisation intelligente qu’ils ont faite depuis trente ans du seul moyen de communication de masse à leur disposition pour la diffusion de leurs idées, le recrutement et le financement, soit le téléphone !

Aujourd’hui, un segment de plus en plus important de la population du Québec a accès à Internet, ce qui représente un bassin de population suffisant pour développer de nouveaux moyens de communication de masse.

Les nouveaux médias ont déjà démontré leur pertinence politique. En mars 2004, à quelques jours des élections générales, des attentats terroristes causaient la mort de près de 200 personnes en Espagne. Le gouvernement Asnar et les grands médias s’empressaient d’en attribuer la responsabilité à l’ETA basque, malgré les démentis de cette organisation. Rapidement, la société civile flaira l’arnaque et, au moyen d’Internet et de messages envoyés par cellulaires, démasqua les manœuvres du gouvernement. La vérité éclata au grand jour et le gouvernement Asnar fut défait aux élections.

Aux États-Unis, Howard Dean candidat à l’investiture au parti démocrate, opposé à la guerre en Irak, utilisa de façon fort habile Internet pour se faire connaître et recueillir des fonds pour sa campagne. Mais sa campagne s’écroula lorsqu’il poussa un grand cri ( Byaaahh ) lors d’une assemblée publique et que ce Dean Scream comme on l’appela fut diffusé en boucle par les grands médias hostiles à sa candidature. Cette fois-ci, les grands médias traditionnels remportaient la victoire sur les nouveaux médias. Mais Internet a quand même réussi à ébranler les colonnes de l’establishment du Parti démocrate.

Au Québec, nous sommes très en retard sur l’utilisation politique des nouveaux médias. Alors, pourquoi pas mettre sur pied un quotidien Internet ? Un quotidien qui ne nécessite ni imprimerie, ni réseaux de distribution ! C’est un projet auquel nous travaillons présentement avec la mise en ligne de l’aut’journal au-jour-le-jour.

Pierre Dubuc
Cet article est paru dans le numéro 10 (automne 2007) de la revue L’Apostrophe, la revue de l’aut’journal